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Peur du régime et répression du mouvement social

par Jérôme Duval

Publie le dimanche 2 novembre 2014 par Jérôme Duval - Open-Publishing

Alors que l’Espagne vit une crise humanitaire sans précédent,
le mouvement social subit une répression constante d’un régime
qui a peur du changement et protège ses intérêts. Le bipartisme
PP/PSOE qui s’alterne au pouvoir depuis la fin de la dictature
est fort affaibli par une succession de luttes sociales
victorieuses et l’irruption d’initiatives populaires qui mettent
en pratique de nouvelles façons de faire de la politique. À n’en
pas douter, l’Espagne entre dans une phase de mobilisation qui
augure de possibles changements politiques importants.

Restriction des libertés, impunité et répression des
mouvements sociaux

Le chômage et les mesures antisociales d’austérité encouragent
toujours plus de personnes à protester dans la rue. Selon les
données du gouvernement, mentionnées dans un rapport Amnesty
International |1|, il y a eu 14 700 manifestations dans toute
l’Espagne en 2012. À Madrid il y en aurait eu 3 419 en 2012 et 4
354 en 2013. Pour faire face à la recrudescence des
manifestations et doter la police de plus de pouvoirs pour
sanctionner, le gouvernement a impulsé une nouvelle loi, dite de
« sécurité citoyenne » (Seguridad Ciudadana, aussi appelée « loi
bâillon », ley mordaza). Celle-ci remet en cause le droit à la
liberté d’association et d’expression, à se réunir et manifester
pacifiquement, droits pourtant consacrés dans les traités de
droits humains dont l’Espagne est signataire, tel le Pacte
International relatif aux Droits Civils et Politiques (PIDCP).
Le projet soulève l’indignation alors qu’il condamne les
réunions ou manifestations, non communiquées, d’infractions ou
délits graves s’ils se déroulent à proximité de lieux tels que
le Parlement ou le Sénat ou encore dans des « installations dans
lesquelles sont rendus des services basiques pour la
communauté ». Les personnes organisant de tels événements sont
passibles d’amendes pouvant aller jusqu’à 600 000 euros. Mais,
plus généralement, les réunions ou manifestations
non-communiquées dans les lieux de passage public sont
sanctionnés par des amendes allant de 100 à 600 euros. De plus,
l’utilisation non autorisée d’images de la police peut être
sujet à des sanctions graves, ce qui encourage les abus et
l’impunité, cela met en péril le travail de la presse -
principalement alternative - pour alerter l’opinion sur la
répression des mouvements sociaux. Contre l’avis d’une grande
partie de la population et de tous les partis de l’opposition
qui demandent son abrogation, le projet de loi est maintenu
après avoir été débattu le 16 octobre au Parlement. Une
coordination citoyenne de 70 organisations lance une campagne
pour le retrait total du projet de loi. |2|

Alors que celle-ci n’est toujours pas mise en application et
que les chiffres d’infractions pénales sont en baisse, des
dizaines de milliers de personnes croulent sous les amendes.
Plus de 1 000 activistes sont accusés et parfois sous le coup de
centaines de demandes d’incarcérations. En 2014, plus de 40
procédures pénales sont prévues pour participation à des grèves.
Mentionnons le cas d’Alfon, jeune de 22 ans, arrêté alors qu’il
se dirigeait au piquet de grève de son quartier Vallecas à
Madrid pour la grève générale européenne du 14 novembre 2012. Il
sera le seul détenu ce jour là et restera 56 jours en
« détention préventive », il risque encore 5 ans et demi de
prison. De nombreuses démonstrations de solidarité
internationale ont eu lieu |3|
et son procès, initialement prévu le 18 septembre, a finalement
été reporté au 25 novembre. Carlos Cano et Carmen Bajo de
Grenade, risquent 3 ans de prison et 3 655 euros d’amende pour
avoir participé à un piquet de grève pendant la grève générale
du 29 mars 2012. Lors d’un premier passage en prison, Carlos est
devenu prisonnier politique le 14 juillet. |4| Miguel
et Isma sont restés plusieurs mois en prison préventive après
avoir participé aux Marches de la Dignité le 22 mars 2014. |5|
Trois ans et cinq mois après les faits, 14 des 19 personnes
inculpées suite à la manifestation du 15 mai 2011, prémices du
mouvement 15M, sont condamnées à 74 années de prison au total. |6|

Selon le rapport d’Amnesty International |7|,

26 des 35 personnes détenues durant la manifestation « Rodea el
Congreso » ont présenté une plainte le 20 décembre 2012, pour
lésions, détention illégale, et torture. En effet, la violence
du régime n’est pas seulement judiciaire, elle est aussi
physique. Certaines personnes comme Ester Quintana ont perdu un
œil par l’impact de balles en caoutchouc tirées par les Mossos
D’Esquadra, la fameuse police de Barcelone. Iñaki, âgé de 19
ans, a perdu la vue sur un œil suite à l’impact du même
projectile alors qu’il participait pacifiquement à la
manifestation du 22 mars 2014 lors des spectaculaires Marches de
la Dignité. |8| Le même jour et dans les mêmes
conditions, Gabriel, un jeune de 23 ans, a perdu un testicule.

"Aturem el Parlament" (Arrêtons le Parlement)

Barcelone, 15 juin 2011. Des milliers de personnes manifestent
pour dénoncer l’approbation des « recortes » (coupes
budgétaires) et un paquet de mesures –la loi Ómnibus– qui
modifiait 80 lois d’un coup. Le Parlement de Catalogne est alors
encerclé et des membres du gouvernement du Parti Converència i
Unió (CiU) préfèrent venir en hélicoptère... Sans aucun doute,
il s’agit d’une mobilisation historique qui dérange le pouvoir
en place. Un procès a eu lieu contre 20 activistes. Le Parlement
et la Generalitat de Catalogne ont déposé une plainte demandant
3 ans de prison et jusqu’à 150.000 euros d’amendes contre les
accusés. Ils donnent ainsi suite à une accusation de Manos
Limpias (mouvement fasciste qui se fait bizarrement appeler
« syndicat » sans que personne ne conteste) réclamant 8 ans de
prison aux manifestants. Le juge Eloy Velasco, ex directeur
général de Justice au gouvernement valencien et lié à l’Opus
Dei, affirme que l’intention de la manifestation n’était pas
seulement d’exprimer un mécontentement mais bien empêcher les
députés d’entrer au Parlement pour voter les budgets. |9| Cependant, 3 ans après les faits, 19 des 20
accusés ont été absouts, libérés de toute accusation (l’accusé
restant écopera de 3 jours d’arrestation pour de la peinture sur
une veste...). Ainsi, le Tribunal de Madrid (la Audiencia
Nacional) place le droit à manifester au dessus du supposé
danger souligné le jour des faits par la quasi totalité des
médias.

Non seulement les nouvelles lois rétrogrades, les procès
injustes et les violences physiques indignent une population
déjà écœurée par la caste au pouvoir, entachée par une avalanche
de scandales de corruptions, mais les réactions populaires sont
souvent organisées avec plus ou moins de succès pour contrer ces
attaques. L’Espagne entrerait-elle dans une période de rébellion
populaire propice à un changement de régime ?


Partie 1
Partie 2
Partie 3
Partie 4

Notes

|1|
España el derecho a protestar amenazado, Amnistía Internacional,
2014. http://nosomosdelito.net/sites/defa...

|2|
La coordination No somos delitos est composée de 70
organisations. Voir : http://nosomosdelito.net/

|3|
http://blogs.publico.es/shangaylily...

|4|
Voir : http://carloscarmenabsolucion.wordp...

|5|
http://plataformalibertadisma.wordp...

|6|
Ter Garcia, La Fiscalía pide 74 años para los 14 detenidos
en la manifestación que dio inicio al 15M
, Diagonal,
02/10/2014. https://www.diagonalperiodico.net/l...

|7|
España el derecho a protestar amenazado, Amnistía
Internacional, 2014.

|8|
Jérôme Duval, Les Marches de la Dignité convergent sur
Madrid
, 24 mars 2014. http://cadtm.org/Les-Marches-de-la-...

|9|
Tous les députés ont participé malgré tout à la session
parlementaire comme prévu.

http://cadtm.org/Peur-du-regime-et-repression-du