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Publie le vendredi 28 avril 2006 par Open-Publishing
2 commentaires

Les possibilités du dialogue énergétique
16:44 | 27/ 04/ 2006

Par Viktor Khristenko, ministre russe de l’Industrie et de l’Energie

La stratégie énergétique de la Russie est un sujet de plus en plus actuel pour la communauté internationale, en particulier en 2006, année de la présidence russe du G8. La sécurité énergétique globale est l’un des principaux dossiers inscrits à l’agenda du sommet du G8, et il serait absurde que la Russie, premier exportateur de gaz et de pétrole parmi les pays du G8 et acteur influent sur le marché mondial, ne participe pas au débat.

Quatre tendances majeures caractérisent aujourd’hui le marché mondial. Premièrement, la demande d’énergie progresse rapidement dans les pays en développement asiatiques, ces derniers représentant jusqu’à 45% de l’augmentation prévue de la demande mondiale de pétrole. Deuxièmement, le clivage continue de se creuser entre le volume de la consommation et celui de la production de pétrole et de gaz dans les pays économiquement avancés. Ainsi, à l’horizon de 2020, les importations représenteront 60% à 70% des approvisionnements en gaz du continent européen, alors même que la majorité des grands pays asiatiques ont dépassé cette barre. Troisièmement, les capacités de raffinage et de transport sont insuffisantes, les possibilités supplémentaires d’extraction pétrolière sont limitées, et le commerce international de l’or noir manque de transparence.

Autant de circonstances qui mettent au premier plan la sécurité énergétique, notion par laquelle la Russie entend moins sa propre sécurité que la fiabilité des approvisionnements en hydrocarbures des pays et des peuples du globe, ce problème concernant toute la communauté internationale. Un dialogue global doit permettre, à mon avis, d’élaborer des approches communes des dossiers complexes tels que la stabilisation des marchés énergétiques, l’extension des investissements dans l’énergie et le développement efficace de la production et des infrastructures énergétiques, sans oublier la nécessité d’équilibrer développement et environnement.

Certaines mesures sont réalisées dans le cadre des dossiers déjà à l’étude au sein du G8, et il faut appuyer cette continuité. Le thème de la sécurité écologique qui a marqué la présidence britannique en 2005 est étroitement lié à celui de la sécurité énergétique. Je noterai que le secteur de l’énergie est à l’origine de deux tiers des émissions nocives dans l’atmosphère. Evitons, toutefois, de tomber dans l’excès. Il faut rechercher des compromis entre les problèmes de l’écologie et les conditions réelles du développement économique tenant compte des particularités de tous les acteurs du marché, aussi bien des fournisseurs que des consommateurs d’hydrocarbures.

Aspects économiques et politiques du leadership énergétique

L’importance économique des ressources énergétiques va souvent de pair avec leur importance politique. Le plus fâcheux est que de nombreux acteurs du marché énergétique tentent aujourd’hui de politiser le processus de règlement des problèmes énergétiques. Les décisions doivent être prises de manière absolument pragmatique, dans le cadre des ententes existantes et des rapports économiques normaux. Il faut couper court à toute spéculation politique. Nous entretenons de bonnes relations avec les pays consommateurs, et il faut éviter de miner les bases de notre coopération par des démarches populistes.

Qu’est-ce le leadership économique de la Russie et quelle attitude devons-nous adopter à cet égard ? Bien sûr, le leadership n’est pas déterminé par les résultats quantitatifs de la production et même des ventes, il se forge tout à fait autrement. L’Arabie saoudite, par exemple, vend beaucoup d’hydrocarbures parce qu’elle en consomme très peu, tandis que la Russie est l’un des plus gros consommateurs d’énergie.

Ainsi, il faut d’abord entendre par sécurité énergétique un problème mondial et ensuite avoir suffisamment de ressources et de possibilités pour minimiser les risques associés à la sécurité énergétique.

Le leadership potentiel de la Russie dans le domaine de l’énergie peut et doit être interprété comme "un leadership pour la sécurité". Suivant cette logique, aucun pays exportateur de matières premières dépendant de la conjoncture mondiale des prix des hydrocarbures, ni aucun pays industrialisé misant sur les technologies et cherchant à dompter les exportateurs ne peut devenir la première puissance mondiale. Un leader doit respecter les intérêts aussi bien des fournisseurs que des consommateurs de matières premières.

En l’occurrence, sur le plan de la sécurité énergétique globale, je pense que la Russie possède à la fois une perception adéquate de la situation et des mécanismes de réduction des risques qui existent dans tous les pays.

En effet, les risques sont très nombreux. Tout le monde s’aperçoit, par exemple, que les prix de la marque russe Urals et du Brent ne cessent de monter sur les marchés. Il est évident que la volatilité du marché est très élevée, ce qui engendre un risque d’incertitude. La volatilité dépend essentiellement de l’évaluation exacte des réserves des pays producteurs. Nous estimons que la Russie détient 13% des réserves mondiales de pétrole, mais l’Agence internationale de l’énergie évalue notre part à 8%. Deux chiffres différents, dont l’un est presque deux fois plus élevé que l’autre. La question qui se pose toujours en pareil cas est de savoir si celui qui établit la statistique est un vendeur ou un acheteur. Il n’empêche que les vendeurs et les acheteurs doivent parvenir à un compromis, sinon on ne peut pas faire de prévisions, donc on ne peut pas bâtir une politique de sécurité énergétique.

Nous pouvons aborder les risques liés au transport, les risques des infrastructures, les risques de la demande, les risques relatifs aux réserves ou encore les risques politiques qui suscitent tant d’émotion sur le marché des hydrocarbures.

La Russie se voit comme le premier vendeur, le premier consommateur, l’une des plus grandes zones de transit et l’un des membres du G8 où ces problèmes peuvent être examinés. A l’heure actuelle, nous comprenons enfin les facteurs déterminant la nature durable, et non spéculative, de la sécurité énergétique.

Je voudrais mettre en relief un autre aspect, à savoir que le club du G8 est un lieu excellent pour argumenter nos idées devant les pays leaders et promouvoir tel ou tel objectif. Mais il est tout à fait évident que le format du G8 est insuffisant face à l’émergence de nouvelles économies, telles que la Chine, la Corée, l’Inde et le Brésil, grands consommateurs et producteurs sans lesquels, à mon avis, il serait absurde d’examiner les perspectives énergétiques à long terme. A proprement parler, le thème ne se limite pas au G8. Tout en comprenant sa nature durable, on peut supposer que le format même du G8 pourrait radicalement changer d’ici une trentaine d’années.

L’axe Est de la politique énergétique russe

On sait que les marchés d’Asie et, plus généralement, d’Asie-Pacifique, y compris celui de l’énergie, sont aujourd’hui parmi les plus dynamiques. Selon des experts, la demande d’énergie dans les pays asiatiques croît plus vite que dans le reste du monde : la consommation de pétrole progresse de 3% à 4%, et celle de gaz de 4% à 6% tous les ans. La Russie suit de très près ces tendances, et elle planifie ses démarches à très long terme. Quoique la Russie exporte plus de 90% de ses hydrocarbures vers des pays européens, nous allons accorder de plus en plus d’attention aux pays d’Asie-Pacifique.

La part des pays d’Asie dans les exportations russes de pétrole doit passer de 3% aujourd’hui à 30% d’ici 2020 (+100 millions de tonnes), et leur part dans les exportations de gaz naturel doit s’élever à 25%, contre 5% aujourd’hui (+65 milliards de mètres cubes). Nous partons du principe que le marché asiatique fait partie du marché global et que ses problèmes devraient être étudiés à travers le prisme des processus en cours sur le marché énergétique mondial. C’est la raison pour laquelle nous estimons judicieux de créer auprès du G8 des groupes de travail réguliers sur les principaux axes de la sécurité énergétique qui regrouperaient, à part les pays membres de ce club, des représentants des pays producteurs et consommateurs d’hydrocarbures, en premier lieu des grands partenaires asiatiques, pour débattre de la sécurité et de l’efficacité énergétiques régionales tout en coordonnant ces dossiers avec l’agenda du G8.

La Russie mise sur le partenariat énergétique avec l’Union européenne

Historiquement, l’Union européenne est née de l’idée du "marché commun" et des "infrastructures communes". La Russie est quant à elle un acteur de poids qui réalise des projets ambitieux dont beaucoup ne peuvent pas être mis en oeuvre même au niveau de plusieurs pays. Nous tentons d’exploiter activement le potentiel du dialogue Russie-UE dans les grands projets commerciaux.

Lors du sommet de 2001 qui a eu lieu à Bruxelles, la Russie et l’Union européenne ont adopté une Déclaration conjointe sur le dialogue énergétique définissant plusieurs axes pratiques de la coopération dans le domaine des infrastructures, notamment la jonction de leurs réseaux d’électricité, la prolongation des contrats à long terme de Gazprom et la construction d’un système de transport d’énergie.

Aujourd’hui, on constate une nette avancée sur ces projets. Le dialogue énergétique ne peut être considéré comme efficace que s’il débouche sur des résultats palpables sous forme de projets pratiques. Parmi ces derniers on peut citer le gazoduc Iamal-Europe dont la construction doit s’achever en 2006, l’oléoduc Bourgas-Alexandroupolis, le Réseau d’oléoducs de la Baltique ainsi que les oléoducs Droujba et Adria.

En collaborant avec nos partenaires étrangers, nous utilisons largement des formats éprouvés, dont celui du dialogue énergétique. Un vaste dialogue énergétique se poursuit entre la Russie et l’Union européenne, de même qu’entre la Russie et les Etats-Unis. Et les résultats de ces dialogues sont évidents, il s’agit de projets précis tels que le Gazoduc nord-européen (GNE). Il y a encore peu, nos collègues européens soulevaient timidement leur intérêt pour des projets de ce type, alors qu’à présent une décision de principe est déjà prise avec la signature en septembre 2005 de l’accord de construction. Le GNE est l’un des axes réels de diversification des fournitures de gaz russe. Nous devons privilégier à long terme de tels schémas de zones de transit fiables et de zones extraterritoriales.

La Russie commence à effectuer des démarches actives dont beaucoup se transforment en projets d’investissements conjoints avec des partenaires étrangers, qu’il s’agisse des gouvernements ou des entreprises privées. Il faut diversifier les approvisionnements en hydrocarbures. Au lieu d’utiliser des itinéraires exclusifs par lesquels passent 80% des exportations, comme c’est le cas de l’Ukraine qui détient en réalité le monopole du transit de gaz vers l’Europe, il faut avoir le choix.

L’expérience du projet Blue Stream, que certains avaient surnommé "blue dream" (rêve bleu), a montré qu’on pouvait installer des infrastructures efficaces même dans les conditions extrêmement compliquées sur le plan technologique : à une profondeur de plus de 2.000 m et dans le milieu agressif saturé d’hydrogène sulfuré de la mer Noire.

Le rapprochement des stratégies et des systèmes énergétiques reste un axe majeur du dialogue énergétique Russie-UE. Les parties ont entamé l’étude de faisabilité du projet de synchronisation entre le réseau d’électricité de l’Union pour la coordination du transport d’électricité (UCTE), en Europe occidentale, et celui du Système d’électricité unifié de la Russie et des pays de la CEI qui fonctionnent parallèlement avec les réseaux analogues des pays baltes. Ce projet est d’autant plus important après l’adoption du Livre vert.

Le sommet Russie-UE d’octobre a permis de constater que les entreprises russes et européennes sont enfin motivées pour s’impliquer activement dans la mise en place d’un espace économique doté d’un marché intégré. Autrement dit, on peut constater une nette convergence entre les objectifs déclarés par les autorités officielles de la Russie et de l’Union européenne et les intérêts à long terme des milieux d’affaires. Cela veut dire que nous pouvons espérer des idées et des propositions ambitieuses de la part des structures et des unions patronales.

Vers une politique ouverte en matière d’investissement

La dernière réunion du conseil pour les investissements étrangers a rendu public un sondage montrant que 80% des compagnies étrangères opérant en Russie étaient déterminées à développer leurs activités en Russie. Celles qui ne travaillent pas en Russie étaient divisées à parité. Cela veut dire que nous ne perdons pas sur le plan des activités réelles, mais sur le plan des relations publiques.

A l’heure actuelle, le ministère de l’Industrie et de l’Energie travaille sur un projet de loi définissant les modalités d’accès des capitaux étrangers aux secteurs stratégiques de l’économie russe. Ce texte sera prochainement débattu par le cabinet. Il se fonde sur le principe de la prise de décision pour chaque transaction concrète. Il doit y avoir aussi toute une liste de critères décrivant l’appartenance sectorielle des entreprises où la participation des investisseurs étrangers sera limitée et établissant le plafond de la participation étrangère (minorité de blocage, bloc de contrôle, etc.). Seules les propositions correspondant à ces conditions précises et transparentes seront soumises à l’examen des autorités compétentes. En fait, cette méthode revient à "restreindre les restrictions". Résultat : les investisseurs comprennent nettement les règles du jeu, et le volume des opérations occultes diminue.

Quant à la coopération en matière d’investissement, je voudrais noter l’expérience positive de la coopération avec Total sur le gisement de Khariaga dans le cadre d’un accord de partage de la production. Le succès de ce dialogue pourrait marquer le début d’une nouvelle étape dans les rapports entre la Russie et les compagnies énergétiques étrangères, quelle que soit la forme de coopération prévue ou en cours. Le travail accompli par le ministère de l’Industrie et de l’Energie au cours de l’année passée dans le domaine des accords de partage de la production a permis d’évaluer non seulement le fardeau des contradictions accumulées au fil des années, mais aussi les perspectives de solutions mutuellement avantageuses.

Les événements du secteur énergétique russe : une tendance mondiale

Ce qui se passe actuellement dans le secteur énergétique russe est une tendance internationale. Si nous regardons les dernières transformations structurelles des grandes compagnies pétro-gazières mondiales, nous verrons que leurs appellations formées auparavant d’un seul terme en comprennent désormais au moins deux. Là, nous ne suivons pas une tradition, nous faisons face à des risques liés à la réalisation de grands projets. Tout devient cher, difficile, les risques augmentent, et pour parer les nouveaux risques et développer de nouveaux projets, la compagnie elle-même doit se transformer. Il s’agit d’un processus objectif qui s’inscrit dans la logique de la mondialisation. Cela veut dire aussi que nous nous intégrons dans ce processus à mesure que nous y sommes prêts, car toute démarche doit être suffisamment solide, pesée et compréhensible.

Les compagnies russes sont absolument comparables aux compagnies étrangères par leur niveau, leur statut et leurs possibilités. Elles peuvent négocier avec n’importe quel partenaire, sur n’importe quel dossier et à n’importe quel niveau. C’est une chose déjà acquise. D’autre part, nos compagnies doivent devenir transnationales au sens propre du terme. Pour cela, elles doivent au moins disposer d’un réseau développé de projets à travers le monde. En participant à la réalisation de ces projets avec d’autres compagnies, les compagnies russes pourront couvrir leurs principaux risques.

Il est vrai que nous ne faisons pas partie de l’OPEP ou de l’Agence internationale de l’énergie, mais nous travaillons en permanence avec les experts de ces organisations internationales.

Je voudrais souligner à nouveau - cela est très important - que nous avons pris l’habitude des formes de coopération telles que le dialogue énergétique, et nous les utilisons largement. Les conclusions que ces dialogues permettent de tirer suscitent une certaine polémique au niveau politique, économique, à d’autres niveaux encore. Les dialogues énergétiques débouchent, à chaque étape, sur des décisions pratiques. Nous avons déjà entamé un tel dialogue avec les grandes économies émergentes d’Asie-Pacifique.

La poursuite de notre coopération, y compris dans le cadre de la présidence russe au G8, sera essentiellement axée sur la mise en place d’un système unique de critères en matière de politique énergétique. Rien que cette mesure permettrait de lever la plupart des risques que j’avais évoqués. La Russie est prête à servir d’intermédiaire dans ce processus entre toutes les parties intéressées.

Messages

  • Le dialogue énergétique franco-russe

    La Russie, qui prend en 2006 la tête du G8 (un G8 énergie est par ailleurs prévu en mars prochain) est un acteur énergétique global d’une dimension particulière. Les atouts dont dispose la Russie sont considérables : 30% des réserves mondiales de Gaz et 10% des réserves de pétrole, 20% des réserves mondiales de charbon et 14% des réserves d’uranium. Cette richesse naturelle est servie par un pouvoir fort. Le volontarisme dont fait preuve le gouvernement russe dans ce secteur suscite d’ailleurs nombre de commentaires : la patiente mais résolue reprise en main de Youkos, le rachat par Gazprom (entreprise dont l’Etat possède 51%) de Sibneft, l’attitude de fermeté lors de la crise qui oppose Gazprom à l’Ukraine démontrent la primauté du politique sur l’économique à Moscou. Cette attitude effraie, elle serait par ailleurs sanctionné par le marché comme en témoigne la fuite des capitaux connue par l’économie russe à la suite de l’affaire Youkos et la chute des investissements directs étrangers en 2003-2004, commandant ainsi aux politiques une certaine réserve dans l’examen des stratégies russes et des propositions qui en découlent.

    1-1- Ainsi notamment du « partenariat énergétique global » proposé par la Russie dans le cadre du G8 qui vise une meilleure prévisibilité de la demande d’hydrocarbure. Ce partenariat s’appuierait notamment sur la mise en place de contrats de long terme, des mécanismes de connaissances plus précises des réserves et de gestion des stocks. Le but est de permettre une meilleure sécurité des débouchés pour les pays exportateurs, alors que les pays importateurs cherchent aujourd’hui, selon Moscou, à multiplier les sources tant géographiquement que physiquement. Cette « imprévisibilité » de la demande se traduit pour les producteurs par un manque de lisibilité des débouchés et des investissements.

    Vue de France, la proposition ne semble pas immédiatement comprise, quand elle n’est pas interprétée comme un signe supplémentaire de la volonté de centralisme russe : la hausse du prix des hydrocarbures est considérée comme relativement irréversible, le rythme et les niveaux atteints dépendant essentiellement de facteurs tels que la hausse de l’efficacité énergétique, des progrès dans les énergies de substitutions, de la suppression des goulots d’étranglements et des obstacles à la libre fixation des prix pour chacun des types d’énergie concernés. Des efforts spécifiques ont été réalisés dans chacun de ces secteurs par les gouvernements successifs mais également au niveau européen, notamment dans le domaine de l’électricité et du gaz. Le partenariat énergétique Russie-Union Européenne a été lancé en octobre 2000 et serait, pour Paris, le cadre privilégié du dialogue entre chacun des Etats de l’Union et la Fédération de Russie. Ce partenariat repose sur une interdépendance mutuelle forte : l’Europe représente 30% en volume mais 70% en valeur des recettes de Gazprom, réciproquement, 41% des importations de Gaz et 21% des importations de pétrole européennes viennent de Russie. La construction de gazoducs et d’oléoducs (typiquement le gazoduc Nord Européen qui acheminera à terme 10% de la production actuelle russe), de même, l’accès donné à Gazprom aux clients finaux des pays européens (Gazprom devenant ainsi à la fois fournisseur et concurrent de Gaz de France sur le Marché français), améliorent la sécurité de la demande.

    La France met par ailleurs l’accent sur la place de Total, premier acheteur de pétrole russe, intéressé par des projets d’exploration-production, mais également sur l’importance de certains résultats positifs, tels que la coopération entre Gaz de France et Gazprom dans le secteur du Gaz Naturel Liquéfié, notamment à destination des Etat-Unis.

    1-2- Ce constat d’une France prudente participant à un dialogue énergétique plaçant l’Union Européenne au centre des relations avec la Russie est sans doute trop optimisme.

    En premier lieu, car le partenariat énergétique Union Européenne-Russie ne progresse que lentement. Ainsi, certains projets d’intérêts communs comme le gazoduc transeuropéen septentrional, le gazoduc Yamal Europe, la mise en exploitations de champs pétroliers ou gaziers et l’interconnexion de réseaux électriques n’ont que peu avancé au cours des dernières années. A l’inverse, les dossiers qui « avancent » comme le Gazoduc Nord Européen n’ont pas été conçus dans un cadre institutionnel européen mais bilatéral et industriel.

    En second lieu, car il existe au sein même de l’Union, des différences très sensibles de situation. A titre d’exemple, la situation énergétique de la Pologne et des Etats Baltes sont dans des positions assez voisines de celle de l’Ukraine à l’égard du gaz russe et bénéficient de prix de vente qui prennent en compte le transit de leur territoire. La stratégie à l’œuvre à Moscou suppose, à terme, une clarification de la position européenne que le dossier du Pipe Nord Européen a soigneusement évité.

    Enfin et surtout, la mise en place, au niveau européen, d’un fonds d’investissement visant à garantir les risques non commerciaux de certains projets de production et de transport d’énergie de grande ampleur d’intérêt commun n’a toujours pas vu le jour. L’Europe, collectivement, ne répond donc pas à la principale mission de développement des investissements assignée il y a cinq ans au partenariat énergétique Union Européenne-Russie.

    Donald J. Johnson, Secrétaire Général de l’OCDE, a présenté en septembre 2005 les termes du « défi énergétique » planétaire. D’ici 2030 près de 16 000 milliards de dollars devraient être investis dans le secteur énergétique . Cet investissement n’est qu’une projection visant à mettre en œuvre de nouvelles capacités de production pour répondre aux demandes de la Chine, de l’Inde, du Brésil, de la Russie elle-même, que l’on sait en forte croissance. Malgré son importance, cet investissement ne permet pas par lui même de modifier le taux global de dépendance de l’économie mondiale à l’égard des combustibles fossiles ni d’accroître, dans une mesure significative du point de vue du changement climatique notamment, la part des énergies renouvelables et du nucléaire.

    2-1- C’est donc dans un climat très concurrentiel et tendu que les besoins d’investissements du secteur énergétique russe doivent être appréciés. Globalement ceux-ci ont été ont été évalués par la Commission Européenne à 715 milliards d’Euros d’ici 2020. Ce montant considérable se fonde sur des hypothèses raisonnables de la croissance russe et sur une amélioration importante de l’efficacité énergétique. Cet investissement n’est pas facultatif, il est nécessaire pour éviter que des installations énergétiques existantes, par ailleurs très polluantes au regard des critères de Kyoto, n’arrivent à un degré de vieillissement qui mettrait en cause tant la stabilité sociale interne de la Russie, que l’approvisionnement des clients actuels de la Russie, au premier rang desquels l’Europe et leur sécurité (énergie nucléaire notamment).

    Selon la Banque Mondiale, le climat d’investissement s’est amélioré en Russie en 2005 après deux années sombres (2003-2004) : une plus grande ouverture aux investissements, aux partenariats publics privés, la mise en œuvre d’une déconcentration effective, notamment au niveau municipal, sont considérés comme autant de signes positifs. Le groupement conduit par la compagnie A.T. Kearney place à la fin 2005, la Russie parmi les 10 pays les plus attrayants pour l’investissement étranger. Cependant si, le taux de croissance de l’investissement se situe à près de 11% en 2004, la croissance de l’investissement dans le secteur énergétique reste notablement plus faible et en ralentissement de l’ordre de 3,5-4% en 2005 .

    Attirer l’investissement et singulièrement l’investissement étranger dans le secteur énergétique est donc un défi impérieux pour les autorités russes. Aux signes de colbertisme évoqués plus hauts répondent ainsi des signes forts d’ouverture au marché mondial et d’acceptation de ses règles. Sur le marché intérieur, une réforme sans précédent du secteur électrique est en cours, cette réforme est selon l’expression de la Banque Mondiale « la plus grande et complexe des restructurations du secteur électrique jamais tentées à ce jour » . De même alors que la crise avec l’Ukraine se nouait, le Parlement russe a voté un élargissement des possibilités d’investissements étrangers dans Gazprom : traditionnellement limités à 20%, ils pourront désormais se porter à 49%.

    Cela ne suffit pas, en soi, à garantir le niveau de l’investissement énergétique russe et la Russie poursuit une politique de moyen long terme qui vise à constituer un ensemble élargit incluant les pays de la CEEA (Communauté Economique Europe Asie : Biélorussie, Fédération de Russie, Kirghizie, Kazakhstan et Ouzbékistan) et le Turkménistan, durablement excédentaire en ressources énergétiques permettant de peser sur les cours en mettant en concurrence les principales zones d’exportations potentielles (Europe, Chine, Japon, Inde, Etats-Unis). Cette politique est certainement porteuse de tensions régionales (autour de la Capsienne notamment) et conduit à des alliances ou rivalités stratégiques difficilement prévisibles. Force est de constater qu’elle ne trouve que peu d’écho au sein des instances européennes.

    2-2- Sur le terrain de l’investissement, l’Europe cesse d’être un marché intérieur imposant des règles de fonctionnement pour devenir un partenaire industriel absent. Il n’y a pas de réponse du secteur européen de l’énergie à l’ouverture du marché russe, mais des réponses individuelles de sociétés britanniques, allemandes, françaises etc… Un rapport parlementaire présenté fin 2004 par René André et Jean-Louis Bianco parlait « d’essoufflement » des relations UE-Russie . L’élargissement européen n’a pas, c’est un fait, simplifié les relations entre la Russie et l’Union Européenne . Le pipe Nord Européen, tant décriés par certains membres de l’UE, Pologne en tête, relève on l’a vu de l’initiative bilatérale. De même les britanniques ont lancé en 2003 un dialogue énergétique spécifique, qui vient en quelques sorte suppléer le partenariat UE-Russie. Les lacunes du dialogue UE-Russie se font également sentir dans le domaine nucléaire, sensible à tout point de vue et dans lequel la France possède pourtant une place importante. La politique actuelle de la Russie dans le secteur nucléaire suscite, à terme, des tensions entre partenaires européens (notamment la poursuite de la coopération nucléaire avec l’Iran). D’autres aspects, proposition d’un site de stockage international sur son territoire pour le combustible usé, mise en place d’une offre de combustible en leasing, vont potentiellement à l’encontre de la sécurité nucléaire globale et des intérêts des acteurs français du secteur.

    Compter sur la seule dynamique européenne pour assurer le maintien de relations énergétiques avec la Russie ne va ainsi pas de soi et une certaine bilatéralistaion des relations de certains de nos partenaires européens semble en prendre acte.

    Qu’en est-il pour la France ? Si la France participe en 2004 à la reprise de l’Investissement Direct Etranger en Russie, elle ne figure qu’au 7ème rang des pays fournisseurs d’IDE (433 millions de dollars en 2004). La frilosité des investissements français est par ailleurs ici traditionnelle, la Russie figurait fin 2003 en 32ème place des pays destinataires des investissements directs français. Dans le secteur énergétique, hormis Total qui se place en situation d’investisseur , les entreprises françaises leader Gaz de France, Suez, EDF, AREVA ne semblent pas avoir de stratégie d’investissement qui permette de constituer des partenariats industriels de long terme avec la Russie.

    S’agissant de sécurité énergétique, il appartient à l’Etat de chercher à connaître les causes de cette frilosité, sans doute liée à l’absence d’instruments satisfaisants de garantie des investissements. Il peut par ailleurs sembler regrettable qu’alors même que des entreprises du secteur énergétique se sont montrées pionnières dans certains domaines, comme EDF dans celui de la mise en sûreté des centrales nucléaires, la coopération bloque sur des questions administratives ou d’insuffisant investissement politique. Ainsi la coopération dans le domaine nucléaire (essentiellement la mise en sûreté de la centrale de Kalinine) ne connaît pas d’avancée sensible, alors que la France et la Russie partagent certaines options de fonds.

    L’investissement dans l’efficacité énergétique est particulièrement important dans la problématique russe actuelle. Le potentiel d’économie d’énergie de la Russie pourrait atteindre, selon la Commission européenne , 430 millions de tonnes d’ici 2020, soit l’équivalent de la production de l’Arabie Saoudite. A l’inverse, sans amélioration dans ce domaine et compte tenu de la croissance russe actuelle les capacités d’exportation du pays disparaîtraient dès 20015. L’efficacité énergétique pourrait constituer une thématique spécifique de la coopération bilatérale de manière à impliquer plus largement les entreprises françaises concernées, et à aider la Russie à se doter d’une réelle politique publique et d’instruments de financements spécifiques en la matière. La rentabilité de ces investissements ne fait par ailleurs pas de doute (économiser 1 tonne équivalent pétrole demande 80 Euros d’investissements, il en faut 150 pour produire une tonne supplémentaire compte tenu de la situation des nouveaux gisements) . Parvenir à un accord franco-russe dans le domaine de la mise en œuvre des mécanismes de flexibilité du protocole de Kyoto est à cet égard un élément hautement sensible d’un dispositif bilatéral qui mériterait d’être élargi.

    La vente par la France (Caisse des Dépôts) de logiciels permettant la mise en place d’un registre informatique d’enregistrement des crédits d’émission pourrait, comme la participation de Gaz de France au Pipe Nord européens, servir dans un proche avenir de test de la crédibilité française. Au delà, il nous faut répondre de manière plus spécifique aux besoins de la Russie dont la recherche de partenariat va bien au delà de relations clients fournisseurs.
    Benoit Rauzy
    05-12-06

  • La Russie, le plus grand pays du monde, est incontournable (dans tous les sens du terme !).
    Il faudra désormais compter avec les Russes.
    Ils ont des projets précis, bien étudiés et qui tiennent compte de l’intérêt de tous : les Russes sont intelligents. Ils travaillent à long terme et savent que les justes rapports économiques sont aussi les plus durables.
    Quelle différence avec la course au profit à court terme des multinationales , quelle leçon.
    Les Russes, possédant tout, n’ont besoin de personne. Ils peuvent vivre en autarcie et l’ont déjà fait dans leur histoire, alors que n’importe quel autre pays s’écroule en quelques mois dans les mêmes conditions.
    Mais les Russes, bons princes, ouvrent leur porte aux autres.Ils ont payé la dette d’Eltsine au FMI, rubis sur ongle, anticipativement !
    Ils décident désormais de leur sort. La croissance y est de 13%.Mais ils n’oublient pas l’environnement : travaillant toujours sur le long terme, ils savent que ce défi ne peut-être éludé.
    Cessons, par media interposés, de donner des leçons aux Russes : ce sont eux nos professeurs.
    Passionnés et patients, ce sont des gens d’idéaux et d’idées. S’ils aiment le faste, ils sont aussi capables de frugalité et ne connaissent guère l’avidité, notre cher défaut en Occident. Je parle au niveau des milieux d’affaires.
    Ecoutons les Russes.
    little light