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Quand les créanciers de l’Allemagne fermaient les yeux sur sa dette

par Pascal Riché

Publie le mardi 27 janvier 2015 par Pascal Riché - Open-Publishing

L’Allemagne n’a pas toujours été aussi à cheval sur la nécessité de payer une dette : elle a même fait défaut à deux reprises depuis la Seconde guerre mondiale.

L’Allemagne n’a pas toujours été hostile aux annulations de dette. La Grèce doit tenir ses engagements, répètent les Allemands. Mais il leur est arrivé d’être moins à cheval sur la nécessité de payer, rubis sur l’ongle, une dette.

Le meilleur exemple, c’est la façon dont la dette allemande a été amputée après la Seconde Guerre mondiale. Il s’agissait alors de remettre en selle ce pays vaincu, afin de l’ancrer au bloc occidental et de stabiliser le vieux continent. Les dirigeants occidentaux avaient tiré les leçons du traité de Versailles de 1919 et intégré le fait que l’humiliation d’un pays était non seulement inefficace mais dangereuse : "l’Allemagne paiera", ce slogan qu’ânonnait la France après la guerre de 1914-1918, avait conduit celle-ci directement dans les bras des nazis (et l’on peut penser que la récente poussée d’Aube dorée en Grèce obéit au même mécanisme).

Au tout début des années 1950, les Etats-Unis, la Grande-Bretagne et la France, conscients que les dettes extérieures (celles des entreprises et celles que la jeune RFA avait accepté de reprendre) représentaient un fardeau extrêmement pénalisant pour l’économie allemande, ont décidé de mettre à plat la question.

"On était dans un climat particulier, celui du début de la guerre froide : on comptait sur la RFA pour faire face au bloc soviétique", commente l’universitaire Michel Hau, spécialiste de l’histoire économique de l’Allemagne.

"Règlement adéquat de la dette allemande"

Dans une déclaration d’octobre 1950, ces trois pays posent un principe :
Les trois pays sont d’accord que le plan prévoit un règlement adéquat des exigences avec l’Allemagne dont l’effet final ne doit pas déséquilibrer la situation financière de l’économie allemande via des répercussions indésirables ni affecter excessivement les réserves potentielles de devises."

Il s’agit de trouver un règlement adéquat de la dette allemande qui assure à tous les participants une négociation juste en prenant en compte les problèmes économiques de l’Allemagne."

Des discussions vont s’ensuivre. La situation est critique : la RFA est menacée d’asphyxie, ce qui porte le risque d’une déstabilisation géopolitique de l’Europe. Il est urgent de restaurer une balance des paiements positive en Allemagne.

Lors d’une conférence à Londres le 27 février 1953, suivant le principe posé en 1950, 21 créanciers de la RFA décident d’un effort exceptionnel pour aider la RFA (lire, si l’on ne craint pas les maux de têtes, le document de l’accord en PDF).

• La dette est réduite de 62% : elle passe de 39 milliards à 14,5 milliards de deutschemarks ;

• Un moratoire de cinq ans est accordé ;

• Un délai de 30 ans est prévu pour rembourser ;

• Le pays peut limiter le paiement du service de sa dette à 5% de ses revenus d’exportation ;

• Si, du fait d’une mauvaise conjoncture, la RFA connaît des difficultés pour rembourser ce qui reste, il est prévu une suspension des paiements et une renégociation des conditions ;

• Les taux d’intérêts sont réduits ;

• Les demandes de réparations sont renvoyées à plus tard (concrètement, à une future unification des deux Allemagne...)

• etc.

"Un grand moment de clairvoyance"

En Grèce, les cadres de Syriza ont évidemment étudié de près cet épisode. D’autant que la Grèce figure parmi les 21 créanciers signataires…

En février 2013, Alexis Tsiprias, le leader de Syriza, écrit ainsi dans "Le Monde diplomatique" :

C’est précisément ce que la Coalition de la gauche radicale grecque (Syriza) propose aujourd’hui : procéder à rebours des petits traités de Versailles qu’imposent la chancelière allemande Angela Merkel et son ministre des finances Wolfgang Schäuble aux pays européens endettés, et nous inspirer de l’un des plus grands moments de clairvoyance qu’ait connus l’Europe d’après-guerre."

Les Grecs insistent sur un autre point de l’histoire, plus sensible encore, une blessure que les plans imposés par la troïka (BCE, FMI, Commission européenne) a réveillée : la dette de guerre de l’Allemagne vis-à-vis de la Grèce, qui n’était pas couverte par l’accord de Londres de 1953.

Pendant la Seconde Guerre mondiale, les Allemands ont pillé les ressources grecques. La Banque centrale du pays a notamment été contrainte de "prêter" à l’Allemagne 476 millions de reichsmarks, au titre de l’effort de guerre. Aujourd’hui, le remboursement de cette dette représenterait plus de 50 milliards d’euros.

Dans l’immédiat après-guerre, sur pression américaine, le remboursement de ces réparations avait, comme on l’a vu, été renvoyé à un futur traité d’unification des deux Allemagnes. La chute du mur en novembre 1989 a réveillé cette vieille question enfouie. Mais au moment des pourparlers d’unification, le chancelier Kohl a refusé de payer les réparations liées à la Seconde Guerre mondiale, à l’exception des indemnités versées aux travailleurs forcés.

On peut donc dire que depuis la guerre, l’Allemagne a fait défaut sur sa dette à deux reprises : en 1953 et en 1990. Ce qui ne l’a pas rendu plus compréhensive pour autant vis-à-vis des pays débiteurs...

http://tempsreel.nouvelobs.com/economie/20150126.OBS0832/quand-les-creanciers-de-l-allemagne-fermaient-les-yeux-sur-sa-dette.html