Accueil > (video) Piazza Fontana, Milan, 12 décembre 1969 : Qu’est ce que c’est que (...)

(video) Piazza Fontana, Milan, 12 décembre 1969 : Qu’est ce que c’est que ce putsch ? je sais, moi

par Roberto Ferrario

Publie le lundi 12 décembre 2011 par Roberto Ferrario - Open-Publishing
6 commentaires

de Pier Paolo Pasolini 14 novembre 1974

Je sais, moi.

Je connais, moi, les noms des responsables de ce qu’on appelle "putsch" (et qui est en réalité une série de "putsch" devenue un système de protection du pouvoir).

Je connais, moi, les noms des responsables du massacre de Milan du 12 décembre 1969.

Je connais, moi, les noms des responsables des massacres de Brescia et de Bologne des premiers mois de 1974.

Je connais, moi, les noms du "sommet" qui a manœuvré, à savoir : les vieux fascistes auteurs de "putsch", aussi bien que les néofascistes auteurs matériels des premiers massacres, aussi bien, enfin, que les auteurs matériels "inconnus" des massacres les plus récents.

Je connais, moi, les noms qui ont géré les deux phases de la tension, différentes, et même opposées : une première phase anticommuniste (Milan, 1969) et une deuxième phase antifasciste (Brescia et Bologne, 1974). Je connais, moi, les noms du groupe de puissants qui, avec l’aide de la CIA (et en deuxième ligne des colonels grecs et de la mafia), ont d’abord créé (en échouant d’ailleurs misérablement) une croisade anticommuniste, pour endiguer 1968 et, ensuite, toujours avec l’aide et l’inspiration de la CIA, se sont reconstitué une virginité antifasciste, pour endiguer le désastre du "référendum".

Je connais, moi, les noms de ceux qui, entre deux messes, ont donné les dispositions et assuré la protection politique à de vieux généraux (pour garder, en réserve, l’organisation d’un coup d’Etat potentiel), à de jeunes néofascistes, néonazis même (pour créer concrètement la tension anticommuniste) et enfin aux criminels de droit commun, jusqu’à aujourd’hui et peut-être à tout jamais sans nom (pou créer la tension antifasciste qui a suivi).

Je connais, moi, les noms des personnes sérieuses et importantes qui sont derrière des personnages comiques comme ce général des gardes forestiers qui oeuvrait, comme dans une opérette, à Città Ducale (tandis que les bois italiens brûlaient), ou des personnages gris et de simples membres de l’organisation comme le général Miceli.

Je connais, moi, les noms des personnes sérieuses et importantes qui sont derrière les jeunes gens tragiques qui ont choisi les suicidaires atrocités fascistes et les malfaiteurs de droit commun, siciliens ou non, qui se sont mis à leur disposition, comme killers ou sicaires.

Je connais, moi, tous ces noms et je connais tous les faits (attentats aux institutions et massacres) dont ils se sont rendus coupables. Je sais, moi. Mais je n’ai pas de preuves. Je n’ai même pas d’indices. Je sais, moi, parce que je suis un intellectuel, un écrivain, qui essaye de suivre tout ce qui arrive, de connaître tout ce qu’on en écrit, d’imaginer tout ce que l’on ne sait pas ou que l’on tait ; qui coordonne des fait même lointains, qui remet ensemble les morceaux désorganisés et fragmentaires de tout un cadre politique cohérent, qui rétablit la logique là où semblent régner l’arbitraire, la folie et le mystère.

Tout cela fait partie de mon métier et de l’instinct de mon métier. Je crois qu’il est difficile que mon "projet de roman" soit erroné, qu’il n’ait pas de rapport avec la réalité et que ses références à des faits et à des personnes réelles soient inexactes. Je crois en outre que nombre d’autres intellectuels et de romanciers savent ce que, moi, je sais en tant qu’intellectuel et romancier. Parce que la reconstruction de la vérité à propos de ce qui est arrivé en Italie après 1968 n’est finalement pas si difficile que cela...

Cette vérité - on le perçoit avec une précision absolue - est derrière un grand nombre d’interventions journalistiques et politiques aussi : c’est-à-dire pas d’imagination ou de fiction comme l’est, de par sa nature, la mienne. Dernier exemple : il est clair que la vérité se pressait, avec tous ses noms, derrière l’éditorial du "Corriere della Sera" du 1er novembre 1974.

Probablement les journalistes et les politiciens ont-ils aussi des preuves ou, au moins, des indices. Maintenant, voici le problème : les journalistes et les politiciens, même s’ils ont peut-être des preuves et certainement des indices, ne donnent pas de noms.

A qui revient-il donc de donner ces noms ? Evidemment à qui a non seulement le courage nécessaire, mais, avec cela, n’est pas compromis dans sa pratique avec le pouvoir et, en outre, n’a, par définition, rien à perdre : c’est-à-dire à un intellectuel.

Donc un intellectuel pourrait très bien donner publiquement ces noms, mais il n’a ni preuves ni indices.

Le pouvoir, et avec lui le monde qui, même en n’étant pas au pouvoir, entretient des rapports pratiques avec le pouvoir, a oté aux intellectuels libres - justement à cause de la façon dont il est fait - la possibilité d’avoir des preuves et des indices. On pourrait me rétorquer que moi, par exemple, en tant qu’intellectuel, et inventeur d’histoires, je pourrais entrer dans ce monde explicitement politique (du pouvoir ou autour du pouvoir), me compromettre avec lui, et donc jouir du droit d’avoir, avec une certaine probabilité élevée, des preuves et des indices.

Mais à pareille objection je répondrais que ceci n’est pas possible, car c’est justement la répugnance à entrer dans un tel monde politique qui s’assimile à mon courage intellectuel potentiel à dire la vérité : c’est-à-dire à donner les noms.

Le courage intellectuel de la vérité et la pratique politique sont deux choses inconciliables en Italie.

On confie à l’intellectuel - profondément et viscéralement méprisé par toute la bourgeoisie italienne - un mandat faussement élevé et noble, en réalité servile : celui de débattre des problèmes moraux et idéologiques.

S’il se soustrait à ce mandat, il est considéré comme traître à son rôle : on se met tout de suite à crier (comme si on n’attendait que cela) à la "trahison des clercs", c’est un alibi et une gratification pour les politiques et pour les serviteurs du pouvoir.

Mais il n’y a pas que le pouvoir : il existe aussi une opposition au pouvoir. En Italie, cette opposition est tellement vaste et forte qu’elle est elle-même un pouvoir : je me réfère naturellement au Parti communiste italien.

Il est certain qu’en ce moment la présence d’un grand parti à l’opposition tel que le Parti communiste italien est le salut de l’Italie et de ses pauvres institutions démocratiques.

Le Parti communiste italien est un pays propre dans un pays sale, un pays honnête dans un pays malhonnête, un pays intelligent dans un pays idiot, un pays cultivé dans un pays ignorant, un pays humaniste dans un pays consumériste. Ces dernières années, entre le Parti communiste italien, entendu au sens authentiquement unitaire - dans un "ensemble" compact des dirigeants, de la base et des votants - et le reste de l’Italie, s’est ouvert un troc : pour cela le Parti communiste italien est devenu justement un "pays séparé", une île. Et c’est justement pour cela qu’il peut avoir aujourd’hui des rapports plus étroits que jamais avec le pouvoir effectif, corrompu, incapable, dégradé : mais il s’agit de rapports diplomatiques, presque de nation à nation. En réalité, les deux morales sont incommensurables, entendues dans leur caractère concret, dans leur totalité. Il est possible, sur ces bases justement, d’imaginer le "compromis", réaliste, qui sauverait peut-être l’Italie de la catastrophe complète : "compromis" qui serait en réalité une "alliance" entre deux Etats voisins, ou entre deux Etats emboîtés l’un dans l’autre.

Mais exactement tout ce que j’ai dit de positif sur le Parti communiste italien en constitue aussi le côté relativement négatif.

La division du pays en deux pays, l’un plongé jusqu’au cou dans la dégradation et la dégénérescence, l’autre intact et non compromis, ne peut pas être une raison de paix et d’esprit constructif.

En outre, conçue ainsi que je l’ai esquissée, objectivement je crois, c’est-à-dire comme un pays dans le pays, l’opposition s’assimile à un autre pouvoir : qui est pourtant toujours pouvoir.

En conséquence les hommes politiques d’une telle opposition ne peuvent pas ne pas se comporter eux aussi en hommes de pouvoir.

Dans le cas spécifique, qui nous concerne en ce moment si dramatiquement, il ont eux aussi confié à l’intellectuel un mandat établi par eux. Et, si l’intellectuel se soustrait à ce mandat - purement moral et idéologique - voilà qu’il est, à la grande satisfaction générale, un traître.

Maintenant, pourquoi même les hommes politiques de l’opposition, s’ils ont - comme c’est probablement le cas - des preuves ou au moins des indices, ne nomment-ils pas les responsables réels, c’est-à-dire politiques, des putsch comiques et des épouvantables massacres de ces dernières années ? C’est simple : ils ne les nomment pas dans la mesure où ils distinguent - à la différence de ce que ferait un intellectuel - la vérité politique de la pratique politique. Et donc, eux non plus, naturellement, ne mettent pas l’intellectuel non fonctionnaire au courant des preuves et des indices : ils n’y songent même pas, comme cela est, du reste, normal, étant donné l’objective situation de fait. L’intellectuel doit continuer à s’en tenir à ce qu’on lui impose comme devoir, à réitérer sa manière codifiée d’intervenir.

Je sais bien que ce n’est pas le moment - dans cette période particulière de l’histoire italienne - de faire publiquement une motion de méfiance à l’encontre de toute la classe politique. Ce n’est pas diplomate, ce n’est pas opportun. Mais ce sont des catégories de la politique, pas de la vérité politique : celle que - quand il peut et comme il peut - l’impuissant intellectuel est tenu de servir. Et bien, justement parce que je ne peux pas donner les noms des responsables des tentatives de coup d’Etat et des massacres (et pas à leur place), je ne peux pas prononcer ma faible et idéale accusation contre toute la classe politique italienne.

Et je le fais en tant que quelqu’un qui croit à la politique, qui croit aux principes "formels" de la démocratie, qui croit au Parlement et qui croit aux partis. Et, naturellement, à travers mon optique particulière qui est celle d’un communiste. Je suis prêt à retirer ma motion de méfiance (je n’attends même que cela) seulement quand un homme politique - non par opportunisme, c’est-à-dire parce que le moment serait venu mais plutôt pour créer la possibilité d’un tel moment - décidera de donner les noms des responsables des coups d’Etat et des massacres, qu’il connaît, évidemment, comme moi, ; il ne peut pas ne pas avoir de preuves, ou au moins des indices.

Probablement - si le pouvoir américain le permet, décidant éventuellement "par diplomatie" de permettre à une autre démocratie ce que la démocratie américaine s’est permis à propos de Nixon - , tôt ou tard, ces noms seront donnés. Mais ceux qui les donneront seront des hommes qui ont partagé avec eux le pouvoir : en tant que responsables mineurs contre des responsables majeurs (et il n’est pas dit, comme dans le cas américain, qu’ils soient meilleurs).

C’est cela qui serait, en définitive, le véritable coup d’Etat.

http://bellaciao.org/it/spip.php?article30354

Messages

  • grazie compagno ferrario di ricordarci questo importante intervento di pasolini, secondo me il PCI é morto per non aver avuto il coraggio di "farlo suo "
    saluti comunisti
    kalos

  • Le massacre de Piazza Fontana : Un « mystère » que l’on a jamais voulu élucider

    par Fluvio di Cicero

    Parmi les nombreux « mystères » de la tragique histoire criminelle italienne, celui du massacre de Piazza Fontana est, probablement, le moins « mystérieux », le plus clair dans sa dynamique et dans ses responsabilités : la droite subversive d’ « Ordre nouveau » et ses ramifications en Vénitie à la fin des années 60, sa politique meurtrière, dont l’attentat milanais a constitué seulement une étape, la plus marquante.

    Pourtant, malgré cela, personne n’a été condamné pour ces attentats et les faits de Piazza Fontana peuvent désormais être considérés comme un épisode historique sur lequel des pressions énormes ont été exercées pour que l’on arrive jamais à établir une vérité judiciairement reconnue. Le juge Guido Salvini – qui, comme nous le verrons, est le magistrat qui, dans les années 1990, s’est approché plus que tout autre d’une vérité incontestable – affirme : « Je continue à me demander, et je ne suis pas le seul, pourquoi pour des enquêtes anciennes et nouvelles, de l’homicide de Calabresi aux Brigades Rouges, en passant par Abu Omar, sans parler des histoires de mafia et de corruption, on a consacré à Milan les plus grandes forces et un engagement total, on a travaillé avec intelligence, et pourquoi Piazza Fontana est restée en revanche ’au placard’ »

    Le massacre

    La mémoire courte de l’histoire italienne fait de l’explosion de 16h37 dans la Banque Nationale de l’Agriculture à Milan un épisode unique. Et, au contraire, ce fut l’acte final d’une longue série d’attentats attribuables à un groupe néo-nazi, formé en Vénitie, dans les régions de Padoue et de Mestre, à partir des attentats à la bombe, qui n’ont pas fait de victimes, du 25 avril 1969, toujours à Milan et à d’autres attentats organisés dans la Vénitie « blanche », jusqu’au massacre final dont nous commémorons aujourd’hui le quarantième anniversaire. Il suffit de penser qu’entre 1968 et 1974, ce sont près de 140 attentats à la bombe qui se sont succédés, tous d’origine fasciste et nazie, car, comme l’a avancé Salvini, ’Ordre Nouveau’ « était la seule organisation terroriste qui ne se posait pas la question des victimes civiles et, dans les documents dont elle s’inspirait, il était théorisé la nécessité de s’opposer maintenant et par tous les moyens, y compris le chaos, à l’avancée du communisme, favorisée par un système parlementaire bourgeois conçu comme décadent et pourri dont il n’y avait à sauver, peut-être, que les militaires ».

    Dans cet après-midi hivernal, il y eut d’intenses négociations entre les opérateurs du marché agricole et, par conséquent, le grand hall de la banque était bondé. Le sac avec la TNT et la minuterie avait été placé sous la grande table sur laquelle s’appuyaient les clients, ne serait-ce que pour rédiger un bordereau de paiement. L’explosion est énorme : 17 personnes moururent (Giovanni Arnoldi, Giulio China, Eugenio Corsini, Pietro Dendena, Carlo Gaiani, Calogero Galatioto, Carlo Garavaglia, Paolo Gerli, Vittorio Mocchi, Luigi Meloni, Mario Pasi, Carlo Perego, Oreste Sangalli, Angelo Scaglia, Carlo Silvia, Attilio Valè, Gerolamo Papetti) ; 88 personnes furent blessées.

    La piste anarchiste

    Le 17 décembre, le « Corriere della Sera », avec à sa tête son rédacteur en chef historique Giovanni Spadolini, s’ouvre sur la nouvelle suivante : l’arrestation du monstre, c’est-à-dire l’auteur de l’attentat : il s’appelle Pietro Valpreda, un danseur anarchiste qui fréquente le cercle de Ponte de Ghisolfa à Milan. Le Président de la République Giovanni Saragat s’empresse d’envoyer un billet de félicitations inattendu au préfet de police de Milan Marcello Guida. Il se baserait sur le témoignage d’un chauffeur de taxi, Cornelio Rolandi, selon lequel, au cours de ce fameux après-midi, il aurait accompagné Valpreda (qu’il reconnaît d’après des photos et d’après un processus d’identification largement influencé par les enquêteurs et donc peu fiable) à Piazza Fontana [c’est seulement des années plus tard, qu’il apparaîtra qu’un homme très ressemblant à Valpreda, son ’sosie’, s’est fait déposer en taxi à Piazza Fontana : c’est le début du brouillage de pistes ndr]. L’anarchiste milanais, avant d’être libéré en décembre 1972, après que le Parlement a approuvé une loi qui introduit la liberté provisoire même pour des délits graves. A présent, les enquêtes ont pris le chemin du néo-fascisme padovien et les magistrats sont convaincus que, pour Piazza Fontana, les anarchistes n’y sont pour rien. Il sera acquitté avec la même formule douteuse qui permettra à tous les fascistes de rester impunis. Il mourra en 2002. Le chauffeur de taxi Roland était déjà mort en 1971.

    Le néo-nazisme vénitien

    Le tissus de contradictions qui caractérise les enquêtes des premières années semble se dissiper dès le 13 avril 1971, quand le juge de Trévise, Giancarlo Stiz, arrête Franco Freda et Giovanni Ventura. Autour de ces noms, c’est le dénouement de l’enquête qui est en jeu, comme l’expliquera plus tard clairement l’enquête réouverte par le juge Salvini dans les années 1990. Freda et Ventura sont deux dangereux néo-nazis ; Freda est l’idéologue, et fonde une maison d’édition, « Ar » et en 1963 il écrit de sa main le manifeste du Groupe « Aristocratie aryenne », dans la lignée des théories nazies de Julius Evola. Stiz les accuse d’être les auteurs des précédents attentats à la bombe et du massacre milanais. Mais, après un long procès, tortueux, les deux ont été acquittés faute de preuves. La cour de Cassation, en 1995, présentera un tableau tout à fait différent, mais les deux ne peuvent plus être poursuivis et condamnés pour le même crime (selon le principe du ’ne bis in idem’). Le même Salvini isole dans le duo les véritables responsables de l’attentat à la bombe de Piazza Fontana : « Certainement, la matrice du massacre est désormais indiscutable, sa signature est celle de la croix celtique d’Ordre Nouveau. Les dernières sentences d’acquittement ont une ’vertu cachée’, et c’est-à-dire qu’elles posent clairement les choses : après les nouvelles enquêtes, et il est à retenir que l’on a trouvé la ’preuve posthume’ de la culpabilité de Freda et Ventura, toutefois il est impossible de les poursuivre car ils ont été acquittés faute de preuve pour les massacres de piazza Fontana même s’ils ont déjà été condamnés pour les attentats précédents ».

    Les enquêtes de Guido Salvini

    Si aujourd’hui nous connaissons, très certainement, la vérité historique et, en partie, aussi judiciaire sur le massacre de piazza Fontana, nous le devons à un juge courageux et compétent, Guido Salvini, qui, en 1989, presque par hasard (ou par un coup de chance), après qu’il ait retrouvé, de manière fortuite, des documents d’une enquête sur l’homicide de Sergio Ramelli (un étudiant membre du MSI tué à Milan en 1975), réouvre la piste néo-nazie et, en fait, se retrouve face à deux personnes : Carlo Digilio et Martino Siciliano, qui vont tous deux apporter une nouvelle lumière sur le massacre. Le premier a été extradé de Saint-Domingue, où il s’était réfugié ; on l’appelait « l’oncle Otto », selon plusieurs repentis de droite, comme Sergio Calore, celui qui s’est occupé concrètement de l’explosif à placer à piazza Fontana (bien qu’il ne l’ait pas placé lui-même). Le second vivait en Colombie, il s’était refait une nouvelle vie et une nouvelle famille mais ce sont des éléments des services secrets qui l’ont convaincu de collaborer, les mêmes qui avaient grandement contribué à brouiller les pistes des enquêteurs, dans une tentative évidente et posthume de se racheter moralement de leur sombre passé. Digilio et Siciliano ont emmené le juge Salvini à faire la lumière sur le groupe néo-nazi de Mestre, sur les préparatifs du massacre et sur tous les attentats réalisés avant et après.

    Droite néo-fasciste et appareil d’Etat : complicité dans la Stratégie de la tension

    Le cadre politique qui se dessine est exactement celui décrit par la première « contre-enquête » sur piazza Fontana, faite par des militants et des journalistes de la gauche extra-parlementaire publiée en 1972 (Le massacre d’Etat, qui fut raillé alors comme une oeuvre extrémiste par les lecteurs « bien-pensants » du « Corriere della Sera » ou par la « majorité silencieuse » milanaise qui soutenait directement le parti néo-fasciste du MSI de Giorgio Almirante), qui a infirmé la « vérité officielle », celle donnée par la police et les services secrets. Les « fascistes révolutionnaires » vénitiens, en lien avec l’appareil d’Etat, ont organisé les attentats à la bombe pour préparer le terrain à un coup d’Etat de droit, en prenant l’exemple de ce qui s’est passé en Grèce en 1967. Du chaos social provoqué par ces massacres, aurait émergé la nécessité d’un gouvernement d’urgence pour s’opposer à l’avancée du mouvement ouvrier et de la gauche en général, alors en pleine ascension. Mais le Président du Conseil, Mariano Rumor, a fait d’une certaine manière obstacle au projet et cela expliquerait ainsi la tentative d’assassinat dont il a été victime, et qui était l’œuvrede Gianfranco Bertoli, le 17 mai 1973, devant le siège de la police de Milan, qui a fait quatre morts.

    Un personnage a joué un rôle clé, et il est devenu célèbre seulement après sa mort en 1996 (avant il était connu comme restaurateur et critique gastronomique dans l’Espresso) : Federico Umberto D’Amato, chef du « Bureau des Affaires Privées ». Inscrit à la loge P2 de Gelli, D’Amato travaillait en lien étroit avec la CIA. Seize jours après sa mort, Aldo Giannulli, qui travaillait avec Salvini, a découvert dans un vieil entrepôt de la via Appia à Roma près de 150 documents privés issus des archives de D’Amato. Dans ces documents, est expliqué le « contexte » dans lequel se déroulaient ces massacres et le travail effectué par le Bureau des Affaires Privées, il y est décrit minutieusement les projets d’infiltrations d’agents dans les groupes anarchistes, experts en armement et en explosifs, « comme si leur tâche n’était pas seulement d’empêcher les attentats, mais aussi d’en créer les conditions ou d’en donner l’idée », affirme Salvini.

    Jugement des tribunaux et jugement de l’Histoire

    L’enquête courageuse de Guido Salvini a permis d’arriver à un premier résultat éphémère : le 30 juin 2001, ont été condamnés à perpétuité Carlo Maria Maggi, Delfo Zorzi et Giancarlo Rognoni, tous néo-nazis de la cellule vénitienne. En appel (12 mars 2004), tous ont été acquittés. La cour de cassation a classé définitivement l’affaire, confirmant cette dernière sentence car les preuves n’ont pas été apportées « au-delà de tout doute raisonnable » de la culpabilité des accusés. Mais les mêmes juges de la Cour Suprême attribuent au néo-fascisme la responsabilité du massacre, tout en n’en punissant pas les auteurs.

    Maintenant, dit encore Salvini, il y aurait un dernier témoignage, qui permettrait de faire un grand pas en avant dans la traque des responsables du massacre de piazza Fontana. Il s’agit d’un autre repenti, déjà connu dans les années 1990, mais réticent par peur : Gianni Casalini. Il y a un an, il a écrit une lettre au juge milanais, lui assurant qu’il voulait tout dire. Et il y aurait un autre mystérieux représentant du groupe de Freda, et ami de Delfo Zorzi, dont parle Casalini, mais que personne n’a jamais recherché. Parce qu’en l’absence de coupables, le juge Guido Salvini – dans l’histoire tragique de piazza Fontana – ne peut bouleverser l’histoire de ce pays, la réécrire.

    Pour le plus grand bonheur d’une poignée de puissants et de leurs successeurs actuels.

    Traduction AC

    http://bellaciao.org/it/spip.php?article30353

  • Voir le très bon film "Romanzo Criminale".

    Au nom de l’anticommunisme, quels crimes les dirigeants occidentaux n’ont-ils pas commis ?

  • « …Je sais, moi, parce que je suis un intellectuel, un écrivain, qui essaye de suivre tout ce qui arrive, de connaître tout ce qu’on en écrit, d’imaginer tout ce que l’on ne sait pas ou que l’on tait ; qui coordonne des fait même lointains, qui remet ensemble les morceaux désorganisés et fragmentaires de tout un cadre politique cohérent, qui rétablit la logique là où semblent régner l’arbitraire, la folie et le mystère … »

    ça c’est sûr !…, et dit autrement, comme par exemple dans les milieux intellectuel et journalistique étasuniens : * « C’est lorsque vous êtes capable d’identifier tous les éléments d’une situation que chacun peut voir (j’ajouterai lire ou entendre) et d’être le premier à les mettre en relation d’une manière significative et convaincante (j’ajouterai cohérente) … » grazie Roberto per questi momenti eccezionali ! (et à tous ceux qui aiment tant Pier Paolo Pasolini…), ciao, sergio
    * Byron Calame « Scoops, impact or glory : what motivates reporters ? », « The New York Times », 3 décembre 2006

    • A lire sur le sujet, un très bon ouvrage édité par les éditions CNT Région parisiennes
      http://www.editions-cnt.org/spip.php?page=touslesarticles

      La ténébreuse affaire de la Piazza Fontana
      11 octobre 2004 par Luciano Lanza / Thèmes : Italie - fascisme

      Luciano Lanza, 2004, 225 p.

      Milan, 12 décembre 1969. Une bombe éclate devant la Banque nationale de l’agriculture, piazza Fontana à Milan, causant 16 morts et une centaine de blessés. L’anarchiste Pietro Valpreda est presque aussitôt accusé d’être l’auteur du massacre. Pris dans la grande rafle menée par la police milanaise dans les milieux d’extrême-gauche, le cheminot libertaire Giuseppe Pinelli meurt dans la nuit du 15 au 16 décembre, au cours d’un interrogatoire mené dans les locaux de la préfecture de police de Milan.

      Les organisations libertaires, rejointes bientôt par la gauche extraparlementaire, mettent en évidence les faiblesses des preuves à charge contre les leurs, et parlent pour leur part de « strage di Stato » (massacre d’État). La suite des événements va démontrer l’exactitude de ce qui parut à beaucoup d’observateurs un slogan sans fondement. Derrière les groupes nazis-fascistes italiens, les vrais responsables des attentats du 12 décembre et de tous ceux qui suivront, il y a des services secrets, italiens et étrangers, qui leur prêtent la main. Il y a des policiers et des juges qui créent de fausses pistes, et des ministres qui donnent le feu vert à la campagne d’intoxication. En vérité, c’est toute une part de l’appareil d’État italien, qu’on ne peut absolument pas regarder comme « dévoyée », qui est impliquée dans ce qu’on connaît sous le nom de « stratégie de la tension ».

      Luciano Lanza est un journaliste économique réputé, qui a collaboré, entre autres, aux publications Espansione, Milano Finanza et Il Mondo. Il a été, par ailleurs, un des fondateurs du mensuel A-rivista anarchica. Responsable, à partir de 1980, de la revue théorique Volontà, il dirige à présent la publication trimestrielle Libertaria.