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Des associations féministes contre le sexisme médiatique

par Ugo Palheta

Publie le jeudi 3 novembre 2011 par Ugo Palheta - Open-Publishing

Les contributions médiatiques à la banalisation des violences faites aux femmes ne pouvaient pas, ne devaient pas rester sans répliques. Un appel à manifester samedi 5 novembre à Paris a été lancé. À cette manifestation, Acrimed sera présent.

« L’affaire DSK » fut un puissant révélateur du sexisme ordinaire et de sa promotion médiatique. Elle a donné lieu à une surabondance d’images et à une prolifération de propos réactivant les pires clichés sexistes. Nous l’avions évoqué ici même. Mais un livre collectif récemment paru, dont nous rendrons compte prochainement – Un troussage de domestique [1] –, décrypte précisément ce déferlement.

Rappelant la réaction spontanée de quelques éditocrates lors d’une autre affaire, impliquant le réalisateur Roman Polanski [2], certains habitués des grands médias y ont pris une part non négligeable. Qu’on pense à la solidarité inconditionnelle d’un Bernard-Henri Lévy s’indignant que Dominique Strauss-Kahn ait été « jeté aux chiens » ou à Jean-François Kahn réduisant le viol dont DSK était accusé à un simple « troussage de domestique ».

Trop, ce n’était manifestement pas assez ! Dans deux articles publiés il y a quelques semaines, l’un sur une émission de RMC (le « Moscato show ») et l’autre sur le journaliste Ivan Levaï revenant sur l’ « affaire DSK », nous avions relevé de nouvelles manifestations de cette banalisation des violences et des humiliations faites aux femmes. Quand elles ne sont pas imputées à la barbarie présumée de hordes de jeunes peuplant les quartiers populaires et s’adonnant à de régulières « tournantes » [3], ces violences sont rendues quasiment invisibles et certaines formes de harcèlement sont – au second degré, nous dit-on – présentées comme des jeux. Tel est le cas quand on avance – comme un chroniqueur de l’émission de RMC citée plus haut – que « la vie de groupe c’est d’aller sortir le chichi à la femme de ménage ».

Tout à la défense de son ami personnel (DSK), Ivan Levaï recourait quant à lui à quatre « arguments » qui ne sont rien moins que quatre idées (sexistes) reçues sur le viol :
- la femme séductrice : « qui a fait des avances à qui ? » ;
- le recours nécessaire à une arme : « pour un viol, il faut un couteau, un pistolet » ;

- la disparité physique : « Vous avez vu la taille des deux ? Euh… Elle est euh… Bon. Enfin, bref » ;
- le mensonge : « je sais aussi que sur les 75 000 crimes qui font l’objet de déclarations de viol à la police et, éventuellement, qui débouchent en justice, 10 % sont des fantasmes et des faux ».

L’émission de Vincent Moscato et les propos d’Ivan Levaï ne sont pas restés sans réplique, comme le montrent les interventions publiques d’associations féministes comme « Osez le féminisme » et « La Barbe ». Voici quelques extraits de cette critique féministe des médias.

- « La Barbe », qui se définit comme un « Groupe d’action féministe », exprime sa colère en tournant en dérision les animateurs du « Moscato Show », dans un communiqué publié le 7 octobre : « C’est pourquoi, aujourd’hui, sans faire de chichi, La Barbe se réjouit que les aventures en terrain hôtelier de quelques rugbymen britanniques aient donné lieu de la part des chroniqueurs de RMC à des saillies pleines de vigueur, à des propos fièrement couillus venus rappeler avec bonheur aux auditeurs, à la France, au monde entier, les valeurs viriles de la radio RMC ».

Et « La Barbe » de poursuivre (en évoquant la menace d’un procès en diffamation que RMC avait fait peser sur Acrimed le jour même de la parution de notre article) : « Mieux, attaqué par de vils relais journalistiques s’indignant de votre vitalité, voyant de l’incitation au harcèlement sexuel, du déferlement sexiste là où il n’y a que nobles et mâles exigences, traditions ancestrales qui, de tous temps, ont permis de souder les équipes et de faire face à l’adversité, vous avez su, par de fermes menaces, avec la rapidité et la ténacité qui sont les justes attributs dont la nature vous a dotés, réaffirmer votre place et vos droits ».

- L’association « Osez le féminisme » a quant à elle appelé à un rassemblement dès le 7 octobre devant RMC, en reliant ainsi les propos tenus lors du « Moscato Show » et les contre-vérités colportées avec aplomb par Ivan Levaï : « Il est scandaleux que, sur les principales radios de France, à heure de grande écoute, il soit possible d’avouer avoir été auteur de violences sexuelles ou avoir eu connaissance de faits relevant de violences sexuelles sans les avoir jamais dénoncées, en toute impunité. […] Il est scandaleux qu’il soit possible de colporter de telles contre-vérités sur le viol sans qu’à aucun moment ces propos ne soient contredits. L’absence de réaction du CSA ou de nos dirigeants politiques face à la minoration des violences sexuelles est intolérable ».

Logiquement, « Osez le féminisme » a saisi, dans les jours qui ont suivi, le Conseil supérieur de l’audiovisuel, dans les termes suivants :

« Ces deux affaires, à quelques jours d’intervalle, nous paraissent révélatrices de la désinvolture et de l’indécence avec lesquelles les médias abordent la question des violences faites aux femmes et en particulier du viol. […] Nous avions déjà dénoncé en mai dernier le traitement médiatique de l’affaire Dominique Strauss-Kahn et le déferlement de sexisme qui avait accompagné l’éclatement de cette affaire. Notre appel “Sexisme : ils se lâchent, les femmes trinquent” avait recueilli plus de 30 000 signatures en quelques jours. Dans cet appel, nous avions notamment dénoncé la minimisation des violences à l’œuvre dans notre société et dans les médias : blagues sexistes, remise en cause de la parole des victimes de viol, etc. Depuis, nous remarquons que rien n’a changé dans les médias français. Les affaires de viol relèvent toujours de la rubrique “faits divers”, “people” ou “feuilleton politique”. Traiter les violences faites aux femmes de cette façon revient à nier ce que les violences sont réellement : l’expression la plus extrême de la domination masculine qui persiste dans notre société. Traiter les violences faites aux femmes de cette façon renforce la culpabilisation des victimes de violences déjà très importante ».

Pour une part, c’est dans le prolongement de ces prises de position, et de prises de position semblables, qu’est organisée la manifestation parisienne du samedi 5 novembre à Paris.
Nous y serons.

Au début de l’appel, on peut lire notamment : « Les affaires récentes impliquant des hommes politiques ont mis en évidence un déni profond des violences faites aux femmes. Les insultes sexistes, les propos méprisants ont fusé et occupé écrans et colonnes de journaux. À l’heure actuelle, la confusion est grande entre libertinage et violence sexuelle, entre drague et harcèlement sexuel, entre relation sexuelle et viol. Ces affaires sont médiatisées uniquement en raison de la célébrité des hommes concernés. »

Ugo Palheta

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Notes

[1] Un troussage de domestique (coordonné par Christine Delphy), Paris, Syllepse, 2011.

[2] Pour mémoire, Alain Finkielkraut avait notamment déclaré : « Depuis le déclenchement de cette affaire infernale, je vis dans l’épouvante. La France est en proie à une véritable fureur de la persécution, et toute la planète Internet est devenue comme une immense foule lyncheuse. Je pense comme tout le monde que l’enfance est sacrée, mais précisément parce que ce crime est grave, on ne doit pas accuser à tort et à travers [...] Polanski n’est pas le violeur de l’Essonne, Polanski n’est pas pédophile, sa victime, la plaignante, qui a retiré sa plainte, qui n’a jamais voulu de procès public, qui a obtenu réparation, n’était pas une fillette, une petite fille au moment des faits, c’était une adolescente qui posait nue ou dénudée pour Vogue homme, qui n’est pas une journal pédophile ».

[3] Selon le sociologue Laurent Mucchielli, l’incendie médiatique autour des « tournantes » s’inscrivait « dans le cadre plus large du débat sur l’ “insécurité” et “les banlieues”, amplifié encore par le thème des violences faites aux femmes et par la peur de l’islam. Par là, le thème des viols collectifs s’est trouvé relié avec celui de “l’intégration” en général, ainsi qu’avec un mouvement politique (“Ni putes ni soumises”) dénonçant les violences faites aux femmes mais s’intéressant seulement aux familles maghrébines et africaines dans les milieux populaires, promouvant donc à son tour une lecture culturaliste des plus contestables ».

http://www.acrimed.org/article3707.html