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Rafale : les Indiens jouent les cobayes

par ALEXANDRA SCHWARTZBROD, THOMAS HOFNUNG

Publie le jeudi 2 février 2012 par ALEXANDRA SCHWARTZBROD, THOMAS HOFNUNG - Open-Publishing

Analyse. L’avion est sur le point de décrocher son premier contrat à l’export avec la vente de 126 exemplaires à l’Inde.

Surtout, ne nous échauffons pas. Respirons un grand coup.L’Inde a sélectionné le Rafale et souhaite entrer en négociations exclusives avec Dassault pour une commande de 126 appareils (9 milliards d’euros) ? Fort bien. Souvenons-nous juste de l’euphorie qui régnait le 7 septembre 2009 à São Paulo (Brésil) quand Nicolas Sarkozy scellait avec son homologue brésilien un « partenariat stratégique » prévoyant la commande de 36 Rafale par le Brésil, tombée depuis lors dans les limbes. Souvenons-nous encore de cette annonce fracassante, en plein salon d’armement à Abou Dhabi où Dassault était parti conquérant en novembre dernier, persuadé d’y signer une commande de 60 Rafale : après plus de trois ans de négociations serrées, les Emirats arabes unis avaient demandé une contre-offre à son concurrent Eurofighter ! Bref, saluons à sa juste valeur la bonne nouvelle que le contrat indien représenterait pour Dassault, Thales (radar et électronique embarquée), Safran (moteur) et les 1500 sous-traitants concernés, mais attendons que le contrat soit signé et le premier acompte versé pour faire des plans sur la comète.

S’il se confirmait, ce serait en tout cas pour Dassault bien davantage qu’une bouffée d’oxygène : une sortie du désert ! Développé à grands renforts de fonds publics (il équipe l’armée française depuis 2004), le Rafale n’a pour l’heure jamais été vendu à l’export et traîne cette image comme un boulet. Au passage, ce serait une bonne nouvelle pour le budget de la Défense : pour compenser l’absence d’exportations, l’Etat avait décidé d’accélérer le rythme de ses achats de Rafale. Les ventes à l’Inde pourraient ainsi être déduites des commandes imposées à l’armée française à raison de 11 appareils chaque année. Paris a prévu d’équiper ses armées de 180 avions de chasse à l’horizon de 2021.

Lyrisme. Jusqu’ici, l’avionneur est parvenu à garder un bureau d’études et des chaînes de production en état de fonctionnement uniquement parce qu’il a eu la sagesse de les rendre interchangeables avec ses bureaux et chaînes civiles. Plutôt bien vu puisque ses avions d’affaires, les fameux Falcon, ont cartonné pendant des années, jusqu’au déclenchement de la crise financière en 2008. Depuis lors, la situation de Dassault devient acrobatique, et si l’Etat français n’était pas là pour veiller au grain, son avenir apparaîtrait même sérieusement compromis.

Ce serait une formidable nouvelle aussi pour Nicolas Sarkozy qui s’est personnellement mouillé pour défendre l’avionneur depuis 2007. En plaidant la cause du Rafale sur tous les marchés possibles mais aussi en tentant de lui donner une place centrale dans le jeu industriel français (il lui a ainsi offert Thales sur un plateau). Serge Dassault est, rappelons-le, patron du quotidien le Figaro. Hier, le chef de l’Etat et presque candidat à sa propre succession a déclaré que cette commande allait « bien au-delà de la société qui les fabrique, bien au-delà de l’aéronautique, c’est un signal de confiance pour toute l’économie française ». Emporté par son lyrisme, le ministre de la Défense, Gérard Longuet, a pour sa part lancé : « Les bonnes nouvelles sont comme les ennuis, elles volent en escadrille ! »

Parmi les nombreux détails du contrat qui restent à finaliser, on trouve bien sûr les transferts de techno« logie, incontournables aujourd’hui. Car, sur les 126 appareils qu’il est question de commander, 108 seraient construits en Inde. « Lorsqu’elle sera confirmée, la commande s’étalera sur plus d’une dizaine d’années vraisemblablement », a souligné, hier, Longuet.

« Effet Libye ». La nouvelle en provenance d’Inde est d’autant plus une surprise qu’après le conflit en Libye, le groupe espérait plutôt avoir convaincu les Emirats arabes unis et le Qatar de se doter d’une série de Rafale. Ces deux pays, qui ont participé à l’intervention contre le régime de Kadhafi, avaient pu voir de près cet appareil en action et apprécier ses performances, pensait-on au siège du groupe français.

De fait, tous les experts reconnaissent ses qualités. Le problème se situe plutôt au niveau du prix : une centaine de millions d’euros pièce. Multirôles, le Rafale peut effectuer des interceptions, des missions de reconnaissance et des frappes au sol, quand ses concurrents directs se « contentent » souvent d’une seule tâche.

Le 19 mars, ce sont des Rafale stationnés sur la base de Saint-Dizier (Haute-Marne) qui avaient mené les premières frappes aux abords de Benghazi. Y aurait-il eu un « effet Libye » auprès des Indiens ? « Après la guerre des Malouines, les Britanniques ne manquaient jamais une occasion de souligner que tel ou tel matériel avait été utilisé victorieusement », rappelle François Heisbourg, de la Fondation pour la recherche stratégique (FRS). Exemple à suivre…

http://www.liberation.fr/economie/01012387154-rafale-les-indiens-jouent-les-cobayes