Accueil > La culture, une énergie créatrice.

La culture, une énergie créatrice.

Publie le mercredi 31 mars 2010 par Open-Publishing

Intervention du président de l’Union Nationale des Écrivains et Artistes de Cuba

La culture, une énergie créatrice.
De Miguel BARNET

photo : lecture collective faite aux ouvriers dans une fabrique de cigares, Cuba.

La culture est la plus riche construction de l’esprit et de l’intelligence humains. Loin, désormais des homo-ludens, nous sommes, c’est du moins l’illusion que nous nous faisons, des homo-sapiens. Et puisque nous parlons de mondialisation, même s’il est vrai que nous n’avons pas assez évolué, nous ne sommes plus les chimpanzés ni les cancrelats qui vivent guidés par leur instinct inné et non par leur réflexion. Je crois que des rencontres comme celle-ci doivent servir pour améliorer notre condition humaine. La Culture, d’un point de vue anthropologique, est un phénomène global qui produit des biens spirituels et matériels. Comme l’a dit le penseur cubain Fernando Ortiz, elle n’est ni un luxe ni un ornement, mais une nécessité, une énergie créatrice. La Culture apporte sécurité, équilibre et garantit la sauvegarde de la mémoire historique ; et dans sa vision plus multiforme et concrète, elle est une valeur permanente qui, une fois assimilée et appréhendée, constitue une force indestructible face à toute menace. Elle est le creuset de l’identité qui, assimilée, devient inamovible.

L’économie, dans sa dépendance envers les circonstances historiques, est en perpétuelle évolution et fluctue selon la boussole des pouvoirs hégémoniques et médiatiques. L’assomption de la culture est l’outil le plus puissant à notre disposition pour repousser la pression colonialiste qui mixe les valeurs originelles des êtres humains.

La culture est la plus haute expression de l’économie et de la politique. On parle aujourd’hui plus que jamais de diversité culturelle, de multiculturalisme, de plurilinguisme et de la nécessité de comprendre l’Autre. Parlons-nous là de simples abstractions théoriques ou bien sommes-nous en train de penser sérieusement, avec profondeur et non pas avec un critère simpliste, manichéen et démagogique ?

Je crois que pour la première fois nous revenons à l’introspection, à l’analyse et à l’exploration psychique que préconisait la génération beat des années 50, à une recherche effective des valeurs spirituelles les plus chères, à un changement de perspectives, capable de nous désaliéner et de nous rendre la foi en nous-mêmes et en nos potentialités individuelles.

Ce siècle-ci doit être le siècle de la culture ou tout simplement il ne sera pas. Je crois que pour la première fois, depuis bien longtemps, le soi-disant monde civilisé occidental s’est fait une grande frayeur et il faudra bien que le choc serve à quelque chose. Qu’allons-nous faire pour nous sauver, pour améliorer notre condition humaine, pour vivre en paix et en harmonie avec nos congénères ? Nous faudra-t-il retourner boire aux sources originelles, tirer le lait du pis de la vache peut-être ? C’est seulement avec une vision culturelle fondée sur des paramètres justes que nous pourrons atteindre la fin de ce but ? En attendant, comme le chien et le chat, avec des gants de soie, allons-nous nous arracher les yeux, allons-nous continuer à nous entredévorer en silence avec de fausses et autoritaires considérations, avec des attitudes orgueilleuses qui ne mènent qu’à l’étroitesse, avec des préjugés enracinés et une cécité intellectuelle ?

Défense de la culture de l’autre, assimilation et non pas tolérance qui est un mauvais mot qu’il nous faut abolir des dictionnaires. Unité pour conduire à la diversité et non à l’anarchie, à l’autoritarisme et à la tyrannie, comme l’écrivit Pascal. Brandir une supériorité technologique, économique ou politique est aussi grave que de brandir des valeurs moyenâgeuses sous le masque d’une spiritualité fondamentaliste ou obscurantiste.

Le nœud gordien de la philosophie occidentale se situe dans le fait qu’elle ne s’est pas posée la question de la compréhension profonde de l’autre. Seule l’anthropologie est capable de nous éclairer dans cette direction. Que le multiculturalisme soit source de richesse et non pas pâture d’un rationalisme stérile. Un multiculturalisme pour établir une interaction culturelle, pas pour être un frein à la capacité créatrice de l’être humain. Multiculturalisme pour concevoir l’identité comme un processus progressif et non comme un phénomène statique. Multiculturalisme, enfin, comme armure pour faire face à l’offensive uniformisante de la mondialisation.

Il s’agit de créer un humanisme réel, pas une abstraction théorique, un humanisme qui soit un mécanisme mis en pratique dans tous les ordres de la société, tant dans les droits politiques que sociaux et économiques. Un humanisme durable et pour tous. Un humanisme, je le répète, intégrateur, qui fasse honneur à cette expression poétique de totale transparence que nous a laissée José Martì lorsqu’il écrivait : La Patrie est humanité.

L’anthropologie sociale est aujourd’hui aussi utile à l’être humain que la Médecine, parce qu’elle guérit ou cherche à guérir ce qu’on appelle les différences et les préjugés. Et guérir un préjugé c’est plus difficile que de guérir une maladie maligne. Un jour Einstein a dit qu’il était plus facile de décomposer un atome que de guérir d’un préjugé. Que va-t-il se passer lorsque les peuples africains et asiatiques entreront dans la bataille scientifique pour l’étude approfondie des contradictions de l’Occident ? Ne vont-ils pas nous regarder avec curiosité ? Beaucoup de peuples que nous appelons primitifs ne vont-ils pas penser que nous sommes une masse lunatique, égocentrique et égarée, plongée dans une névrose incurable ? Qu’a fait l’Occident pour se désaliéner de l’obsession de l’argent ?

Le dernier mot c’est le temps qui le dictera. Mais pour que le temps devienne réalité il faudra compter avec la profonde raison de l’autre, sans ce paternalisme qui trouble le regard, sans ces préjugés absurdes qui nous ramènent à l’Âge de Pierre, mais avec une analyse qui fasse réalité cette réflexion philosophique dont Shakespeare, Borges ou Rimbaud se sont emparés et qui sûrement date du jour où l’homme a regardé pour la première fois fixement à l’intérieur de lui-même et s’est dit : Je suis l’autre.

Nous parlons de mondialisation et d’économie et l’économie est une ancienne forme de la culture. Elle doit donc prendre en considération l’autre. Il faut que sur cette planète en effervescence prévale une économie de l’échange et de la solidarité qui puisse aboutir à un bilan juste. Elle doit se fonder sur des principes et non sur des intérêts vils et mesquins ; elle doit condamner toute forme d’inculture et de barbarie.

L’Empereur corse qui arracha des mains du Pape la couronne pour la poser lui-même sur sa tête, a dit un jour que la guerre se gagnait avec de l’argent, avec de l’argent encore et encore de l’argent. Il s’est trompé cet empereur orgueilleux, comme se trompent les empereurs contemporains, parce que Waterloo fut perdue non par manque d’argent, mais par manque de principes, de valeurs identitaires, comme fut perdu le Vietnam et comme, infailliblement, sera perdu l’Afghanistan.

Utilisons l’argent pour mondialiser les valeurs éternelles de l’esprit, les valeurs de la dignité et de la fraternité qui sont les valeurs de la culture. Que cesse l’investissement de budgets faramineux dans des guerres de rapines, dans des essais nucléaires souterrains et sous-marins qui sont en train de détruire notre planète en provoquant des séismes terribles et des phénomènes météorologiques jusqu’ici inconnus. Sauvons l’humanité de l’oisiveté stérile, de la banalité, de la violence, des abus sexuels, des discriminations raciales et religieuses. Réveillons la Culture qui est l’unique patrie de tous les hommes et qui est la seule chose utile pour nourrir la vie et notre pain quotidien. Serrons les rangs en faveur de l’équilibre du monde. Ne décevons pas les attentes des générations qui viennent. Nous sommes responsables du plus humain et du plus juste sens de la vie. Ne perdons pas de temps. Le futur c’est déjà le présent.

Miguel Barnet
 http://www.rebelion.org/noticia.php...

Traduction Manuel Colinas

Source :
 http://www.juventudrebelde.cu/cuba/...

URL de cet article
 http://www.legrandsoir.info/La-cult...