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Retour sur "Chocolate Factory", de Paul McCarthy

par Jean Scorza

Publie le mardi 28 octobre 2014 par Jean Scorza - Open-Publishing

Dans le cadre de la Foire internationale d’art contemporain, l’installation de Tree de l’américain Paul McCarthy Place Vendôme avait suscité la colère des réactionnaires. D’abord, l’artiste avait été agressé en plein jour par un « passant » mais très vraisemblablement un membre de l’extrême droite qui l’a traité de « stupid fucker artist » qui « insultait la France ». Quelques jours plus tard, l’œuvre elle-même était vandalisée par des nervis d’extrême droite, ce qui l’a contraint à la retirer. Cité dans Le Nouvel Observateur, Paul McCarthy regrettait : « Au lieu d’engendrer une réflexion profonde autour de l’existence même des objets comme mode d’expression à part entière, notamment dans la pluralité de leur signification, nous avons assisté à de violentes réactions » [1]. Le choix de la violence contre l’art fait partie de la tradition de la droite la plus réactionnaire. C’est pour cela que nous défendons la liberté totale pour l’art, au-delà de ce que l’on puisse penser sur l’œuvre elle-même et donc condamner les agressions à l’artiste et son œuvre.

« L’art n’est pas un miroir, mais un marteau », disait Trotsky. L’installation Chocolate Factory [2] de l’américain Paul McCarthy à la Monnaie de Paris n’est pas tant le marteau de la critique révolutionnaire consciente qu’une mise en scène volontairement déformée de la société capitaliste. S’il faut refuser de penser l’art seulement comme un moyen de comprendre l’idéologie dominante donc l’idéologie de la classe dominante à une époque déterminée, et s’il faut le penser également pour soi et dans son autonomie (relative) par rapport au politique (et pas par rapport au social), McCarthy nous invite de manière explicite à penser son art aussi comme une remise en question culturelle et sociale.

Là où le crétinisme journalistique conservateur n’a vu que le sensationnel des « obsessions sexuelles » [3] de l’artiste et où le journalisme petit-bourgeois de gauche ne voit que les références au stade « sadico-anal » dans l’œuvre de McCarthy [4], on peut facilement voir autre chose de bien plus profond si l’on comprend tout simplement que l’art est aussi un instrument capable de mettre en discussion le quotidien tel qu’il se manifeste à nous. Pourtant, de nouveau, si l’on se tient à la critique journalistique, l’installation ne serait finalement qu’une critique de l’ « Amérique puritaine » et « son hypocrisie en matière sexuelle » comme le voudrait Le Figaro (il faudrait d’ailleurs leur demander si cette critique ne s’appliquerait pas aussi à la France), de la « société de consommation » selon Libération, voire de la « société du spectacle » d’après Le Monde [5].

Portrait de l’artiste en travailleur

Dès l’entrée, le visiteur est mis en face de sculptures gonflables géantes, d’objets sexuels de diverses tailles et couleurs qui font référence à Tree. Derrière ces sculptures se trouve une grande salle où a été construite une usine à chocolat (ou plutôt un atelier) à partir de plaques en bois. Dans cette usine travaillent des performeurs silencieux habillés en rouge avec des perruques blondes fabriquant des plugs anaux ou des figurines du Père Noël en chocolat armés de sex-toys. Le bruit des machines, les uniformes de travail, le geste rythmé des performeurs fait comme si on était dans n’importe quelle usine de France. Les œuvres qui sortent des moules sont elles aussi stockées pour être ensuite vendues et consommées comme n’importe quelle marchandise. L’installation continue donc à la caisse du magasin du musée de la Monnaie, où l’on peut acheter pour 50 euros un plug anal ou un père Noël en chocolat.

Cette usine ne fonctionne pas en flux tendu. Derrière l’atelier de production des stocks de marchandises s’accumulent sans cesse. C’est le premier moment où le visiteur peut être directement en contact avec les « œuvres », toujours sous l’œil des vigiles du musée. Comme le dit le site de la Monnaie : « Produites en tirage illimité, consommables et périssables, ces figurines sont mises en vente à l’entrée de l’exposition ainsi que dans la librairie. Jour après jour, Chocolate Factory se développe à l’image d’une sculpture, créant des problèmes logistiques, des problèmes de stockage, affectant au final sa capacité même de fonctionner. »

L’auteur a choisi également d’intégrer à son installation de nouveaux éléments à partir de son agression physique Place Vendôme. Des panneaux reprennent avec violence les mots du passant qui l’a traité de « stupid fucker artist » qui « insultait la France ». Ce rajout est un trait propre à McCarthy qui s’était déjà positionné contre la vision héroïque de l’artiste, dans Painter (1995) où un peintre/clown qui peint avec de la merde se coupe les doigts avec un hachoir.

Quelqu’un nous informe enfin que les ouvriers/performeurs sont en fait des étudiants stagiaires embauchés à partir d’annonces de recrutement dans des sites web destinés aux étudiants dans les métiers de la culture. L’exposition était déjà un miroir déformé de la production marchande, or là, la barrière entre l’art comme représentation et le réel tombe totalement, peut-être à l’insu de l’artiste.

L’art produit ici sous la forme de marchandises achetables et vendables par n’importe quel individu est un art que McCarthy veut émancipé de toute authenticité, comme dirait Walter Benjamin, émancipé de tout ce qui est unique à l’œuvre d’art qui échappe à la reproduction. Chocolate Factory est plus que la vente de cartes postales de la Joconde comme liquidation de tout héritage culturel de l’œuvre et de toute authenticité, c’est la production en série d’art contemporain. De même, l’idée derrière Tree était l’ambiguïté entre un plug anal vert géant et un sapin de Noël, le tout installé dans une des places les plus « chic » de Paris. Ici l’ambiguïté hésite entre le chocolat et la merde (objet récurrent dans l’œuvre de l’américain). C’est de la merde produite en série et vendue à 50 euros pièce. L’odeur de chocolat qui est présente partout nous donne envie de consommer cette marchandise produite à l’atelier de McCarthy. En quelque sorte, il nous donne à manger la merde produite par la société capitaliste.


NOTES

[1] « Paul McCarthy renonce à réinstaller son oeuvre polémique », Le Nouvel Observateur, 18 octobre 2014.

[2] Actuellement à la Monnaie de Paris, du 25 octobre jusqu’au 4 janvier 2015. Entrée gratuite.

[3] « Après le sapin sextoy, Paul McCarthy expose ses chocolats », Le Figaro, 24 octobre 2014.

[4] « Paul McCarthy, ses œuvres de merde », Libération, 24 octobre 2014.

[5] « Monnaie de Paris : Paul McCarthy et la chocolaterie », Le Monde, 24 octobre 2014.

Source : http://www.ccr4.org/Retour-sur-Chocolate-Factory-de