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Emile Pouget : "L’action directe, c’est la libération des foules humaines"

Publie le lundi 20 septembre 2010 par Open-Publishing
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de Paco

Les éditions Agone publient un livre qui tombe à pic au cœur d’une série de manifestations contre la réforme des retraites ou contre la politique sécuritaire du gouvernement. Manifestations imposantes, mais néanmoins impuissantes pour changer radicalement le cours des choses. Et si nous revenions aux fondamentaux du syndicalisme révolutionnaire, action directe, grève générale et sabotage à l’appui ? En ce sens, la lecture de L’Action directe ne relève aucunement d’une quelconque nostalgie, mais bel et bien d’une invitation à construire immédiatement un autre futur avec d’autres armes que les grèves sans lendemain. Émile, reviens, ils sont devenus mous !

Rassemblés et présentés par Miguel Chueca, les textes présents dans L’Action directe et autres écrits syndicalistes (1903-1910) sont signés Émile Pouget (1860-1931). Celui qui fut le pamphlétaire fondateur du Père Peinard, journal hebdomadaire anarchiste resté célèbre pour son argot fleuri, témoigne du chemin parcouru par de nombreux anarchistes français à la fin du XIXème siècle vers le syndicalisme révolutionnaire. S’écartant des groupes libertaires qui animaient des cercles d’études sociales, Émile Pouget s’engagea dans la jeune et bouillonnante CGT de 1901. Personnage ardent, l’ex-gniaff (cordonnier) en devint le secrétaire aux fédérations professionnelles et, toujours journaleux, le responsable de l’hebdomadaire La Voix du Peuple, l’organe central de la CGT.

Les quatre brochures reproduites dans l’ouvrage sont le B.A. BA du syndicalisme révolutionnaire. On peut également y lire trois textes relatifs à la campagne pour la journée de huit heures lancée en 1904, époque où l’ordre social était au moins aussi insupportable et intolérable qu’aujourd’hui. Si, malgré la répression et les sirènes réformistes d’alors, nos Anciens ont été capables de prendre des chemins radicaux pour lutter contre les richards, les capitalos, les roussins, les cléricochons et autres « vermines à écrabouiller », de quelle maladie souffrons-nous pour être à ce point ankylosés face à l’injustice sociale et à l’arrogance des possédants ?

Il y a souvent un malentendu avec l’expression « action directe ». À peine prononcée, la formule déclenche toutes les procédures anti-terroristes cousues de fil blanc pour traquer l’ultra-autonome. Qui pourrait mieux qu’Émile Pouget expliquer ce qu’un syndicaliste révolutionnaire entend par là. Écoutons-le en espérant que cela suscite quelques vocations dans les rangs des syndicats domestiqués et au-delà :

« L’action directe, c’est la libération des foules humaines, jusqu’ici façonnées à l’acceptation des croyances imposées, c’est leur montée vers l’examen, vers la conscience. C’est l’appel à tous pour participer à l’œuvre commune : chacun est invité à ne plus être un zéro humain, à ne plus attendre d’en haut ou de l’extérieur son salut ; chacun est incité à mettre la main à la pâte, à ne plus subir passivement les fatalités sociales. L’action directe clôt le cycle des miracles – miracles du ciel, miracles de l’État – et en opposition aux espoirs en les « providences », de quelque espèce que ce soit, elle proclame la mise en pratique de la maxime : le salut est en nous ! »

« L’action directe développe le sentiment de la personnalité humaine, en même temps que l’esprit d’initiative. En opposition à la veulerie démocratique, qui se satisfait des moutonniers et des suiveurs, elle secoue la torpeur des individus et les élève à la conscience. Elle n’enrégimente pas et n’immatricule pas les travailleurs. Au contraire ! Elle éveille en eux le sens de leur valeur et de leur force, et les groupements qu’ils constituent en s’inspirant d’elle sont des agglomérats vivants et vibrants où, sous le poids de sa simple pesanteur, de son immobilité inconsciente, le nombre ne fait pas la loi à la valeur. Les hommes d’initiative n’y sont pas étouffés et les minorités qui sont – et ont toujours été – l’élément de progrès, peuvent s’y épanouir sans entraves, et, par leur effort de propagande, y accomplir l’œuvre de coordination qui précède l’action. »

« L’action directe a, par conséquent, une valeur éducative sans pareille : elle apprend à réfléchir, à décider, à agir. Elle se caractérise par la culture de l’autonomie, l’exaltation de l’individualité, l’impulsion d’initiative dont elle est le ferment. Et cette surabondance de vitalité, d’expansion du « moi », n’est en rien contradictoire avec la solidarité économique qui lie les travailleurs entre eux, car loin d’être oppositionnelle à leurs intérêts communs, elle les concilie et les renforce : l’indépendance et l’activité de l’individu ne peuvent s’épanouir en splendeur et en intensité, qu’en plongeant leurs racines dans le sol fécond de la solidaire entente. »

« L’action directe dégage donc l’être humain de la gangue de passivité et de non-vouloir, en laquelle tend à le confiner et l’immobiliser le démocratisme. Elle lui enseigne à vouloir, au lieu de se borner à obéir, à faire acte de souveraineté, au lieu d’en déléguer sa parcelle. De ce fait, elle change l’axe d’orientation sociale, en sorte que les énergies humaines, au lieu de s’épuiser en une inactivité pernicieuse et déprimante, trouvent dans une expansion légitime l’aliment nécessaire à leur continuel développement. »

Des phrases qui pourraient avoir été écrites ce matin. Qu’elles inspirent les grévistes et les manifestant-e-s qui ne doivent ni se laisser casser par la droite dure ni se laisser duper par la gauche molle. Vive la sociale !

Émile Pouget, L’Action directe et autres écrits syndicalistes (1903-1910), textes rassemblés et présentés par Miguel Chueca, 304 pages, éditions Agone. 18€.

Rencontre avec Miguel Chueca le jeudi 23 septembre, à 19h30, à la librairie Envie de lire (16, rue Gabriel-Péri, à Ivry-sur-Seine. Métro mairie d’Ivry).

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