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VOTEZ CE NEST PAS ABDIQUER

par 2CCR

Publie le mercredi 11 avril 2012 par 2CCR - Open-Publishing
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Voter, ce n’est pas abdiquer ; ce n’est pas nommer un maitre pour une période courte ou longue, ce n’est pas renoncer à sa propre souveraineté. Celui que vous nommez sera simplement votre mandataire, le candidat que vous élirez ne sera pas votre supérieur. Vous ne devez pas nommer des hommes qui sont au-dessus des lois, mais des hommes qui doivent être révocables s’ils ne respectent pas le mandat pour lequel vous les avez élus.

Voter, ce n’est pas être dupe ; c’est savoir que les hommes élus sont tout comme vous des hommes qui ne peuvent tout savoir et tout comprendre. C’est pourquoi en raison même de l’immensité de la tâche, il ne faut pas que le peuple s’en retourne à ses occupations le lendemain des élections. L’histoire nous enseigne que le pouvoir a toujours corrompu, « le parlotage » a toujours abêti, et que si on n’y prend garde, la médiocrité prévaut fatalement. Le peuple doit en être le garde fou.

Le véritable combat commence le lendemain de l’élection quel qu’en soit le résultat. Et souvenez-vous, ce qui fait les bonnes réformes c’est quand la classe populaire montre les dents, et les grandes avancées sociales, notamment en 36, ont été arrachées par la lutte, et non par la volonté d’un gouvernement, fût-il de gauche.

Si vous pensez que « voter ne sert à rien » ou que vous pensez qu’ils sont « tous pareils, tous pourris », ne vous en faites pas, ceux qui contrôlent la société n’oublient jamais d’aller voter. Et même s’ils sont élus avec seulement peu de voix ils s’en moquent, car ensuite ils gouvernent et mettent en place des politiques pour défendre leurs intérêts. Et vous retournerez travailler pour eux.

Voter ce n’est pas trahir ses idéaux. Pour cela, il faut que la politique ne soit pas un métier, il faut que la rémunération d’un président soit celle du salaire moyen des français et que son mandat soit limité dans le temps, pour qu’il ne rêve pas d’une trop longue carrière. Aujourd’hui, le candidat voit les comptes de la nation, et demain, c’est à vous qu’il devra des comptes. Il doit donner des ordres aux actionnaires et aux rentiers. L’ouvrier doit être son modèle, et il doit mépriser la faveur des patrons. Le fougueux banquier doit apprendre à courber l’échine lorsque le président élu par le peuple le convoque à son bureau. Il doit purifier l’atmosphère de ces corps législatifs où l’air est malsain à respirer, la politique ne doit pas se faire dans des antichambres et il doit consulter le peuple plutôt que les mandataires d’un milieu où la consanguinité avec le monde des affaires est omniprésente.

Votez n’est qu’une étape, car dés le lendemain c’est dans la rue que vous devez être, pour dire que vous n’êtes pas dupe si c’est le candidat de la bourgeoisie qui l’a emporté, ou pour rappeler à votre candidat élu ses promesses et lui montrer que vous serez vigilant. Le pouvoir est l’affaire de tous et non d’un seul homme ! Voter, n’est pas la fin, mais le commencement !

N’abdiquez donc pas, votez, mais sans remettre vos destinées à des hommes qui échappent à tout contrôle et à des traîtres futurs. Une fois l’élection passée, il vous faut contrôler votre destinée, et pour cela la première chose que doit faire votre candidat, c’est de changer les lois et la constitution, afin qu’un vrai contrôle sur l’assemblée et l’Elysée soit les garants de votre liberté ! Les occasions ne manquent pas aux hommes de bon vouloir. Rejeter sur les autres la responsabilité de sa conduite, se laver les mains des élections c’est manquer de vaillance.

Je vous salue de tout cœur, camarades.

Ecrit par Matignon RECLUS en écho à un texte que mon aïeul Elisée RECLUS avait écrit le 26 septembre 1885 dans une lettre adressée à Jean GRAVE

http://2ccr.unblog.fr/2012/04/10/votez-ce-nest-pas-abdiquer/

Messages

  • ... surtout si on vote Éva Joly, ça met la pagaille bien plus que le Mémélanchon, APRÈS !

  • L’écho :

    Élisée Reclus - Lettre à Jean Grave

    Clarens, Vaud, 26 septembre 1885.

    Compagnons,

    Vous demandez à un homme de bonne volonté, qui n’est ni votant ni candidat, de vous exposer quelles sont ses idées sur l’exercice du droit de suffrage.

    Le délai que vous m’accordez est bien court, mais ayant, au sujet du vote électoral, des convictions bien nettes, ce que j’ai à vous dire peut se formuler en quelques mots.

    Voter, c’est abdiquer ; nommer un ou plusieurs maîtres pour une période courte ou longue, c’est renoncer à sa propre souveraineté. Qu’il devienne monarque absolu, prince constitutionnel ou simplement mandataire muni d’une petite part de royauté, le candidat que vous portez au trône ou au fauteuil sera votre supérieur. Vous nommez des hommes qui sont au-dessus des lois, puisqu’ils se chargent de les rédiger et que leur mission est de vous faire obéir.

    Voter, c’est être dupe ; c’est croire que des hommes comme vous acquerront soudain, au tintement d’une sonnette, la vertu de tout savoir et de tout comprendre. Vos mandataires ayant à légiférer sur toutes choses, des allumettes aux vaisseaux de guerre, de l’échenillage des arbres à l’extermination des peuplades rouges ou noires, il vous semble que leur intelligence grandisse en raison même de l’immensité de la tâche. L’histoire vous enseigne que le contraire a lieu. Le pouvoir a toujours affolé, le parlottage a toujours abêti. Dans les assemblées souveraines, la médiocrité prévaut fatalement.

    Voter c’est évoquer la trahison. Sans doute, les votants croient à l’honnêteté de ceux auxquels ils accordent leurs suffrages — et peut-être ont-il raison le premier jour, quand les candidats sont encore dans la ferveur du premier amour. Mais chaque jour a son lendemain. Dès que le milieu change, l’homme change avec lui. Aujourd’hui, le candidat s’incline devant vous, et peut-être trop bas ; demain, il se redressera et peut-être trop haut. Il mendiait les votes, il vous donnera des ordres. L’ouvrier, devenu contre-maître, peut-il rester ce qu’il était avant d’avoir obtenu la faveur du patron ? Le fougueux démocrate n’apprend-il pas à courber l’échine quand le banquier daigne l’inviter à son bureau, quand les valets des rois lui font l’honneur de l’entretenir dans les antichambres ? L’atmosphère de ces corps législatifs est malsain à respirer, vous envoyez vos mandataires dans un milieu de corruption ; ne vous étonnez pas s’ils en sortent corrompus.

    N’abdiquez donc pas, ne remettez donc pas vos destinées à des hommes forcément incapables et à des traîtres futurs. Ne votez pas ! Au lieu de confier vos intérêts à d’autres, défendez-les vous-mêmes ; au lieu de prendre des avocats pour proposer un mode d’action futur, agissez ! Les occasions ne manquent pas aux hommes de bon vouloir. Rejeter sur les autres la responsabilité de sa conduite, c’est manquer de vaillance.

    Je vous salue de tout cœur, compagnons.

    Élisée Reclus.

    P.-S.

    Lettre adressée à Jean Grave, insérée dans Le Révolté du 11 octobre 1885.
    Reclus, Élisée (1830-1905), Correspondance, Paris : Schleicher Frères : A. Costes, 1911-1925. pp.364-366

    http://anarsonore.free.fr/spip.php?article301