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Philippe Poutou et les commentateurs sur Twitter : le triomphe du mépris de classe

par Gaëlle-Marie Zimmermann

Publie le vendredi 13 avril 2012 par Gaëlle-Marie Zimmermann - Open-Publishing
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LE PLUS. La prestation de Philippe Poutou dans l’émission "Des paroles et des actes" de ce 11 avril a amené certains utilisateurs du réseau social Twitter à railler le candidat du NPA sur sa condition d’ouvrier. Et certaines phrases comme "Retourne dans ton usine !" n’ont pas été du goût de Gaëlle-Marie Zimmermann, ancienne ouvrière et femme d’ouvrier

Mercredi 11 avril, nous avons eu droit à une mouture "spéciale petits candidats" de l’émission "Des paroles et des actes" sur France 2. Non, restez ! Je vous rassure tout de suite, je ne vais pas me lancer dans la chronique politique : en effet, je n’arrive à m’exprimer que lorsque j’ai quelque chose à dire. Il me manque donc la qualité essentielle pour le job de chroniqueur politique.

D’autant que mercredi soir, moi, je regardais tranquillement "Les Ripoux" en mangeant des œufs en praliné. C’est dire si les prestations des candidats à l’antenne me passionnent. Et comme, par ailleurs, je ne peux tolérer la vue de David Pujadas plus de 15 secondes sans avoir envie de vomir mon propre foie (et on peut comprendre pourquoi rien qu’en cliquant ici), il n’était pas question que je m’inflige ce cirque.

Mais quand même, j’ai gardé un œil sur Twitter, pendant le film. Et au moment de l’intervention de Philippe Poutou, j’ai commencé à voir passer des tweets assez effarants.

Pour celles et ceux qui n’utilisent pas Twitter, je résume : Twitter est un réseau social sur lequel on poste des messages de 140 caractères maximum, appelés "tweets" ("gazouillis" en anglais). On ne voit que les messages des gens que l’on a choisi de "suivre", et nos messages sont vus par les gens qui ont choisi de nous suivre.

Globalement, Twitter est un repaire de privilégiés qui pètent gravement au-dessus de leur cul, enfermés dans la bulle corporatiste de la catégorie socio-professionnelle au sein de laquelle ils évoluent. Encore que. Évoluer est un bien grand mot, dans ce cas précis.

Mais heureusement, on trouve aussi sur Twitter de vraies personnes. Par "vraies personnes", j’entends : sympas, les pieds sur terre, gauchistes en fonte plutôt qu’en mousse, connaissant les affres de la pauvreté passée ou présente ou, au minimum, conscients de ce que cela peut représenter, et parfois même connaissent le vrai sens du mot "travail". Ces gens-là sont, à mes yeux, les seuls qui valent le détour dans ce panier de crabes.

Moquer un ouvrier

Donc, Phlippe Poutou. Franchement, je n’ai pas d’idée précise sur la qualité de sa prestation. A-t-il été bon, mauvais, drôle, speed, crédible, je ne sais pas. En revanche, j’ai pu apprécier à leur juste valeur les tweets se foutant de lui et surtout de sa condition d’ouvrier.

En toute logique, j’ai immédiatement cessé de suivre les imbéciles qui avaient proféré ces conneries condescendantes, mais grâce à Valérie, du blog Crêpe Georgette, j’ai pu savourer une myriade d’autres tweets qui m’ont donné envie de distribuer des mandales. Parce qu’à ce niveau de bêtise, on ne discute plus : on atomise, on ventile. On disperse façon puzzle.

Je vous propose quelques exemples ? Bon appétit :

C’est chic, c’est élégant, ça fleure bon l’indécence de la race des seigneurs, la graine de champions, celle qui trouve normal de hiérarchiser les individus en fonction de leur activité professionnelle. Et le mépris de classe, ce fléau ordinaire qui ne heurte finalement pas grand monde tant sa distillation est une composante essentielle de notre société, me fait toujours autant bondir.

Parce que je suis partie prenante ? Probablement. Il ne fait aucun doute qu’en tant qu’ancienne ouvrière et femme d’ouvrier, je ne peux que m’arracher les cheveux devant ce genre de propos répugnants.

Je ne sais pas comment je percevrais tout ça si j’avais été formatée par l’esprit tout-puissant du col blanc. Mais peu importe. Le fait est que je suis incapable de comprendre ce genre de comportement. Et si dans mon quotidien professionnel je simule non pas une élégance intellectuelle (dont je suis définitivement dépourvue), mais tout au moins une certaine adéquation de principe avec la journaleuserie qui me nourrit, tout cela n’est que vitrine mensongère : chez moi, c’est en s’usant les mains et tout le corps qu’on gagne sa vie, à la base.

Et ma sortie hasardeuse du gagne-pain en 3X8 ne change rien à l’affaire : je ne dois ma présence hors des agences intérim et de l’usine qu’à une bonne dose de chance (qu’on ne se leurre pas). Bien sûr, j’ai bossé, mais ce que je fais, n’importe qui doté d’une grande gueule et d’un clavier pourrait le faire. En revanche, parmi tous les branleurs qui, mercredi soir, dégueulaient sur Philippe Poutou, lesquels seraient à même d’endurer un travail d’ouvrier ?

Alors bande de prétentieux, j’aimerais être en mesure de vous offrir un stage de quelques semaines en usine. J’aimerais vous donner l’occasion de vérifier que, non seulement les gens qui gagnent pour de vrai leur vie à la sueur de leur front ne sont pas des imbéciles, mais que pour survivre à l’usine, aux cadences, à la douleur du corps et à l’abrutissement physique qui transforme chacun de vos muscles en vivante punition, il faut les avoir sacrément bien accrochées.

De vains commentaires

Pauvres imbéciles fats et creux, vous ne savez pas ce que c’est de badger à 4h58, le corps encore engourdi et le cerveau embrumé, et de prendre votre poste en étirant discrètement vos muscles encore douloureux de la veille. Vous ne savez pas que dans les ateliers où on découpe du métal, on en respire la poussière, malgré les masques et tous les dispositifs de ventilation. Vous ne savez pas comment, au fil des heures, lorsque l’on est penché sur la machine qui usine les pièces minuscules sur lesquelles on insère 4 vis, la nuque devient raide et les yeux brûlants. Ni comment on se coupe le bout des doigts, sans arrêt, jusqu’à craindre le lavage des mains au savon.

Vous ne savez pas non plus comment, pour ceux qui bossent en extérieur, en plein hiver et par - 10°, il est difficile de dérouler dans la neige 50 mètres de tuyau, et combien les crevasses tortureront vos mains en fin de journée, en dépit des gants.

Vous ne savez rien. Vous êtes inutiles. Déchets improductifs, ébauches mal dégrossies de futurs piliers de bureau ou d’agences, journalistes puants et ignorants du monde, vous ne servez que vous-mêmes et même ça, vous le faites mal.

En écrasant de Philippe Poutou de votre mépris, vous n’avez prouvé qu’une chose : la haine de classe est votre signature. Après, comme le dit très justement Valérie, vous pouvez toujours aller voter PS pour vous donner bonne conscience.

http://leplus.nouvelobs.com/contribution/523105-philippe-poutou-et-les-commentateurs-sur-twitter-le-triomphe-du-mepris-de-classe.html

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