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De l’arrogance médiatique : Pulvar face à l’ouvrier Poutou chez Ruquier (video)

par Philippe Corcuff

Publie le mardi 28 février 2012 par Philippe Corcuff - Open-Publishing
15 commentaires

Ce samedi 25 février, sur le plateau télévisé de « On n’est pas couché », Audrey Pulvar et Natacha Polony n’ont pas réussi à contenir les éclats acides de leur rancœur face à l’ouvrier Philippe Poutou, candidat du NPA à la Présidentielle…

« Petit scarabée » ouvrier contre Goliaths médiatiques

Ce fut un spectacle étonnant d’arroseuses arrosées, n’acceptant pas d’avoir été critiquées par Philippe Poutou à propos de son premier passage dans l’émission le 29 octobre dernier, dans un livre à paraître le 7 mars, Un ouvrier, c’est là pour fermer sa gueule ! (éditions Textuel, collection « Petite Encyclopédie Critique »). Voilà bien un inacceptable crime de lèse-majestés médiatiques ! Comme si elles avaient le monopole de la critique et de l’ironie.

Leurs bonnes consciences ont ainsi volé en éclats sous les coups de butoir de leurs propres pulsions vexatives. Leurs gestuelles respectives ont fonctionné comme un rappel à l’ordre hiérarchique que leurs mots pourtant récusaient. Trahies par leurs corps, leurs mimiques et les intonations de leurs voix, elles ont offert à des millions de téléspectateurs une preuve vivante du mépris social qui est justement pointé par Philippe Poutou dans son livre.

Ce dernier qui, la première fois, avait adopté une attitude zen, à la manière du personnage joué par David Carradine dans la série télévisée des années 1970 Kung Fu, nous a rappelé opportunément, lors de cette seconde émission, que « petit scarabée » était aussi un praticien des arts martiaux. Et, sans agressivité, il a retourné habilement les coups et rendu visible l’aigreur de ses contradictrices. Par exemple dans cet échange :

« - Audrey Pulvar [alors que le public applaudit Philippe Poutou] : C’est facile, ça coûte pas cher, je vous assure, de de faire de faire une salle…

- Philippe Poutou : Non mais ça coûte pas cher…vous êtes payée combien pour dire des trucs comme ça ? Parce que le mépris continue là aujourd’hui ! »

Un « casse-toi pauv’ con » en loucedé

Je suis souvent un aficionado de l’intelligence sensible d’Audrey Pulvar sur France Inter, en particulier dans ses chroniques littéraires. Cependant, dans cette situation, elle a pris la morgue aux dents et s’est révélée la plus terrifiante des deux. Vraisemblablement parce que cela a fait remonter en elle trop de turbulences sociales et politiques qu’elle n’a pu canaliser autrement que par une irruption d’arrogance.

D’abord, en émettant implicitement des doutes sur l’auteur du livre « signé » Philippe Poutou, par un sous-entendu grossier :

« C’est quand même vous qui signez ce livre, donc vous êtes engagé par les propos qui sont tenus dedans, que je trouve sincèrement malhonnêtes. »

Ah bon, ça sait lire et écrire un ouvrier ? Et en plus d’être probablement un « signeur » davantage qu’un auteur, il est (doublement) « malhonnête » !

Caricaturant les propos de Philippe Poutou et jouant les donneuses de leçons, Audrey Pulvar n’a pas hésité, non plus, à recourir au « bon mot qui tue », susceptible d’écraser symboliquement celui d’en bas :

« Vous dites que vous êtes un candidat invisible, mais j’ai plutôt l’impression que vous êtes un candidat transparent et pas invisible »

Une sorte de « casse-toi pauv’ con » en loucedé !

Et puis tout au long de l’entretien : les mimiques hautaines et les airs pincés… « Le monde social est dans le corps », rappelle Pierre Bourdieu dans ses Médiations pascaliennes (éditions du Seuil, 1997, p.180).

« J’ai beaucoup d’amis paysans »

La mode est pourtant à l’« ouvrier » et au « populaire », à la télé comme dans l’arène électorale présidentielle, chacun exhibant sur le plateau ses origines modestes. Natacha Polony, en manquant visiblement, a été jusqu’à avancer sans rire : « J’ai beaucoup d’amis paysans » !

Les deux journalistes, souvent condescendantes à l’égard de l’ouvrier Philippe Poutou, ont tenu à manifester à plusieurs reprises leur « compréhension » de la condition ouvrière en général. Les dames patronnesses, tout en n’hésitant pas à sermonner le garnement turbulent, gardent un fond « social ». Ouf ! « On est tout à fait d’accord » a ainsi lancé Audrey Pulvar. « Nous ne sommes pas en train de vous dire qu’il ne faut rien faire », a renchéri Natacha Polony. Bref, on a raison de s’indigner contre le capitalisme, mais on ne peut pas vraiment remettre en cause sa logique. La mode de l’indignation peut ainsi cohabiter avec le fatalisme. Le beurre et l’argent du beurre : l’esprit « critique » et le conservatisme ensemble !


Une prolétaire qui se fait petite pour devenir bourgeoise ?

Coincée entre proximité revendiquée avec une histoire populaire (dont il n’y a pas de raison de douter de l’authenticité) et ascension sociale, Audrey Pulvar aurait pu faire autre chose de sa vexation initiale, en assumant les tensions et les torsions de son expérience biographique. « Au risque de l’émotion, de la blessure, de la souffrance », écrit encore Bourdieu (ibid., p.168). Cela caractérise d’ailleurs l’originalité de ses chroniques littéraires sur France Inter, dans un sens acéré des complications et des ambivalences de nos existences. C’est ce qu’a un peu fait Laurent Ruquier lors de l’émission, en reconnaissant avec sincérité les ambiguïtés du fils d’ouvrier devenu riche et célèbre. Par contre, dans ce cas, elle a été le jouet du conformisme.

« Le petit-bourgeois est un prolétaire qui se fait petit pour devenir bourgeois », note Bourdieu dans La distinction (éditions de Minuit, 1979, p.390).

La sociologie identifie des tendances générales par rapport auxquelles les itinéraires singuliers bâtissent plus ou moins des écarts. Samedi, les stéréotypes sociaux ont pris nettement le dessus, en réduisant les écarts. Une culpabilité petite-bourgeoise, alimentée par la nostalgie du populaire, s’est alors massivement exprimée sous la forme du ressentiment vis-à-vis du prolétaire.

« On s’en fout de Trotsky ! »

L’esquisse de lecture critique d’une émission télévisée que je viens de proposer se veut à la fois polémique et nuancée. Polémique, afin de souligner certains traits sociologiques qui n’apparaissent pas spontanément comme les plus visibles. Nuancée, car, à l’écart d’une diabolisation manichéenne des « médias » et des « journalistes » en général, qui plaît tant dans les gauches critiques, elle pointe aussi des tensions travaillant les personnes et des marges de jeu laissées ouvertes dans les dispositifs dominants (voir dans un sens convergent le texte de Laurent Mauduit sur Mediapart : « Le procès bâclé des nouveaux chiens de garde », 30 janvier 2012).

Au bout du compte, ce « On n’est pas couché » m’a donc réjoui du côté de Philippe Poutou et déprimé du côté d’Audrey Pulvar. Que le candidat du NPA poursuive dans la veine d’une parole libre et espiègle (« On s’en fout de Trotsky pour l’instant. On n’est pas un parti trotskyste », a-t-il, par exemple, lancé à un moment) ! Mais espérons qu’Audrey Pulvar ne se transformera pas de manière durable en Robocop des plateaux télévisés. Ça serait bien si nous pouvions prochainement retrouver son intelligence sensible.

Philippe continue !

Audrey reviens !

http://blogs.mediapart.fr/blog/philippe-corcuff/280212/de-l-arrogance-mediatique-pulvar-face-louvrier-poutou-chez-ruquier

Messages

  • Je n"ai pas suivi intégralemenr "on n’est pas couché" mais j’ai pu visionner les vidéos diffusées par la suite sur les sites.

    Je trouve que les 2 journalistes y sont alllées un peu fort vis à vis de Philippe POUTOU.
    Je les ai connues bien meilleures dans d’ autres "on n’est pas couché" et moins virulentes par rapport à l’ invité !
    Tout le monde sait que le NPA n’est pas du tout intéressé par le Pouvoir et la Présidentielle, mais un peu plus de respect et de tact des 2 journalistes aurait permis un meilleur "débat"
    Il a des idées qu’ il défend en tant qu’ ouvrier et elles doivent être respectées et non pas combattues.

    Les autres "politiques de Droite même extr^me et de "gauche" ont connu une meilleure réplique !

    Face à toutes les critiques d’après, Audrey et Natacha se reprendront certainement !

  • Je vous invite à lire mon commentaire et celui des autres intervenant(-e)s sous l’article "Dictature télévisuelle" de "provola" d’hier. Ils auraient aussi leur place ici, mais évitons la redondance !
    Je me passe volontiers de la prétendue "intelligence sensible" d’Audrey Pulvar, pronucléaire patentée, du moins depuis qu’elle fréquente Arnaud Montebourg, et chroniqueuse ruquiériste méprisante à l’encontre de celles et ceux qui prônent une rupture radicale avec le système ou des positions contraires à son corpus idéologique. Heureusement qu’elle rit de toutes ses dents immaculées lorsqu’elle sort ce qu’elle croit être une vanne ou une répartie subtile, car elle est bien la seule, sauf lorsqu’elle balance sur DSK, à s’amuser de ses propos. Encore une de ces enflures qui mériteraient de finir sur le bûcher des vanités !

    René HAMM

  • Je vais dire trois choses qui vont pas me faire que des potes :-D mais j’espère ne pas être mal comprise par la plupart d’entre vous.

    1/ Je trouve cet article plutôt "à côté de la plaque " à certains égards.

    2/Je ne suis pas sûre qu’il soit un service rendu à Ph. Poutou ni aux ouvriers en général.

    3/On a dit surtout (plusieurs fois il me semble) : pas de propagande électorale sur le site - ça vaut AUSSI pour les camarades du NPA. On ne va pas "monter en mayonnaise" , de façon plus ou moins artificielle, tout ce qui se passe (ou ne se passe pas) autour de Philippe Poutou, sinon on va devoir ouvrir la porte à toute "la goooche de goooche" pour la présidentielle. Surtout quand c’est pour dire plusieurs fois la même chose (d’autres articles ont déjà été publié depuis Samedi sur cette émission....) Ca, c’est, encore une fois, à la limite de la propagande à peine déguisée et de la critique des médias, de mon point de vue.

    Donc mollo.

    LL

  • sans le vouloir mais par sa seule présence et dès le premier entretien , philippe poutou a provoqué une craquelure dans le vernis de ces deux soubrettes du PAF , craquelure que des millions de gens ont observé et sans doute compris que pulvar dans ce trio de larbins de l’audimat composé avec ruquier et polony se révéle comme la plus perverse... Révélation camarade corcuff que l’ennemi de classe est souvent plus proche qu’on ne le pense ?

    • Donc les sûrs de sûrs attendent que le prolétariat réagisse du fait que lle vernis a pèté suite à une emission de ruquier ...

      Haut le drapeau, en avant pour des jours meilleurs !!!

      Je milite depuis 35 ans ...

    • je , tu et nous sommes habitués à l’humilation quotidienne qu’elle vienne des petits chefs ou de nos semblables auxquels a été concédé un semblant de pouvoir ( par exemple la flicaille , pole emploi et tant d’autres... ) aussi ce n’est pas surprenant de constater ce mépris dans une émission télévisuelle à l’encontre de l’un des notres , mais à cette occasion des millions d’autres que toi ou moi ont pu s’identifier à philippe et ressentir une certaine rancoeur qui se formalisera un jour ou l’autre .

    • Non, je ne me suis jamais habituée à l’humiliation quotidienne des petits chefs ou de nos semblales !!! C’est pour ça que je milite syndicalement !!! C’est pour ça que les collègues me questionnent !!!

      Et c’est pour ça que je dis y en a marre des conneries style "la clause couperet" allez l’expliquez a ceux qui en ont marre aujourd’hui !!!

      Y en a marre d’entendre "mais à cette occasion des millions d’autres que toi ou moi ont pu s’identifier à philippe et ressentir une certaine rancoeur qui se formalisera un jour ou l’autre".

      C’est faire fî du matraquage médiatique, c’est faire fî du manque de militants, du manque de syndiqués !!!

      Ca me rappel le curé qui disait "peuple à genoux, attend ta délivrance" !!!

    • Pour ça qu’on ne se bat pas seulement pour un peu plus de respect, un meilleur salaire, un gouvernement pour quelques miettes de plus.

      Politiquement le projet est bien que les travailleurs aient le pouvoir, nous et nuls autres pour ce qui nous concernent pour nos entreprises.

      De bas en haut et non de haut en bas.

      Collectivement nous savons exactement comment, au détail, fonctionnent nos entreprises, nos services, nos secteurs. Le règne de l’en face tient par la force, la domination idéologique et les lois antidémocratiques (qui font passer le capital et la propriété avant la démocratie dans les entreprises).

      Sur l’émission, la chose revigorante c’est qu’un révolutionnaire ouvrier peut apprendre à s’exprimer en peu de temps avec force, dans un milieu qui n’est pas le sien et face à des gens dont c’est le métier de dominer idéologiquement.

      Nous, nous pouvons apprendre rapidement ce qu’ils font (en + de notre job), eux, ça me parait beaucoup plus douteux et rude.

      Les représentants de la bienpensance bourgeoise ont beau sortir leurs origines, et dire que elles aussi elles connaissent des gens modestes, l’affaire tourne en rond.

      Il y a des questions d’humiliation sociale au quotidien, il faut les repousser pas à pas, défendre les nôtres, imposer le respect aux DRH, qu’ils(elles) soient dans les entreprises ou dans les médias.

      Poutou a servi l’autre soir à cette bataille qui existe jour à jour dans les milieux de travail .

      Qu’on croit aux urnes ou qu’on n’y croit pas.

    • "y en a marre des conneries style "la clause couperet"

      Si c’est une allusion à la "clause" : indépendance vis-à-vis du PS qui aurait déblayé le terrain à un accord entre le FdG et le NPA, qu’il te suffise de te rappeler que si tu milites depuis 35 ans avec le "succès" que tu constates, c’est parce que dans les années 80 cette clause est partie aux chiottes et que le parti de "la classe" a accepté d’accompagner le PS dans sa mutation social-libérale proeuropéenne. La sortie des communistes du gouvernement a été un geste totalement stérile politiquement puisque le cap d’une alliance stratégique avec le PS est malgré tout resté en place avec, comme résultat, l’entrée des communistes, en agents hyperactifs (Gayssot) des privatisations, dans le gouvernement Jospin. Avec, comme culmination l’accès de Le Pen au second tour de la présidentielle en 2002 ! Alors ce serait bien de ne pas nous la jouer amnésique et ras le bol des "conneries style "la clause couperet"" : la connerie est visiblement ailleurs et il y en a qui , à la gauche du PS, sont en train de nous la concocter : un remake de la gauche plurielle... Voilà ce que tu pourrais commencer à discuter avec tes copains de boulot plutôt que zapper les clés politiques. Basta des "allez, on oublie tout, les gens en ont tellement marre qu’il faut faire avec ce qu’on a, etc.". D’autant que, rester critique sur le FdG, ça n’empêche pas de faire dégager Sarkozy. Pas la peine pour cela de s’aplatir devant le FdG au premier tour !

    • « On s’en fout de Trotsky pour l’instant. On n’est pas un parti trotskyste » : désolant

    • Trotsky ne redeviendra utile que quand la révolution (inéluctable) éclatera.

      En attendant son oeuvre ne reste que théorique.

    • Ce n’est pas la référence à Trotsky, ou Marx, ou Lénine, ou ce qu’on veut qui fait une bonne orientation.

      Il n’a pas manqué de gens dans l’histoire se réclamant des uns et des autres , faisant le boulot de la bourgeoisie.

      Tout doit sans cesse être toujours reprouvé, il n’y a pas d’acquis intangibles en la matière.

      Le NPA n’est pas trotskyste, il est où le problème ?
      Seuls les idiots peuvent penser que c’est une étiquette qui fait le flacon.