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Au FN, des boulets en batterie

par Dominique ALBERTINI

Publie le mardi 3 février 2015 par Dominique ALBERTINI - Open-Publishing
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Si le parti de Marine Le Pen a le vent en poupe dans les sondages, des nuages s’accumulent pourtant dans le ciel de l’extrême droite.

Face A, tout va bien au Front national. Dimanche, sa candidate devrait sans peine se hisser au second tour de la législative partielle qui se tient dans le Doubs. Trois semaines après les attentats de Paris, le parti d’extrême droite clame que les Français ont validé son discours sur l’islam et l’immigration. Vendredi, ses cadres en voulaient pour preuve un sondage plaçant Marine Le Pen en tête de la prochaine présidentielle - mais battue au second, quel que soit le candidat du PS et celui l’UMP. Quant aux départementales de mars, elles promettent de voir exploser le nombre d’élus frontistes.

Face B, le tableau est un peu plus nuancé. Le parti s’est mis à l’écart de la grande marche du 11 janvier, sa présidente jouant l’entre-soi dans la commune frontiste de Beaucaire (Gard). Un choix désapprouvé par 69% des Français, selon un sondage Ipsos, et même par un tiers des sympathisants FN. Il y eut ensuite la disgrâce d’Aymeric Chauprade, conseiller diplomatique de Marine Le Pen et chef de la délégation FN au Parlement européen, déchu pour ses prises de parole radicales et intempestives. Dernier épisode en date : la mise en examen de Frédéric Chatillon, proche de Marine Le Pen et principal prestataire du FN. Un événement qui donne des sueurs froides jusqu’au sommet du parti.

Les Visées électorales

« Elle n’est pas favorite », reconnaissent les cadres frontistes interrogés sur les chances de victoire de Sophie Montel, leur candidate dans la partielle du Doubs, ce dimanche. L’eurodéputée devrait pourtant n’avoir aucun mal à accéder au second tour, dans un département où le FN est arrivé en tête aux dernières européennes, avec 26,7% des voix. « Le PS est sortant dans un contexte de déception vis-à-vis de la gauche, et [Pierre] Moscovici [député du cru jusqu’à sa nomination à la Commission européenne, ndlr] est une caricature de la gauche antisociale, juge un cadre du FN. Le meilleur scénario pour nous serait d’arriver en tête au premier tour et d’affronter le PS au second. Un duel avec l’UMP serait plus compliqué, même si ce cas de figure est moins rédhibitoire qu’autrefois. »

Fin mars, les élections départementales pourraient confirmer la position de « premier parti de France » dont le FN se gargarise depuis les européennes. Un titre qui n’aurait de sens qu’en agglomérant les résultats de tous les cantons. Un sondage Odoxa réalisé les 22 et 23 janvier accorde 26% des voix au FN au niveau national, devant l’UMP (23%) et le PS (20%). Plus concrètement, le Vaucluse semble être l’une des seules cibles réalistes du parti lepéniste, qui devrait néanmoins enregistrer une forte augmentation du nombre de ses élus, notamment dans ses places fortes du Sud-Est, du Nord et du Nord-Est. « Aux européennes, nous étions à plus de 35% dans 310 cantons et au-delà de 45% dans 95, indique Nicolas Bay, secrétaire général du FN. Mais avec le mode de scrutin majoritaire, tout peut se jouer à quelques points. »

En avril, enfin, seront désignées les têtes de liste pour les régionales de décembre - qui auront pour cadre les treize nouvelles super-régions. Sauf surprise, Jean-Marie Le Pen, 86 ans, devrait remettre le couvert en Provence-Alpes-Côte-d’Azur - sans doute suivi de sa petite-fille Marion Maréchal-Le Pen. Principale inconnue : l’éventuelle candidature de Marine Le Pen dans la grande région Picardie-Nord-Pas-de-Calais, terrain très favorable au FN. « Si elle l’emporte, c’est un formidable tremplin qui démontrera sa capacité à gagner sur un grand territoire, explique un cadre. Si elle perd, ce serait sous l’effet d’une fusion UMP-PS », occasion de dénoncer le « système » formé par ces deux partis. Une défaite n’en serait pas moins un échec à un an et demi de la présidentielle.

La menace Frédéric Chatillon

« Escroquerie »,« faux et usages de faux »,« abus de biens sociaux »,« blanchiment d’abus de biens sociaux » : chargé de ces chefs d’accusation, Frédéric Chatillon est sorti de quarante-huit heures de garde à vue, le 23 janvier, pour être aussitôt mis en examen. Ancien président du GUD (syndicat d’extrême droite et groupuscule adepte des actions violentes), Chatillon est aussi un proche de Marine Le Pen. A titre personnel, la présidente du FN le qualifie d’« ami » ; et, du point de vue professionnel, sa société de communication Riwal est le principal prestataire du parti. Quant à Axel Loustau, autre gudard illustre, il a été actionnaire de Riwal au moins jusqu’en octobre 2013 et demeure trésorier de Jeanne, le microparti de Marine Le Pen.

Les enquêteurs s’intéressent au mode de financement de plusieurs campagnes électorales du FN : cantonales de 2011, présidentielle et législatives de 2012. Lors de ces dernières, c’est le rôle de Jeanne, qui est en question. D’un côté, celui-ci prêtait de l’argent aux candidats frontistes, avec un taux d’intérêt à 6% ou 7%. De l’autre, il leur vendait un kit de campagne conçu par Riwal, au prix fort d’environ 16 000 euros le kit. Le prestataire du FN est soupçonné de surfacturation, le détournement total pourrait avoisiner les 10 millions d’euros selon le Monde - somme jugée « fantaisiste » par Marine Le Pen.

La présidente du FN s’est dite certaine de la légalité de ce circuit de financement. « Je n’ai pas été auditionnée, a-t-elle assuré à l’AFP. Je ne sais absolument pas de quoi retourne cette affaire. […] Evidemment, je ne vais pas vous dire que je ne connais pas Frédéric [Chatillon], et que je ne connais pas la manière dont s’est mise en œuvre, de manière légale, le financement des différents candidats […]. Mais sur le fond, cette procédure […] a été validée par la Commission nationale des comptes de campagne, qui a remboursé l’intégralité des candidats aux municipales. » L’affaire en effraie pourtant plus d’un dans l’appareil du parti. « Si un jour il y a une affaire Bygmalion au sein du FN, elle surviendra du côté de Chatillon et de son business avec le Front », confiait un cadre frontiste, fin décembre à Libération.

Le clash Aymeric Chauprade

Au FN, la roche tarpéienne est décidément bien près du Capitole. Conseiller diplomatique de Marine Le Pen depuis 2010, chef de la délégation frontiste au Parlement européen depuis mai, Aymeric Chauprade n’est plus ni l’un ni l’autre. Le géopolitologue paie ses prises de parole intempestives, fruit, selon les mots de Marine Le Pen, d’une « soif incroyable de reconnaissance ». Dans une vidéo publiée après les attentats de Paris, Chauprade dissertait sur l’imminence d’un « choc des civilisations » et comparait les musulmans modérés aux Allemands d’avant 1933, « pacifiques » et pourtant sur le point de porter le nazisme au pouvoir.

Son désaveu en rappelle d’autres. Comme celui de Laurent Ozon, entré au FN début 2011 et directement propulsé délégué national à la formation. Il démissionnera quelques mois plus tard, après avoir tenté d’« expliquer » les attentats d’Utoya en Norvège par « l’immigration de masse ». Incidents révélateurs d’une donnée propre au FN : désireux de se professionnaliser, fut-ce à marche forcée, le parti permet une ascension éclair à des néoadhérents au CV prometteur ; quitte à ce que certains se révèlent par la suite peu fiables ou en décalage avec la ligne officielle.

S’agit-il seulement d’une question individuelle ? Figure de la tendance la plus « droitière » du FN, Chauprade s’était distingué lors d’un récent bureau politique, en dénonçant l’existence d’un « lobby homosexuel » au sommet du parti - de manière « extrêmement virulente » selon un témoin. Si le ton a choqué, l’idée est partagée par d’autres cadres. Quant à la vidéo controversée, elle a été relayée par Marion Maréchal-Le Pen en dépit de l’interdit posé par sa tante. « C’est une façon de se singulariser, car elle a la hantise d’être perçue comme la marionnette d’une autre », juge un responsable du FN, écartant l’idée qu’un courant interne puisse se structurer autour de ces événements. L’idée est-elle si improbable ?

Le problème paternel

Les messages de sympathie ont afflué vers le président d’honneur du FN, rescapé lundi d’un incendie au domicile de son épouse. Voilà le patriarche objet de compassion, lui qui, récemment, s’était plutôt distingué comme sujet de gêne. Jean-Marie Le Pen le sait et en joue : chacune de ses prises de parole recèle le risque d’une outrance ou d’un bon mot dommageable pour le FN. Au printemps, ses évocations de « Monseigneur Ebola » ou d’une « fournée » d’opposants avaient fait scandale. Plus récemment, il suggérait, à un journal russe, que les attentats de Paris portaient « la marque des services secrets ». Propos démentis mais réitérés selon le Monde lors d’une réunion militante à Paris.

Un brin résignés, les frontistes circonscrivent le problème comme ils peuvent. Par l’ironie, tel le numéro 2 du FN, Florian Philippot, suggérant que le « Menhir » ait pu forcer sur la vodka avant son entretien au journal russe - et s’attirant une réponse cinglante de l’intéressé. Ou en assurant en chœur, et en boucle, que les propos du vieux Le Pen n’engagent que lui. Ce dont on pourrait discuter, s’agissant du président d’honneur du FN, eurodéputé et très probable tête de liste aux régionales en Paca.

http://www.liberation.fr/politiques/2015/01/30/au-fn-des-boulets-en-batterie_1192463

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