radicalisation et derive............

il s’appelait D. non pas qu’il soit mort mais aujourd’hui il s’est choisi un pseudo qui reflète sa vie décousue.

nous l’avions connu tout gamin, lorsqu’il venait aux manifs sur les épaules de son père, un sympathisant.

hiver 2006. arrivent les mobilisations contre le contrat première embauche.

D. est un brillant, élève de seconde. souvent moqueur et même provocateur mais attachant et intelligent.

il s’engage tête baissée dans le mouvement anti cpe, emmenant avec lui une tribu de lycéens.

nous l’accueillons bien entendu avec chaleur au sein du microcosme libertaire local. lui et ses amis ont porte ouverte au local que nous partageons entre orgas anar, antinucs, défenseurs des "sans".

ils y foutent un peu le souk mais bon, il faut bien que jeunesse se passe.

ils sont le fer de lance chez les jeunes localement. nous imprimons leurs tracts, trop contents de voir leur banderole maison rouge et noire en tête des cortèges.

pour nous, c’est la relève tant espérée qui s’avance.

le père de D. est un peu moins enthousiaste. son fils n’est plus beaucoup à la maison. et puis ça picole au local.

nous le rassurons plus ou moins. mais le fait est que nous n’intervenons pas pour encadrer ce petit groupe de jeunes, recadrer certaines choses.

l’heure est à la mobilisation. nous battons les records de mai 68 en terme de manifestants.

les derniers staliniens ont bien du mal à contenir tout ça et à nous empêcher de prendre la parole lors des rassemblements/blocages.

le printemps arrive et avec lui l’abdication du gouvernement. le contrat "première embauche" a vécu.

pour D. c’est la fin des illusions. le cpe retiré, les foules retrouvent le chemin du travail, du lycée, le quotidien reprend ses droits, comme à chaque fois.

mais D. s’est exalté, radicalisé. il tient des discours plutôt sectaires et s’est encarté dans un groupuscule au discours dogmatique et coupé des réalités.

il voyait dans ces mobilisations l’amorce d’un changement social et tout ses espoirs sont douchés. il refuse de reprendre le chemin du lycée avec une poignée d’amis.

le local devient leur squat. son père ne sait que faire. et nous non plus. nous n’assumons pas notre rôle de militants formés. nous aurions du intervenir.

notre local, nous l’avions retapé pour en faire un lieu d’émancipation, pour que des jeunes comme D. s’en emparent et le fassent vivre.

ça devient malheureusement le lieu du décrochage pour D. et ses amis. fumette, alcool tout les soirs et radicalité des discours.

l’été passe. notre poignée d’ados en révolte fait les festivals et les "campings" révolutionnaires.

à la rentrée, je met les pieds dans le plat. ça ne peut plus durer. nous devons leur expliquer qu’ils ne peuvent continuer à vivre ainsi et doivent quitter le local, reprendre le cours de leur vie.

la plupart des compagnons sont gênés. ça fait pas très anar de virer des jeunes squatteurs. mais c’est pour leur bien.

ils repartent donc chez leur parents, non sans mal. sauf D.

D. a rencontré d’autres jeunes radicaux en décrochage comme lui et part les rejoindre dans la capitale régionale.

de toute façon, il n’y a plus de mobilisations ici et nous sommes devenus bien trop "réformistes" pour lui. le courant ne passe plus du tout.

son père est catastrophé. et nous le sommes pour lui. il ne nous fait aucun reproche mais nous sentons bien que plus rien ne sera pareil et que nous avons merdé.

c’est l’année suivante que j’ai eu des nouvelles. D. a été hospitalisé pour un empoisonnement alimentaire. il squattait avec d’autres jeunes et bouffait en fouillant les poubelles.

son père est allé le récupérer à l’hosto et l’a ramené chez lui pour lui faire prendre un nouveau départ. mais ça n’a pas marché et D. n’a pu reprendre le fil de sa vie "normale". il est reparti.

ça fait une dizaine d’années. D. a désormais un boulot à temps partiel dans une assos de musicos. il a réussi à se sortir de l’alcoolisme dans lequel il était tombé.

il n’avait plus trop le choix avec une santé précaire et ayant chopé une hépatite dans les squats. il lui reste la fumette. il n’est plus du tout le jeune à l’esprit vif et brillant d’alors.

nous sommes quelques uns à nous sentir responsables de ce gâchis. il est bien clair que nous aurions du être là, en tant que militants, qu’adultes.

la liberté, c’est un apprentissage. il faut être armé pour l’affronter. nous avons été incapables de former ces jeunes qui nous ont rejoint un temps.

nous avons laissé faire, comme si tout allait de soi, pétrifiés à l’idée de se faire traiter de paternalistes et de moralisateurs.

des jeunes comme D. qui se coupent du réel et se désocialisent, il y a toujours lors des grands mouvements sociaux.

quand on est jeune, on a des certitudes, on s’enflamme, on s’exalte. c’est tout le charme de la jeunesse. mais c’est un aussi un piège. enivrés par les mobilisations, nourris intellectuellement par la radicalité de certains discours, certains peuvent décrocher et partir à la dérive.

cela même peut finir dans le sang et le fracas des armes comme dans le cas d’audry maupin et florence rey.

ce qui est le plus détestable dans ce gâchis, ce sont les discours radicaux et rupturistes de certains professionnels de la révolution. installés, faisant même carrière dans la fonction publique pour certain(e)s, ces chantres de l’insurrection nourrissent par leurs discours les dérives radicales. et c’est le jeune en quête d’absolu qui paie la note.

après tout, c’est quoi une vie, hein ?