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Paris, le 9 juillet 07
Monsieur le Ministre
Les résultats de l’élection présidentielle et des élections législatives qui viennent
d’avoir lieu dans notre pays montrent l’ampleur de l’attente de changement manifestée
par les Français. En élisant au Parlement une large majorité présidentielle, ils ont
voulu donner au gouvernement, sans aucune ambiguïté possible, tous les outils
nécessaires à la réussite de sa mission. Ce gouvernement, auquel vous appartenez, n’a
désormais qu’un seul devoir : celui de mettre en oeuvre le programme présidentiel et,
au-delà, de réconcilier nos compatriotes avec l’action politique en lui prouvant qu’elle
peut encore changer les choses et rendre à notre pays la maîtrise de son destin.
Tout au long de la campagne, des engagements ont été pris dans le champ de vos
compétences ministérielles. Il va de soi que nous attendons de vous que vous les
teniez. L’objet de cette lettre de mission est de vous préciser les points qui, parmi ces
engagements, nous paraissent prioritaires et sur lesquels nous vous demandons
d’obtenir rapidement des résultats.
L’immigration est un sujet crucial pour notre nation et un enjeu d’envergure
planétaire. Si l’engagement a été pris, durant la campagne présidentielle, de réunir
dans un même ministère l’immigration et l’identité nationale, c’est parce qu’il est aussi
inconscient de croire que l’immigration est sans incidence sur le devenir de notre
nation que de penser que l’immigration n’a pas contribué à forger notre identité. Le
coeur du projet présidentiel en matière d’immigration est de reconnaître l’intérêt pour
notre pays et pour les pays d’origine d’autoriser un certain nombre d’immigrés à
s’installer en France, tout en exigeant de ceux-ci qu’ils respectent nos valeurs et en
maîtrisant l’ampleur des flux migratoires.
Vous disposez pour cela d’un outil majeur : la création d’un ministère dédié à la
question des flux migratoires réunissant sous votre responsabilité l’ensemble des
administrations concernées. Nous vous demandons d’agir rapidement et avec
détermination pour structurer ce ministère, le doter de méthodes et d’outils de travail
appropriés et faire en sorte que toutes les administrations qui vous sont rattachées
travaillent ensemble dans la même direction. Nous attachons également du prix à une
forte mobilité des agents de l’Etat entre les responsabilités de gestion des flux
migratoires dans les préfectures et l’exercice des responsabilités comparables dans les
consulats.
Au-delà de cette réforme fondamentale de structure, le coeur de votre mission sera
double : conforter et approfondir la politique d’immigration choisie, telle qu’elle a
commencé de se mettre en oeuvre depuis 2002, et convaincre nos partenaires de
s’engager dans la définition d’une politique de gestion des flux migratoires à l’échelon
européen et international.
La France doit rester un pays ouvert à l’immigration. Elle doit honorer sa tradition
d’accueil des personnes persécutées de par le monde. Et elle ne peut que s’enrichir de
l’apport de populations étrangères, comme l’a montré toute son histoire depuis plus
d’un siècle. Mais cette immigration doit être compatible avec nos capacités d’accueil
et nos grands équilibres sociaux. Nous vous demandons de réaffirmer et d’assurer le
droit légitime et absolu de la France de déterminer elle-même qui a le droit de
s’installer ou non sur son territoire.
Vous fixerez chaque année des plafonds d’immigration selon les différents motifs
d’installation en France et vous viserez l’objectif que l’immigration économique
représente 50% du flux total des entrées à fin d’installation durable en France. Notre
pays doit évidemment respecter le droit de chacun de vivre avec sa famille, mais il doit
aussi veiller à la réussite de l’intégration des personnes qu’il accueille et tenir compte
de ses intérêts économiques et de ceux des pays d’origine. Pour cela, il doit accueillir
des étrangers auxquels il peut donner un travail, qui ont besoin de se former en France
ou qui répondent à ses besoins économiques. Vous vous inspirerez à cet effet de la
politique entreprise par certains de nos partenaires, par exemple le Canada ou la
Grande-Bretagne, qui examinent les candidatures à l’immigration au regard d’un
certain nombre de critères, y compris d’origine géographique, et déterminent en
conséquence des priorités.
Si le regroupement familial est un droit, il doit se faire dans le respect des procédures
et garantir que les personnes ainsi admises à s’installer en France sont animées d’une
volonté et disposent de chances réelles d’intégration. Pour cela, le regroupement
familial doit être subordonné au fait d’avoir un logement et des revenus suffisants pour
faire vivre sa famille. Par ailleurs, il doit faire l’objet d’un test d’apprentissage de notre
langue et de notre culture avant l’entrée en France. Le projet de loi que vous avez
d’ores et déjà élaboré et qui sera déposé prochainement sur le bureau de l’une des
Assemblées garantit clairement ces objectifs.
En lien avec la ministre de l’Enseignement supérieur et de la recherche, vous vous
attacherez à changer profondément la politique d’accueil des étudiants étrangers en
France. Vous veillerez à diversifier leur origine et à recruter davantage d’étudiants
dans les disciplines scientifiques. Nous voulons assumer nos responsabilités à l’égard
des pays les plus pauvres, qui ont besoin de la France pour former leurs élites, mais
nous voulons également que la France devienne un pays qui attire les meilleurs
étudiants du monde entier. Pour cela, elle doit changer ses modalités d’accueil.
Notre pays ne saurait accepter que des étrangers qui ne respectent pas nos valeurs et
qui n’ont pas de volonté d’intégration soient autorisés à s’installer en France. Vous
ferez du contrat d’accueil et d’intégration un instrument plus contraignant et dont le
contenu sera plus dense. Comment la France ferait-elle aimer ses valeurs, sa culture, sa
langue, son histoire, son identité, si elle ne se donne pas la peine de les faire
connaître ? Toute personne souhaitant vivre dans notre pays devra ainsi s’engager à
maîtriser le français et à respecter les principes fondamentaux de la République, en
particulier l’égalité entre les hommes et les femmes, le respect des lois matrimoniales
françaises, l’obligation d’éducation et de scolarisation des enfants, la laïcité et la
liberté de conscience.
Vous veillerez particulièrement à ce que les femmes immigrées
aient tous les outils nécessaires à leur intégration et que leurs droits soient respectés, ce qui suppose qu’elles en aient connaissance et qu’elles soient aidées à les faire valoir.
Corrélativement, vous veillerez à faciliter la vie des étrangers qui séjournent depuis
très longtemps chez nous et qui respectent nos valeurs, en créant pour eux une carte
permanente de séjour. Vous ferez de même pour les étrangers qui ont séjourné en
France pendant leurs études ou au début de leur vie professionnelle et qui veulent
seulement rester en contact avec notre pays, en créant pour eux des visas permanents
permettant des allers et retours et facilitant la vie des affaires.
Il ne saurait par ailleurs y avoir d’immigration maîtrisée si notre pays n’est pas capable
de lutter contre l’immigration illégale. Vous renforcerez donc les moyens techniques
mis en place depuis 2002 pour lutter contre l’immigration clandestine, en particulier la
biométrie. Vous poursuivrez la politique de lutte contre les filières d’immigration
illégale et de travail clandestin et vous prendrez les dispositions nécessaires pour
simplifier considérablement les procédures d’éloignement. Vous vous fixerez des
objectifs exigeants en termes de reconduite à la frontière. Les régularisations seront
mises en oeuvre au cas par cas, à titre exceptionnel, uniquement si des raisons
humanitaires le justifient.
La politique d’immigration choisie, c’est une politique qui tient compte des intérêts
des pays d’origine autant que des pays d’accueil. La France ne saurait piller les élites
ou la main d’oeuvre des pays qui ont besoin de toutes leurs forces pour se développer.
Pour autant, cette question se pose différemment selon les pays en cause et vous agirez
donc de manière distincte à l’égard de pays émergents comme l’Inde ou la Chine, ou à
l’égard de pays plus en difficulté.
Avec les pays les moins développés, en particulier en Afrique, vous vous efforcerez de
nouer des partenariats dont l’objet sera de réguler ensemble, dans l’intérêt des deux
parties, les flux migratoires. Les pays d’origine nous feront part de leurs besoins et
s’engageront à nous aider à lutter contre l’immigration illégale, en échange de quoi
nous accueillerons un certain nombre de leurs ressortissants et formerons leurs élites,
charge à celles-ci de mettre ensuite leur formation au service de leur pays.
A long terme, le développement est évidemment la seule solution à la maîtrise des flux
migratoires. C’est pourquoi, en lien avec le ministre des affaires étrangères et
européennes, vous veillerez, en tant que chef de mission, à ce que la politique d’aide
au développement dans les pays sources d’immigration soit pensée à la lumière de la
question de la maîtrise des flux migratoires et vous donnerez une impulsion nouvelle à
l’implication des ressortissants étrangers vivant en France dans le développement de
leur pays d’origine. L’aide au développement fera partie des accords d’immigration
concertée que vous signerez avec les pays d’origine.
Parallèlement à votre action au niveau national, vous prendrez les dispositions
nécessaires pour que l’Union européenne s’engage résolument dans une politique
commune de gestion des flux migratoires. La France plaidera en faveur de la mise en
place d’une procédure d’asile unique, de la création d’un réseau consulaire unique
pour la délivrance des visas, et de la généralisation des visas biométriques permettant
de suivre les entrées et les sorties. Vous agirez en faveur de la mise en oeuvre d’une
véritable police européenne aux frontières, du renforcement de la coopération en
matière d’éloignement, et de l’élaboration d’un pacte européen de l’immigration
comportant, pour les Etats membres de l’Union européenne, des engagements,
notamment en termes d’éloignement de leurs clandestins et d’interdiction des
régularisations massives qui créent des appels d’air pour tous les pays européens.
Au-delà, vous engagerez les concertations nécessaires pour l’élaboration d’un traité
multilatéral qui définira les droits et les devoirs des Etats en matière de gestion des
flux migratoires, en particulier l’obligation pour les pays d’origine de réadmettre leurs
ressortissants en situation illégale sur le territoire d’un autre Etat, et l’interdiction pour
les pays d’accueil de favoriser la fuite des cerveaux ou de la main d’oeuvre nécessaire
au développement des pays pauvres. Une agence des migrations internationales serait
chargée de veiller au respect de ce traité.
Vous le savez, le programme présidentiel devra être mis en oeuvre en respectant
scrupuleusement notre volonté de préserver l’avenir des générations futures grâce à
une gestion rigoureuse des finances publiques, conforme à nos engagements européens
et composante essentielle de la démocratie irréprochable que nous souhaitons mettre
en place.
Réussir les réformes attendues par les Français et cesser la spirale de l’endettement ne
sont nullement inconciliables, mais sont au contraire deux objectifs complémentaires
dès lors qu’il est décidé d’abandonner les politiques qui ne marchent pas au profit de
politiques qui marchent. Répartir la pénurie est aussi lâche et inefficace que laisser
courir la dette publique. Si nous voulons modifier en profondeur les structures et les
modes d’intervention des administrations publiques, c’est pour que chaque euro
dépensé soit un euro utile et que le potentiel humain inestimable de notre
administration soit beaucoup mieux valorisé.
Dès cet été, une révision générale des politiques publiques, à l’instar de celle réalisée
par le Canada au milieu des années 90, sera donc entreprise. Elle sera conduite, sous
notre autorité, par le Secrétaire général de la Présidence de la République, le Directeur
du cabinet du Premier ministre, le ministre du Budget, des comptes publics et de la
fonction publique, le secrétaire d’Etat chargé de la Prospective et de l’évaluation des
politiques publiques, ainsi que des personnalités qualifiées issues du secteur public et
du secteur privé, et des parlementaires. L’objet de cette révision générale des
politiques publiques sera de passer en revue, avec la collaboration, naturellement, des
ministres concernés, chacune des politiques publiques et des interventions mises en
oeuvre par les administrations publiques, d’en évaluer les résultats et de décider des
réformes nécessaires pour améliorer la qualité du service rendu aux Français, le rendre
plus efficace et moins coûteux, et surtout réallouer les moyens publics des politiques
inutiles ou inefficaces au profit des politiques qui sont nécessaires et que nous voulons
entreprendre ou approfondir. C’est dans le cadre de cette révision générale que sera
mis en oeuvre l’engagement présidentiel d’embaucher un fonctionnaire pour deux
partant à la retraite et que nos objectifs de finances publiques sur cinq ans seront
poursuivis et atteints (réduction de la dette publique à moins de 60% du PIB, équilibre
budgétaire, baisse aussi rapide que possible des prélèvements obligatoires avec
l’objectif d’une réduction de quatre points sur dix ans).
Nous vous demandons de vous impliquer personnellement et sans réserve dans cet
exercice qui ne saurait remettre aucunement en cause la mission que la présente lettre
vous confie. Les premières grandes réformes issues de la révision générale des
politiques publiques interviendront dès la préparation des budgets pour 2008. Nous
insistons sur le fait qu’un bon ministre ne se reconnaîtra pas à la progression de ses
crédits, mais à ses résultats et à sa contribution à la réalisation du projet présidentiel, y
compris sur le plan financier.
Sur l’ensemble des points de cette lettre de mission, vous nous proposerez des
indicateurs de résultat dont le suivi sera conjoint. Nous souhaitons que figurent, parmi
ceux-ci, notamment, le rééquilibrage des flux de l’immigration économique par
rapport aux autres motifs d’immigration, l’évolution du nombre des entrées nouvelles,
l’insertion sociale et professionnelle des immigrés en situation légale, le
démantèlement des filières clandestines d’immigration, la lutte contre le travail
clandestin et l’augmentation du nombre des reconduites à la frontière, la signature
d’accords d’immigration concertée, le renforcement de l’aide au développement dans
les pays sources d’immigration, la promotion d’une égalité des chances réelle et la
lutte contre les discriminations. Vous n’hésiterez pas, à cet effet, à créer une direction
de la statistique au sein du ministère que vous avez la charge de bâtir.
Nous ferons le point d’ici un an de l’avancement de votre mission et des inflexions
qu’il convient, le cas échéant, de lui apporter.
En vous renouvelant notre confiance, nous vous prions de croire, Monsieur le
Ministre, en l’assurance de nos sentiments les meilleurs.
Le Président de la République
Nicolas Sarkozy
Le Premier ministre
François Fillon