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Aux armes, gardiens et surveillants des cités !

par Prof. Geneviève KOUBI

Publie le jeudi 29 décembre 2011 par Prof. Geneviève KOUBI - Open-Publishing

D. n° 2011-1918, 21 déc. 2011, armement - gardiennage et surveillance - immeubles collectifs d’habitation

Le 23 décembre 2011, par Geneviève Koubi,

Il a déjà été constaté à plusieurs reprises sur ce site, notamment à l’occasion de quelques brèves, qu’il existe en France, une forte tendance à autoriser le port d’armes pour l’exercice de diverses fonctions.

Confirmant ces observations rapides, émis à l’attention particulière des « bailleurs d’immeubles collectifs d’habitation ayant constitué une personne morale, dans les conditions prévues par l’article 11-5 de la loi du 12 juillet 1983 réglementant les activités privées de sécurité, en vue d’assurer le gardiennage ou la surveillance de leurs locaux, et des agents exerçant une activité de surveillance et gardiennage pour le compte de ces personnes morales » [1] voici que, par un décret n° 2011-1918 du 21 décembre 2011 est évoqué l’armement des personnes chargées du gardiennage et de la surveillance de certains immeubles collectifs d’habitation... [2]. Mais, de fait, plusieurs croisements entre différents textes doivent être effectués.

Le décret n° 2011-1918 du 21 décembre 2011 est immédiatement lesté d’un arrêté d’application, l’arrêté du 21 décembre 2011 dont l’intitulé laisse entrevoir d’autres créneaux de mises en œuvre ; son objet précis le présente comme relatif aux conditions de formation à l’usage des armes que sont autorisés à porter les agents employés par les personnes visées à l’article 2 de la loi n° 2010-201 du 2 mars 2010 renforçant la lutte contre les violences de groupes et la protection des personnes chargées d’une mission de service public. L’article 2 de cette loi ajoute quelques dispositions à la loi n° 83-629 du 12 juillet 1983 réglementant les activités privées de sécurité ; elles concernent effectivement les propriétaires, exploitants ou affectataires d’immeubles ou groupes d’immeubles collectifs à usage d’habitation ; elles les invitent à se constituer en personne morale afin de leur permettre de procéder à un équipement en armes pour leurs agents : « Les agents de cette personne morale peuvent être nominativement autorisés par l’autorité préfectorale à porter une arme de sixième catégorie dans l’exercice de leurs missions, lorsque les immeubles ou groupes d’immeubles collectifs à usage d’habitation dans lesquels ils assurent les fonctions de gardiennage ou de surveillance sont particulièrement exposés à des risques d’agression sur les personnes. » (art. 11.-5, al. 2, L. n° 83-629 du 12 juillet 1983 réglementant les activités privées de sécurité). Il est indispensable de noter à ce propos que l’autorisation qui sera délivrée pour le port d’armes à ces agents dépend de l’appréciation donnée de l’environnement "social" puisque seuls les risques d’agression sur les personnes sont évoqués, aussi toute perspective relative aux biens (cambriolage, dégradation matérielle, tag, etc.) ne devrait pas entrer en ligne de compte...

L’alinéa 3 du même article 11-5 de la loi du 12 juillet 1983 constitue la base légale du décret du 21 décembre 2011 : « Un décret en Conseil d’État précise les types d’armes de sixième catégorie susceptibles d’être autorisés, leurs conditions d’acquisition et de conservation par la personne morale, les modalités selon lesquelles cette dernière les remet à ses agents, les conditions dans lesquelles ces armes sont portées pendant l’exercice des fonctions de gardiennage ou de surveillance et remisées en dehors de l’exercice de ces fonctions, les modalités d’agrément des personnes dispensant la formation à ces agents ainsi que le contenu de cette formation. » Force est de constater que la précision des types d’armes reste floue, que les conditions d’acquisition et de conservation n’ont pas été détaillées dans le décret n° 2011-1918 du 21 décembre 2011...

De plus, en son article 11-7, la loi n° 83-629 du 12 juillet 1983 réglementant les activités privées de sécurité indique que « les agents des personnes morales prévues à l’article 11-5 doivent être identifiables. La tenue et la carte professionnelle, dont ils sont obligatoirement porteurs dans l’exercice de leurs fonctions, ne doivent entraîner aucune confusion avec celles des autres agents des services publics, notamment des services de police. /Dans des cas exceptionnels définis par décret en Conseil d’État, ils peuvent être dispensés du port de la tenue. » Aucune référence n’est faite à cette tenue obligatoire dans ce décret, ni même dans l’arrêté qui y est associé.

Comme en son article 3, le décret n° 2011-1918 du 21 décembre 2011 prévoit « une formation spécifique préalable à l’autorisation de port d’arme individuel » — organisée par la personne morale concernée ou pour son compte —. l’arrêté du même jour en reprend quelque peu les données en les simplifiant. Le décret envisage « un module théorique sur l’environnement juridique du port d’arme ainsi que sur les règles du code pénal, notamment relatives à la légitime défense et, d’autre part, un module pratique relatif au maniement des armes du paragraphe 2 de la sixième catégorie ainsi que des bâtons de défense de type "tonfa" » [3]. Selon l’article 1er de l’arrêté, le module théorique est de six heures ; il renvoie aux dispositions « du code pénal et du code de la défense applicables au port et à l’utilisation d’une arme et le principe de la légitime défense ». L’ajout de la référence au code de la défense intrigue nécessairement dans la mesure où le décret ne le signalait point. La formation pratique, elle, comprend : « un module pratique de six heures relatif au maniement des armes du paragraphe 2 de la sixième catégorie ; un module pratique de dix-huit heures relatif au maniement des bâtons de défense type "tonfa" ».

Mais encore, en son article 4, l’arrêté du 21 décembre 2011 ajoute une mission aux services de la police nationale ; il prévoit une nouvelle prestation de service (payante), un service de "formation" auprès des personnes morales qui emploient ces agents affectés au gardiennage des immeubles collectifs. Il dispose : « Dans le cas où la formation est assurée directement par les services de la police nationale, préalablement à l’exécution de la formation mentionnée aux articles 1er et 2 du présent arrêté, une convention est signée avec la personne morale citée à l’article 1er, bénéficiaire des prestations effectuées par le service de formation. Cette convention prévoit l’obligation pour le bénéficiaire de souscrire une assurance pour ses agents. /II. - Cette convention détermine les modalités d’exécution des prestations ainsi que les modalités de remboursement. » La collusion entre fonctions de police et fonctions de gardiennage, déjà plus ou moins actée en vertu du décret n° 2002-329 du 8 mars 2002 pour bien d’autres fonctions en matière de sécurité privée, s’en trouve renforcée [4]. A l’article 5 du décret il est alors précisé que « tout agent, détenteur d’une autorisation, ne peut porter, dans l’accomplissement de ses missions, que les armes remises par la personne morale mentionnée à l’article 1er. Il ne les porte que le temps strictement nécessaire à l’exercice de sa mission. En dehors du service, les armes sont remisées dans un local sécurisé, dont l’accès est placé sous la surveillance du responsable du groupement ou de toute personne qu’il a désignée à cet effet. / II. Lors de l’exercice des missions justifiant le port d’arme, l’agent de sécurité porte celle-ci de façon continue et apparente. »

En fin de compte, ce sont les bailleurs d’immeubles collectifs d’habitation ayant constitué une personne morale qui se trouvent les premiers concernés par ces équipements en armes. Les agents exerçant une activité de surveillance et gardiennage pour le compte de ces personnes morales doivent, eux, obtenir une autorisation [5] pour avoir droit au port de ces armes, cette autorisation s’obtenant après une formation (courte) qui peut être délivrée par les services de police.

Les armes seraient-elles le vecteur principal de la sécurité ? Rien n’est moins sûr. La prolifération des armes est déjà plus que préoccupante, la multiplication des personnes ayant droit au port d’armes au prétexte de fonctions diversifiées, comme celles du gardiennage et de la surveillance des habitats collectifs, ajoute une nouvelle dimension à cette rhétorique sécuritaire... qui, en tout état de cause, prouve combien le discours sur la vidéo-surveillance devenue vidéo-protection n’était que poudre aux yeux !

...

Notes :

[1] ... ainsi que la notice le signale sous la rubrique ’publics concernés".

[2] Il est aussi à noter qu’au même Journal officiel du 23 décembre 2011 est publié un autre décret, le décret n° 2011-1919 du 22 décembre 2011 relatif au Conseil national des activités privées de sécurité et modifiant certains décrets portant application de la loi n° 83-629 du 12 juillet 1983. Ce décret n° 2011-1919 du 22 décembre 2011 introduit dans ses multiples "dispositions diverses", un chapitre IV portant dispositions modifiant le décret n° 2002-329 du 8 mars 2002 pris pour l’application des articles 3-1 et 3-2 de la loi n° 83-629 du 12 juillet 1983 et relatif à l’habilitation et à l’agrément des agents des entreprises de surveillance et de gardiennage.

[3] Les ’tonfas’ n’étaient pas prévus par la loi....

[4] Avec les mêmes mentalités, la tenue permettra-t-elle de faire la différence ?

[5] Mais sous certaines conditions comme le prévoit la loi...

http://koubi.fr/spip.php?article602