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Un Forum social européen si loin si proche

Publie le jeudi 14 octobre 2004 par Open-Publishing
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Des centaines de Français, associations et ONG se rendront en Angleterre ce week-end.
En ces temps de débat sur la constitution européenne, l’événement devrait pourtant êtrecentré sur l’opposition à la guerre en Irak.

de Thomas Lemahieu

Cela promet d’être à la fois terriblement familier et singulièrement dépaysant.
Après Florence en 2002 et Paris-Saint-Denis-Bobigny-Ivry en 2003, la coalition de syndicats, d’associations et d’ONG qui organisent la déclinaison continentale des rencontres mondiales de Porto Alegre et de Mumbai ont décidé d’implanter le troisième Forum social européen plus près du coeur de la mondialisation financière et du nerf de la « guerre préventive » : à Londres, dans la capitale d’une Grande-Bretagne dont le gouvernement range les troupes derrière George W. Bush pour la croisade contre "l’axe du mal" et où, depuis le début des années quatre-vingt, de Margaret Thatcher à Tony Blair, la protection sociale et les services publics subissent de plein fouet les effets des politiques néolibérales. C’est là, à la périphérie de ce laboratoire à ciel ouvert, dans un quartier du nord londonien, que pendant trois jours, du vendredi 15 octobre au dimanche 17, au cours d’un FSE plus réduit que les éditions précédentes, quelque 20 000 participants devraient débattre des alternatives à la mondialisation actuelle et du rôle de l’« autre Europe pour un autre monde » qu’ils appellent de leurs voeux dans un slogan.

Or, à l’heure du débat sur la constitution européenne, alors que la directive Bolkestein de libéralisation des services dans l’Union européenne est au menu des discussions d’une nouvelle Commission pressée d’en découdre avec les restes du modèle social européen, ce FSE risque paradoxalement d’être peu « européen » dans sa coloration globale : ainsi un seul séminaire sera consacré au traité constitutionnel européen avec la participation, entre autres, de Bernard Cassen (ATTAC France), Titti Di Salvo (CGIL) et de Patrice Cohen-Seat (Espaces Marx).

Les mouvements britanniques, ou en tout cas ceux qui tiennent le devant de la scène à Londres, ont en effet décidé de concentrer l’événement sur l’opposition à la guerre et, dans une moindre mesure, la dénonciation du racisme. Les affiches qui appellent à la grande manifestation de clôture du FSE dimanche prochain font mention d’un défilé sous le slogan « Il est temps de partir. Bush dehors ! Les troupes hors d’Irak ! »

Probablement présents en moins grand nombre qu’à Florence, les centaines de Français qui feront le déplacement à Londres ont pris leur parti de cette situation : la densité du programme (une cinquantaine de plénières, des centaines de séminaires et d’ateliers) devrait permettre à tout le monde de trouver plusieurs orateurs intéressants, de commencer, selon une pratique désormais bien intégrée, à nouer des relations « horizontales » avec des organisations ou des militants.

Les syndicalistes de la CGT Virgin espèrent bien rencontrer leurs homologues des magasins londoniens sur la fameuse Oxford Street ; Patrick Gimond (APEIS) participera de son côté à l’assemblée européenne des chômeurs ; Magali Giovannangeli, première adjointe (PCF) au maire d’Aubagne, intervient dans un séminaire sur la démocratie participative ; pour la première fois, la CGT dépasse le cadre strict de l’échange et du débat, et, en organisant directement, par exemple, un séminaire pour une « Europe vecteur de développement durable », se met en situation d’élaborer, avec d’autres acteurs, des alternatives et de poursuivre les discussions après le FSE. « C’est un point de départ d’une discussion sérieuse avec les mouvements écologistes, espère Jean-Michel Joubier (CGT). Il y a des éléments, comme le nucléaire, par exemple, qui nous séparent incontestablement. Mais est-ce qu’on peut laisser de côté ce qui nous divise pour travailler quand même ensemble ? C’est ce qu’on va voir... » Dans cette veine, des centaines de Français se rendront à Londres avec un objectif parfois très spécifique.

À un niveau nettement inférieur aux deux premiers, le troisième FSE est financé par la mairie de Londres, les syndicats britanniques et les droits d’inscription des participants. Aux yeux de Sophie Zafari (FSU), « le mouvement syndical britannique prend toute sa place même s’il accorde traditionnellement moins d’attention que nous aux questions européennes ». « Dans ce contexte, la dimension européenne du forum devient de nouveau un défi, pousuit-elle. Nous pensons que des questions importantes pour le mouvement altermondialiste comme la guerre, l’OMC, le FMI et d’autres, doivent être prises également à partir des responsabilités européennes. »

Pour Annick Coupé (G10 Solidaires), « il ne faut pas perdre de vue que nous n’en sommes qu’au troisième FSE, mais c’est vrai, il y a une grosse impatience quand on voit qu’avec la constitution, les orientations de l’Union européenne risquent d’être gravées pour longtemps ». « Tout le monde est d’accord pour protester contre la guerre en Irak, contre Bush, mais l’enjeu de ce FSE de Londres, ce devrait être aussi de déboucher sur des campagnes réellement européennes », estime-t-elle encore.

Du côté d’ATTAC, Christophe Ventura ne se prive pas de déplorer une certaine marginalisation des questions sociales et institutionnelles proprement européennes dans le programme du FSE. « On essaie de peser pour rattraper ce qui n’est pas une évidence pour les Anglais, à savoir que le FSE est un forum européen, affirme-t-il. Comme en 2002 et en 2003, on veut donner une cohérence d’ensemble en arc-boutant le forum sur l’Europe, un échelon traditionnellement trop délaissé par le mouvement altermondialiste, mais bon... Quoi qu’il en soit, l’important aujourd’hui, c’est que ce FSE soit un succès en Angleterre, dans cette nouvelle mère patrie du libéralisme. Le processus de préparation et d’organisation du FSE devrait de toute façon laisser des traces là-bas : avant de commencer, le "mouvement" anglais était atomisé ; désormais, les ONG, les syndicats, les collectifs se parlent et ce n’est pas un résultat anodin pour les Britanniques. »

« Chaque forum social est naturellement marqué par le pays où il se déroule, rappelle Élisabeth Gauthier (Espaces Marx). Alors, c’est vrai, en Grande-Bretagne, les mouvements ont tendance à reproduire une espèce de forum social mondial en sous-estimant les 4hématiques proprement européennes. Les Anglais sont très structurés par le mouvement contre la guerre de Bush et de Blair en Irak. Par ailleurs, nous allons aussi être confrontés à une société où le communautarisme est très développé, mais la Grande-Bretagne, c’est aussi un pays qui vit la fin d’un cycle avec une social-démocratie complètement gagnée par le libéralisme ; pour les Français, c’est intéressant de se frotter à ces réalités différentes. La préparation du FSE n’a pas été vraiment satisfaisante, cela peut provoquer des chocs, mais il faut voir maintenant si cela fait, malgré tout, apparaître de nouvelles formes politiques. »

Parmi les jeunes du collectif Vamos, à l’inspiration zapatiste, on prend les choses avec plus d’entrain : « C’est important d’aller à Londres parce qu’ils ont des traditions politiques et sociales différentes des nôtres, invite Marie-Laure Geoffray. Il existe des courants qu’on ne connaît pas très bien ? Tant mieux ! Il faut s’acculturer tous les uns les autres pour apprendre et revenir plus forts. »

http://www.humanite.presse.fr/journal/2004-10-12/2004-10-12-402145

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