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Sivens : la gendarmerie s’appuie sur la fachosphère

par David Perrotin

Publie le samedi 6 décembre 2014 par David Perrotin - Open-Publishing
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Après la mort de Rémi Fraisse, tué le 26 octobre par une grenade offensive alors qu’il manifestait contre le barrage de Sivens, l’enquête officielle était très attendue. Elle se révèle un peu bancale.

L’inspection générale de la gendarmerie nationale (IGGN) a conclu mardi, après un mois d’investigations, que les gendarmes n’avaient commis « aucune faute professionnelle ».

La source gênante du rapport de l’IGGN

Sauf que si le rapport est très détaillé et régulièrement sourcé, il peine parfois à convaincre. Soit parce que les inspecteurs établissent des conclusions étonnantes à partir de vidéos postées sur Internet (comme l’a relevé le site Numerama). Soit parce qu’ils s’appuient sur des sources très contestables.

Comme l’a remarqué sur Twitter un collaborateur du groupe EELV à l’Assemblée, Pierre Januel, les enquêteurs ont par exemple utilisé une référence plutôt gênante pour une enquête officielle commandée par l’Intérieur.

« Des journalistes très souvent pris à partie »

A la page 6 du rapport [PDF], l’IGGN veut démontrer la « radicalisation progressive des opposants à la retenue d’eau [au barrage de Sivens] », et détaille la stratégie médiatique des activistes. Le rapport conclut :

« Au cours des affrontements les plus violents de fin août, septembre et fin octobre, les journalistes sont contraints pour leur sécurité de rester au sein du dispositif des forces de l’ordre et sont très souvent pris à partie verbalement, en particulier par des activistes cagoulés qui ne veulent pas être filmés.

Après le décès de Rémi Fraisse, les médias classiques ne sont en possession que des seules images émanant des opposants au projet de retenue d’eau. »

Pour justifier ces remarques, le rapport mentionne en bas de page sa source qui n’est autre que TV Libertés, une chaîne d’info sur le Web proche de la « fachosphère ».


Capture de la note en bas de page du rapport de l’IGGN

La note précise :

« Dans une interview filmée par Liberté TV et insérée sur Youtube le 14 novembre 2014, le journaliste Pierre-Alexandre Bouclay indique avoir réalisé un reportage en infiltration pour contourner les obligations imposées par les zadistes, à savoir de séjourner au plus 2 heures par jour sur le site, de porter un brassard pour être identifié, de ne pas parler aux opposants sans autorisation et de visiter uniquement sous leur contrôle, avec des consignes indiquant ce qui doit être filmé.

Il a observé des confrères journalistes se faire expulser sans ménagement de la ZAD. Il met en évidence deux techniques des opposants : mettre devant le fait accompli les autorités et considérer comme légitimes toutes les violences commises par les zadistes ».

Interview de Pierre-Alexandre Bouclay sur TV Libertés

Un identitaire à la tête de TV Libertés

TV Libertés est une chaîne seulement accessible sur le Web et clairement portée sur les thèmes de l’extrême droite. Aux commandes de TV Libertés, on trouve Philippe Milliau (Réseau Identités) et Martial Bild (ancien dirigeant du Front national, cofondateur du Parti de la France). Le présentateur Jean-Yves Le Gallou est un ancien cadre du FN, connu pour avoir théorisé le concept de la « préférence nationale ».

En citant cette télévision, l’inspection veut mettre en avant l’interview du journaliste Pierre-Alexandre Bouclay. Mais elle omet d’indiquer qu’avant de travailler pour l’hebdomadaire Valeurs actuelles (il est l’auteur du dossier nauséabond intitulé « Roms l’overdose »), cet « infiltré de la ZAD » était, selon PressNews, le rédacteur en chef du journal d’extrême droite Minute.

Des conclusions du rapport contestées

Au-delà du choix très particulier de ces références, les conclusions du rapport sont également discutables. Dans ce même paragraphe de la page 6, l’IGGN écrit :

« Un journaliste de BFMTV est molesté, des journalistes de France 3 subissent des violences physiques et la dégradation de leur véhicule. Seule une journaliste de M6 ose porter plainte pour la dégradation de sa voiture le 8 octobre. »

Si France 3 nous confirme des agressions, la chaîne nous précise n’avoir jamais été empêchée de tourner des images dans la ZAD. Nous n’avons pas réussi à joindre M6. Contactée par Rue89, la journaliste de BFMTV Amélie Pateyron, qui a monté de nombreux sujets à Sivens, nous déclare :

« Je suis arrivée à Sivens le 27 octobre et je suis restée une semaine. Nous avons parfois reçu des insultes mais comme dans de nombreuses autres manifestations.

En revanche, je n’ai pas connaissance d’’un journaliste de BFMTV molesté. Et je pense que si cela avait été le cas, nous aurions été avertis. »

Une autre journaliste sur cette même chaîne confirme :

« Nous n’avons jamais été agressés par les manifestants et nous n’avons jamais été empêchés de tourner des images après la mort de Rémi Fraisse. Oui, ils étaient très vigilants et encadraient nos déplacements mais c’est tout. »

Déplacements encadrés certes, plus ou moins selon les médias, mais tout de même beaucoup d’images tournées par les journalistes eux-mêmes, à commencer par celles que nous avons mises en ligne.

« Pour la presse, pas d’explication de texte »

Alors comment expliquer que l’IGGN s’appuie seulement sur les dires de TV Libertés pour dénoncer la « stratégie médiatique des zadistes » ? Joints par Rue89, les inspecteurs refusent de s’expliquer :

« Nous ne répondrons à aucune de vos questions. Le rapport est public, mais avant tout destiné aux parlementaires. Pour la presse, nous ne faisons pas d’explication de texte. »

Nous n’en saurons pas davantage du côté du ministère de l’Intérieur : le cabinet de Bernard Cazeneuve préfère également garder le silence.

http://rue89.nouvelobs.com/2014/12/04/sivens-gendarmerie-sappuie-fachosphere-256392

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