Accueil > Agent Orange Viêt Nam, un demi-siècle après

Agent Orange Viêt Nam, un demi-siècle après

par André Bouny

Publie le vendredi 10 août 2012 par André Bouny - Open-Publishing
3 commentaires

Enfants de l’Agent Orange

Le 10 août est la «  Journée des victimes de l’Agent Orange  », 2012, le 51ème anniversaire du premier épandage. Les années passent, la dioxine demeure. De nouvelles victimes naissent tandis que d’autres meurent. Voici comment les martyrs de l’Agent Orange sont captifs des géostratégies du monde et des firmes multinationales qui les sous-tendent.

Les États-Unis tergiversent, refusant de reconnaitre leur responsabilité dans le crime de l’Agent Orange. Il y a plusieurs années, ils évoquèrent l’étude d’un projet visant à dépolluer « leur » ancienne base de Danang. À l’été 2011, des accords de décontamination de la dioxine furent entérinés pour ce qui concerne une partie de cette ancienne base US. Hier, veille de ce 51ème anniversaire du premier épandage, s’est déroulé l’inauguration du début des travaux dont nous devons nous réjouir. Cependant, ce chantier est entrepris prioritairement là où les étasuniens pourraient revenir, Danang étant le seul port en eaux profondes du Viêt Nam où les bâtiments de l’US Navy peuvent s’ancrer durablement. Le temps qui s’écoule joue en faveur des USA. Non seulement les victimes de l’Agent Orange passent, mais le contexte géopolitique renforce leurs projets géostratégiques, complétant celui militaro-stratégique global, l’expansionnisme de la Chine servant de justification.

Le réchauffement des relations vietnamiennes avec l’ancien ennemi rend délicat celles avec la Chine voisine avec qui le Viêt Nam entend garder d’excellentes relations.

En 2009, la concession à Chinalco d’exploiter les importants gisements de bauxite (3ème au monde, minerai permettant la fabrication de l’aluminium) au sud des hauts plateaux vietnamiens fit grand bruit, outre celles de perspectives environnementales, humaines, sociales et sanitaires pouvant se révéler désastreuses, d’avoir ouvert la porte à la puissance régionale.

La Chine qui, par ailleurs, exerce depuis la fin de la Deuxième guerre mondiale sa pression sur les îles Hoang Sa (Paracels). Souvenons-nous de la bataille des îles Hoang Sa entre la Chine et le Sud-Viêt Nam d’alors, en janvier 1974. La même pression s’exerce sur les îles Truong Sa (Spratleys) situées au large des côtes sud du Viêt Nam, à mi-chemin entre ce pays et le Brunei. De souveraineté vietnamienne, ces îles coralliennes inhabitées (Truong Sa se trouvant très éloignées de la Chine) ont de tout temps été de hauts lieux de pêche et des refuges pour les bateaux des pays environnants lors de tempêtes et typhons. Une carte géographique de la Chine établie par la dernière dynastie chinoise des Qing (1644 -1912), parue en 1904, délimite l’extrême sud de la Chine à l’île de Hainan. Les archipels Hoang Sa et Truong Sa vietnamiens n’y figurent pas. Certes, c’est un des endroits les plus poissonneux du monde mais, par dessus tout, ses fonds recèleraient des réserves pétrolières comparables à celles d’un pays du Moyen-Orient. De plus, les Hoang Sa et Truong Sa sont des positions militaro-stratégiques permettant de surveiller le Détroit de Malacca où transite un des plus grands trafics maritimes de la planète, notamment celui des pétroliers vers la Chine et le Japon. Il s’agit certainement là du futur théâtre d’influence américano-chinois du XXIème siècle, la Chine accélérant le développement et la modernisation de sa flotte militaire. En juin 2011, des manœuvres conjointes des marines étasuniennes et vietnamiennes ont eu lieu, et 3 navires de l’US Navy (USNS Safeguard et les contre-torpilleurs USS Chung-Hoon et USS Preble) mouillèrent dans le port de Danang, précédés d’une année par le porte-avions nucléaire USS George Washington naviguant au large, tandis que le destroyer USS John McCain jetait l’ancre au port de cette ville. Là où précisément les États-Unis viennent de commencer la décontamination de la dioxine sur « leur » ancienne base...

Dans ce contexte délicat, les pauvres pêcheurs vietnamiens en activité sur les archipels Hoang Sa et Truong Sa voient leurs embarcations arraisonnées, confisquées, coulées, et il arrive qu’ils soient détenus, rançonnés, battus ou tués par l’armée chinoise :

Quant à l’impensable, il s’est produit il y a quelques jours, le 26 juin 2012, exactement. China National Offshore Oil Corporation (CNOOC) a lancé un appel d’offre aux entreprises internationales pour la prospection et l’exploitation de 9 lots de pétrole et de gaz situés dans la zone économique exclusive et sur le plateau continental du Viêt Nam. Il ne s’agit aucunement d’une zone litigieuse puisque, si la largeur maximale des eaux territoriales est fixée à 12 milles marins (soit 22, 2 km) par la Convention des nations unies sur le droit de la mer de 1982, la Zone d’Exclusivité Économique (ZEE) d’un État côtier est fixée à 200 milles. Or, les lots envoyés en appel d’offre par la Chine sont sous la souveraineté vietnamienne (lots 128 à 132, et 145 à 156, dans lesquels Petrovietnam est en activité depuis longtemps). Il suffirait qu’une multinationale réponde à cette bravade pour complexifier la situation et les litiges de la région. Par l’intermédiaire du sénateur Joe Liberman, les États-Unis émirent une protestation : « un acte injustifiable et sans précédent », sachant que cette situation resserrait leur coopération militaire avec le Viêt Nam. Il est particulièrement délicat pour le Viêt Nam de demander davantage (dédommagement des victimes de l’Agent Orange) à l’ancien ennemi alors qu’il se pose en protecteur face à la puissance régionale qu’est la Chine.

En arrière-plan, le Comité International Olympique (CIO) y va de sa partition en prenant pour sponsor majeur des Jeux Olympiques de Londres… Dow Chemical ! Et ceci jusqu’en 2020. Dow est le fabricant et le fournisseur du Napalm et l’un des principaux fournisseurs de l’Agent Orange durant la guerre étasunienne au Viêt Nam, le 2ème plus grand pollueur au monde (selon US Environmental Protection Agency – EPA) pour des Jeux Olympiques verts. La durée de temps comparable entre la fin de la guerre américaine au Viêt Nam et aujourd’hui équivaut à peu de chose près à celle qui séparait la fin de la Deuxième guerre mondiale (avec ses camps d’extermination nazis) des Jeux Olympiques de Los Angeles. Il aurait été difficilement imaginable que les JO de Los Angeles, en 1984, soient sponsorisés par IG Farben, fabricant du Ziklon B utilisé dans les chambres à gaz (même rebaptisé sous le nom de BASF). Cependant, la contestation internationale est quasi inexistante, celle que George W. Bush appelait « le bruit de fond ». Les médias qui couvrent les JO paient des droits d’antenne et d’image (notons qu’en France, il n’y a pas une seule image des Jeux Paralympiques) qui à leur tour leur apportent des annonceurs, économie en boucle qui bâillonne et tue toute révolte et moralité, blanchissant Dow. Restait donc la possibilité d’alerter une icône, Paul MacCartney (Le chanteur des anneaux, comme l’a baptisé un musicien d’origine vietnamienne), l’ex-Beatles clôturant la cérémonie d’ouverture des JO de Londres. En réalité, cette tribune planétaire servira à améliorer la condition de vie d’un éléphant maltraité en Inde, répondant au nom de Sunder (action louable, certes, mais c’est aussi le pays de la catastrophe industrielle de Bhopal, que Dow n’a toujours pas décontaminé), et sans un mot pour les millions de victimes de l’Agent Orange (faut dire que la fille du chanteur a obtenu la création des vêtements d’athlètes de ces olympiades londoniennes). Même la vieille star ne peut plus se permettre… L’époque n’est pas au courage.

Si nous ne doutons pas du talent diplomatique vietnamien et du courage des victimes de l’Agent Orange pour faire face à l’avenir qui, par définition, est incertain et reste à construire, les enjeux de ce jeune siècle pèsent tout particulièrement sur cette région.

Combien faudra-t-il de temps au « bruit de fond » pour couvrir les partitions composées par l’argent roi des transnationales au pouvoir planétaire : complainte des politiques, berceuse des médias, et musique militaire ?

André Bouny, père adoptif d’enfants vietnamiens, pt du « Comité International de Soutien aux victimes vietnamiennes de l’Agent Orange (CIS) » ; fondateur de « D.E.F.I. Viêt Nam » ; auteur de «  Agent Orange, Apocalypse Viêt Nam  », Éditions Demi-Lune, Paris, 2010.
http://www.editionsdemilune.com/agent-orange-apocalypse-viet-nam-p-33.html


Messages