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Un peu de silence

Publie le mercredi 6 avril 2005 par Open-Publishing

de ROSSANA ROSSANDA traduit de l’italien par karl&rosa

Que la terre lui soit légère, plus que ne l’ont été les médias. Jean-Paul II s’est éteint après des jours de souffrance alors que l’Italie était submergée par une mer de paroles, d’images dérobées, d’indiscrétions. Un voyeurisme indécent. La dernière photo de son visage défiguré dans une inutile tentative de parler à la foule a trôné en première page. Il y en avait qui le disaient mort, qui l’entendait parler italien ou allemand, qui certifiaient qu’il était éveillé et d’autres dans le coma. S’ils avaient pu placer leur caméra à moins d’un mètre du lit et capter en audio son dernier souffle, ils l’auraient fait. Les habituels évêques de télévision n’étaient pas agenouillés à prier, ils étaient sur les plateaux de la Rai ou de Mediaset pour inviter les autres à la prière.

En un crescendo alimenté par les sempiternels présentateurs, nous avons été informés que tous les catholiques, et même plus, toutes les églises chrétiennes, tout le judaïsme, tous les musulmans priaient ; il ne manquait que les sentiments des bouddhistes.

Le président de la République dont je suis moi aussi une citoyenne a participé aux messes de veillée et a fait des déclarations jadis impensables pour un état laïque et qui ne me représentent pas. Je ne sais pas si cette spectacularisation a été désirée par lui ou si elle est le fruit de la curie et des personnages qui l’entouraient. Il est certain que Karol Wojtyla a accepté et recherché tous les médias - pour introduire l’ Eglise dans le troisième millénaire, nous disent les vaticanistes - et qu’à la fin, il a été la victime de leurs excès que désormais personne n’ignore. Toutes les autres nouvelles ont ainsi disparu de la une et des journaux télévisés à moins qu’elles n’aient concerné la Formule 1. Et peut-être cette massification d’une religion facile a-t-elle guidé une bonne partie de ceux qui depuis samedi ont rempli la place Saint-Pierre pour pouvoir dire comme leurs grands-pères à l’époque des batailles "moi aussi, j’y étais", au moment où les lumières des deux fameuses fenêtres se sont éteintes.

Comment le leur reprocher ? Ce n’est pas cela qui met mal à l’aise ceux qui, non croyants, considèrent le christianisme comme un grand évènement de l’humanité. C’est l’usage qu’on est en train d’en faire. Pourquoi parler de chemin de croix pour un vieillard qui était en train de mourir à cause de lourdes maladies, comme cela arrive à des millions d’autres dans le monde et sans être arrivés à son âge et sans les soins qui lui ont été prodigués ? Pourquoi parler de martyr ? Le juif de Nazareth, convaincu d’être le fils de Dieu, accepta d’être flagellé et de mourir par un supplice horrible et solitaire comme le dernier des esclaves pour sauver le monde. Karol Wojtyla, dés qu’il a été élu pape, ne s’est plus senti comme un homme mais comme la voix du Christ, jusqu’à parler de lui-même à la troisième personne.

Mais c’était un homme et cela nous a fait une peine immense qu’il se propose comme symbole d’une issue pour l"humanité non seulement sécularisée mais qui se déclare chaque jour dénuée d’idéaux et d’idées. On l’a usé comme une rockstar alors qu’on aurait dû le protéger. Mourir est un dur labeur, encore plus dur pour une fibre comme la sienne qui défiait la montagne et la neige et qui a résisté longtemps. On aurait dû l’accompagner avec discrétion et piété.

Nous ne pensons pas qu’il y en aura beaucoup lors de ses funérailles et de son enterrement. Les grands de ce monde qui n’ont pas songé à l’écouter quand il parlait pour la paix et contre la richesse viendront. Il a été la seule autorité morale pour ceux qui ne se sont plus préoccupés d’une éthique terrienne. A présent, le temps est venu d’une réflexion sur le pontificat de Jean-Paul II, lui aussi emphatisé par des éloges et par des déclarations qui en faisaient le premier et l’irremplaçable, qui n’avaient jamais été prononcés pour Grégoire le Grand. On va pouvoir mesurer maintenant sa contribution théologique, peut-être pas si importante, son enseignement éthique, peut-être pas si innovateur, son poids politique multiplié par l’effondrement des communismes, son rôle, non dénué d’ombre, dans la communauté ecclésiastique. Il y a un jour pour vivre et un jour pour mourir, dit le Qoelet. Que cela au moins soit laissé au silence.

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