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Jann-Marc Rouillan conjugue son histoire à l’infinitif présent

Publie le lundi 25 octobre 2010 par Open-Publishing

de Paco

Les éditions La Différence viennent de publier un nouveau livre de Jann-Marc Rouillan, Infinitif présent. Le militant révolutionnaire, toujours détenu à Muret, revient sur une période qui couvre l’après 68 jusqu’à la fin des années 80. Le récit se termine sur la douloureuse agonie de Joëlle Aubron, militante d’Action Directe décédée en 2006 des suites d’un cancer développé en prison.

Dans un courrier daté du 11 septembre 2010, Jean-Marc Rouillan m’annonçait la sortie imminente d’Infinitif présent. « Un livre écrit voilà quatre ans (peut-être +) quand j’étais à Lannemezan et qui est une chronique des dernières discussions avec Joëlle. » En réalité, l’ouvrage couvre une période bien plus large. La longue chronique, écrite en un seul chapitre de 311 pages, est alimentée par les souvenirs glanés au cours d’un terrible périple carcéral. Fresnes, Fleury-Mérogis, Lannemezan, Saint-Maur, Marseille, Lyon, Moulin… Rouillan a connu bien des murs depuis son arrestation à Vitry-aux-Loges, le 21 février 1987, en compagnie de Nathalie Ménigon, de Joëlle Aubron et de Georges Cipriani, militant-e-s d’Action Directe (AD).

Ce sont des photos conservées dans un album ou punaisées dans sa cellule qui déclenchent des voyages dans le temps. On y découvre des images du pays du dedans, mais aussi des souvenirs de la vie clandestine, des planques, des actions qui peuvent remonter jusqu’aux chaudes heures du Mouvement ibérique de libération (MIL), au temps de la lutte anti-franquiste avec Salvador Puig Antich, le dernier militant garrotté par Franco en 1974. Le jeune Rouillan a été nourri par les récits des vieux militants anarchistes et communistes. Il se souvient par exemple d’un maçon rescapé de bien des batailles qui se fit végétarien pour tenter d’échapper à l’odeur de la chair humaine carbonisée.

L’histoire espagnole est tatouée sur la mémoire de Rouillan depuis avant même sa naissance, en 1952. Une photo prise au camp de concentration de Gurs, non loin de Lannemezan, est épinglée sur son tableau d’affichage réglementaire. Gurs a été ouvert en avril 1939 pour parquer les vaincus de la révolution espagnole. Combattants républicains, Basques, volontaires des Brigades internationales y ont été entassés par milliers. Des résistants, des juifs et des gitans prendront leur place par la suite…

La bande son du livre mélange Léo Ferré, John Lennon, François Béranger, Jefferson Airplaine, The Who… Des refrains accompagnent un kaléidoscope d’événements. « Il suffit d’un mot, d’une odeur, et la mécanique se met en route. Dans le plus flagrant désordre. » On pense au célèbre poème de Georges Pérec, Je me souviens. Rouillan fait aussi un clin d’œil à Henry Miller dans Souvenirs, souvenirs. Sans oublier La Chanson du mal aimé, de Guillaume Apollinaire : « Mon beau navire ô ma mémoire / Avons-nous assez navigué / Dans une onde mauvaise à boire… »

La vie dans le pays du dedans est ponctuée de brimades, de mauvais traitements, de transferts arbitraires, de fouilles à répétition, d’angoisses… Autour de Rouillan, on voit tout ce que la France compte de rebelles : militants d’AD, Corses, Basques, Bretons (dont un curé du FLB qui planquait de l’explosif dans son église)…, mais aussi espions de l’Est, « vedettes » des faits divers qui font les choux gras des médias et même un ami de Charles Pasqua qui est tombé pour une histoire de fausses factures. Très mal en point, le vieux méditait sur les supposées prisons quatre étoiles montrées du doigt par Le Figaro. Mais on ne tire pas sur un corbillard. « Vous êtes très gentil », dit-il à Rouillan sur le ton de la gratitude et du désespoir. Réponse : « Et pourquoi en serait-il autrement ? » « J’étais incapable d’être méchant avec ce type jeté à mes pieds dans ce monde sans pitié. Si je suis dur au combat, je n’ai pas la fibre tortionnaire », explique le « terroriste ».

Parfois, les images entraînent Jann-Marc loin des miradors. Il replonge alors dans les plis et les replis de l’action militante, les braquages de banque, les attentats au ministère du Travail, au secrétariat à la main-d’œuvre étrangère, au siège de la Sonacotra… On croise dans ces paragraphes pas mal de militant-e-s de la Fraction armée rouge (RAF) allemande et des groupes armés italiens. La création d’un front anti-impérialiste européen était dans l’air. Certaines phrases ont des trous. S’il y a prescription en France, l’Allemagne, vingt ans après, semble vouloir ouvrir les vieilles plaies et traque toujours certains militant-e-s.

Infinitif présent nous offre des pages intéressantes sur la clandestinité. Rouillan va contrarier l’histoire officielle écrite par les politiciens, les flics et les journalistes aux ordres. En prime, il a le talent de mêler le sérieux au comique comme ce match de foot AD contre RAF dans un pré, comme ces soirées télé pour regarder les films de Jean Rouch (Cocorico, monsieur Poulet !...) sur Arte, comme ces rencontres fortuites avec Roland Barthes dans l’escalier d’une planque. « Vous n’êtes pas bruyants pour des jeunes », leur dit-il. Imaginer Rouillan, porteur d’un sac rempli d’armes, parler de Fragments d’un discours amoureux avec son auteur ne manque pas de piquant ! Disant cela, on imagine que les planques d’Action Directe ne se trouvaient pas toutes en banlieue. Intellectuels et artistes accueillaient parfois les hors-la-loi. Il est question d’une journaliste qui véhicula les militants dans Paris juste avant d’aller manger chez François Mitterrand, rue de Bièvre. C’est grâce à ce genre de porosité que les militants apprirent par ailleurs que Mitterrand avait missionné les services secrets pour les liquider en Belgique. Ceci dit, que les tenants de l’ordre se rassurent, la plupart de ces bobos intellos sont vite redevenus serviles. Certains sont bien placés dans les médias, les affaires et la politique. « Aucun d’eux n’a signé la pétition pour notre libération », précise Rouillan. L’un des plus imminents pétitionnaires de Saint-Germain-des-Prés a même vertement rembarré une dirigeante du Parti communiste qui le sollicitait.

Bien équipés en scanners et autres appareils d’écoute pour suivre les déplacements de la police, les militant-e-s d’Action Directe ont longtemps joué au chat et à la souris. Ce fut le cas lors d’une réunion du printemps 1983 à Gentilly. Il y avait des Français, des Italiens et le contact d’une organisation de guérilla sud-africaine. En projet, l’attaque d’une usine d’armement qui, malgré l’embargo, fabriquait des blindés pour le régime de l’apartheid. Bravo le gouvernement « socialiste ». Grâce au contrôle des ondes radio de la police, Nathalie Ménigon pu détecter à temps une filature qui se dirigeait droit sur eux.

Parfois, c’est de leur balcon que les militants observaient leurs cibles. En juillet 1979, la planque se situe à l’Haÿ-les-Roses. Leur voisin, ingénieur général de l’armement, numéro deux de la principale usine de missiles militaires, a son jardin sous leurs fenêtres. « Il me fait penser à Landru taillant ses rosiers. On lui donnerait le bon Dieu sans confession », lâche Rouillan à sa compagne. Coïncidence, le 20 heures parle d’une guerre lointaine où les missiles français font des merveilles avec une précision « chirurgicale ». En fait, de la boucherie industrielle. « Vous qui vous cachez derrière des bureaux / Je veux simplement vous faire savoir / que je vois à travers vos masques », chante Bob Dylan dans Masters of war. « Les génocidaires de notre temps sont les héros « innocents et généreux » des grandes sagas industrielles et politiques », constate Rouillan.

C’est Joëlle Aubron, alias Belette, qui occupe l’essentiel des dernières pages. Joëlle, touchée par un cancer au cerveau, a obtenu une suspension de peine pour raison médicale, selon ce que prévoit la loi Kouchner. Manière de dire « Va crever ailleurs, on t’a assez vue traîner ici. » Accueillie par des poings levés, par des drapeaux rouges ou rouge et noir, elle est sortie du centre de détention de Bapaume le 16 juin 2004. Rouillan suit l’agonie de son amie au téléphone. Entre maux de tête foudroyants et hautes doses de morphine, la conversation est difficile. Le 1er mars 2006, Jean-Marc apprend la nouvelle sur LCI. « La prison est étrangement silencieuse. Dans le couloir, près des cabines, une quinzaine de prisonniers attendent en chuchotant. A mon arrivée près d’eux, ils me serrent les mains. Certains profèrent des mots vengeurs contre les juges et le pouvoir. Eux savent que notre détention fut une véritable entreprise de destruction… »

Au fait, pendant que nous y sommes, rappelons que Jean-Marc Rouillan, le roi des baluchonnés, est toujours en prison à Muret alors qu’il est atteint du syndrome de Chester-Erdheim et qu’il a terminé sa peine de sûreté en 2005. Début octobre, il a fêté « l’anniversaire » de sa réincarcération suite à un entretien publié par un hebdomadaire. « 2 ans ! 2 ans ! et ils n’ont pas examiné une fois mon dossier ! 2 ans pour une interview… Si dans les années 70 ou 80 on m’avait dit que je ferais 2 ans pour mes écrits, je n’y aurais pas cru… On voit à quelle vitesse le pays plonge dans la réaction », m’écrivait encore le militant écrivain.

Assez d’acharnement. Liberté immédiate pour Jean-Marc Rouillan et pour son double Jann-Marc !

Jann-Marc Rouillan, Infinitif présent, éditions de La Différence, 311 pages, Couverture signée Dado. 18€.

Pour écrire à Jean-Marc Rouillan : # 9590 B139 Centre de détention de Muret route de Seysses 31600 Muret.

Plus d’infos (textes, collages, photos, poèmes) sur Joëlle Aubron en allant sur :

- le blog linter.

- le blog Action Directe.

(illustration : hommage à Joëlle Aubron au mur des Fédérés)

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