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Fin de la faim

Publie le jeudi 5 mai 2005 par Open-Publishing
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Oreste Scalzone a mis fin à sa grève de la faim. Son objectif est atteint : « briser le silence sur l’acharnement pénal dont sont victimes les italiens ayant participé aux insurrections sociales des années 70 ». Les mouvements - ceux de la « kamaraderie » - se sont engagés à ses côtés. Et les COBAS et le collectif Papillon ont lancé un double appel solennel devant le parlement italien. Ils se feront à l’avenir l’écho de sa voix et de ses questions... mais lui ont demandé d’arrêter sa grève. Impossible de ne pas arrêter. Et si il avoue avoir trainé un peu pour donner du temps, il avait une certaine hâte à se soumettre à leur injonction amicale.

Comme dans certaines anciennes Bibles, sans les limites des marges, ni la lourdeur des notes, hiérarchisées, entre le bas de la page, la fin du chapitre, et les culs de lampe, la forme du blog permet une écriture synoptique. Et cela grâce au dispositif hypertexte des liens. Avec un avantage ultérieur : à la profondeur de l’espace, avec les pages liées, qui définissent (virtuellement) des modalités infinies de lecture, s’ajoute la possibilité évolutive du temps, jusqu’a la virtuosité du "feed-back" autocorrecteur, ou de l’accroche de postfaces successives.

Un mécanisme qui intrigue, qu’on avait même expérimenté pour le livre de Paolo, avec l’issue de choses classiques, proposées comme étant des notes critiques entre les interlocuteurs, qui pouvaient éventuellement manifester leur dissensus ou apporter des réfutations et en tout cas venant de la disponibilité d’une complicité foncière.

C’est un mode de fonctionnement un peu à "longue vue" qui, plus qu’au fonctionnement des poupées russes doit faire penser au travail des archéologues ou des géologues.

On part de la surface, un brouillon débordant, et ensuite on creuse et on repart d’une racine. La forme qui rend le plus est celle, comme dit Guattari, du rhizome, la pomme de terre, qui court horizontalement et se ramifie, et où la racine et ses développements se confondent plutôt.

Cela est valable aussi comme modèle de relations, puisque c’est encore moins fermé que le "réseau" et donc ça n’est par pyramidal, mais horizontal et ramifié. Et de toute façon on peut toujours établir, par convention, où se trouve le commencement et où se trouve la fin, qui est toutefois provisoirement définitive, jusqu’au moment où le son de la cloche signale que la classe est terminée.

25 avril 2005, vers le premier mai, page 1 ou 2, "comme vous préférez". Celui qui est pressé, ou qui s’impatiente peut tourner la page. Pour celui qui écrit, celle-ci est la page 1 de cette lettre-tract, qui pourrait commencer, comme autrefois commençaient les tracts de Potere Operaio.

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Camarades,

(aujourd’hui, "camarades" est désuet et pris pour un nom abstrait général et neutre)

et donc ce serait le "blanc", la page 1, qui par ailleurs est moins un antécédent, un incipit qu’une sorte de « count down », où le dernier post scriptum finit par être placé comme un début des prémisses et des refrains. Pour moi c’est le commencement d’une introduction finale, provisoirement définitive, donc, la page 1

d’un extrait qui est le préavis d’une fin de grève.


Donc, je commence.

Il est difficile d’arrêter une grève, même lorsqu’on gagne, au moins un peu. Il y a une mélancolie subtile, une tristesse de fin de fête et la lune et le feu des piquets, le silence des usines, et tout ce qu’on peut écrire comme rêve, goût de fin d’une aventure, voyage, livre, amour, final de partie, qui est déjà nostalgie. On cherche toujours à gagner du temps supplémentaire. Dans ce modeste cas, qui nous concerne, on devrait séparer la grève et la faim, "à bas la faim et vive la grève !"

Nous avions écrit, en haut et à droite, une épigraphe, un rappel à l’antécédent par où répartir, épigraphe du goût et de l’ombre de la commune, la première qui s’est autoproclamée ainsi, je crois. C’est par là que sont réparties, le sachant ou pas (de Turin à Munich, de Vienne à Budapest, à Cronstadt, à Berlin, à la Catalogne), les seules révolutions - ou mieux, puisque ce terme est ambigu, suffisamment radical - subversions, soulèvements, ri-nascimenti, ri-sorgimenti, insurrections où on a vu un éclair de puissance autonome, de ce qui pourrait être commun & singulier, communance de tous et chacun, soubresaut du réflexe de conservation de l’espèce dans la suspension de la machine de l’histoire, le chantier du monde « La cosmomachine, ses institutions et régime »

Comme dit la légende de Paris, quand les versaillais ont érigé le monument, moche, du Sacré Coeur, pour y célébrer le te Deum de Profundis de la Commune de Paris, l’introjection de la défaite, à l’intérieur du mouvement, a envenimé la possibilité et le rêve de révolution du siècle suivant, c’est à dire celui qui vient de finir.

Black out, comme une page blanche, une nouvelle pré-histoire et/ou post, découverte récente du soit disant "présent". Fin des déférés, des procurations, des points d’appui du plus tard, et du plus loin.

Grève de la faim. Ici, à des latitudes où on ne peut pas - même en le voulant-, ne pas se dire occidentaux ou du moins "occidentés", la grève de la faim est un paradoxe - une ambivalence jusqu’à l’ambiguïté de ne pas réunir faim et grève dans une forme - elle aussi extrême, sorte de petit black out, suspension, "époché", toile blanche . « Grève humaine » - « I’ll prefer not too », je préfère ne pas - Bartheleby de Melville est, en plus de la dialectique, la revendication, le bras de fer, le chantage, la vie, le chantage sur la vie et au delà de la mort. Il est le souvenir - peut être de mauvais théâtre, de Grand Guignol - que la partie d’échecs, finalement, se joue toujours avec la mort.

Au début et à la fin il y a le logos, s’être écouté et émettre des sons articulés, la signalétique insérée, nécessairement répétition, causalité, mortalité, glissés/jetés, s’être jetés dans l’existence, première scission radicale, irréparable et non ré-évaluable . Conscience, réflexivité, spectre : en se reconnaissant mortels, des mortels communs, se concevant, sachant, se sachant bien, sachant se regarder, se sentir, se sachant vivre et (en)mourir.

Comme quand on dit "ça y est ! ". Et puis tout s’enchaîne, paradis, exils, économies, représentativité, techniques, souverainetés, expropriations, annexions, écrasements, soumissions, malédiction du deux, fin du zéro infini. Se jeter dehors, vers où ? Différences qui se répètent, factions jamais égales, nous autres, à peine un demi millénaire, cinq cent ans depuis qu’on est un monde circumnavigué, planétarisé, un monde, un. Synopsis d’univers qui coexistent , se juxtaposant et s’ignorant, "monde des mondes", imago mundi, début d’une nouvelle Babel synchronique. Dans chaque tête, machine monde, cosmos machine, force de gravité ou de magnétisme chronofagique, tendancielle imitation de l’être Dieu, omniprésence, omniscience, tout-puissanse, vampire du temps, instituant, s’instituant comme doublon de la nature. Comme divinité, trigenèse, production du monde au moyen d’une puissance chronométrée. Tout cela, acquiescience, obéissance, est rendu possible par la peur, respectée et jetée

Par dessus.

La peur sombre de l’homme des cavernes, peur de la nuit, du froid, des grands animaux, peur décolorée, transformée en angoisse, et continuellement broyée, (un acquiescement) ; Obéissance. Celle du bétail envoyé à l’abattoir, avec la terreur inconsciente dans les yeux.

Cela est rendu possible parce qu’on l’a évoqué, on en a subsumé la puissance, la confiance dans ses propres mains - une astuce, une "mephis" (le terme grec pour astuce pratique) ou rien - en la voyant s’échapper, aliénée, mortifiée, s’érigeant comme savoir des savoirs, sans répit. Rien d’autre à faire. Rien n’est possible dehors. Contre, ce n’est pas possible. Il n’y a rien - saut dans le noir - sauf mourir. Puis il y a les soubresauts, grève, strike, et, comme on dit, tout d’un coup... tout change de sens, d’aspect : la machine arrêtée, les communes brûlées, les casernes, les prisons éventrées, vidées, apparaissent comme les ruines impuissantes d’antiques existences. Labyrinthes, décombres, maisons mortes, choses mortes, murs délabrés. On dit black out et dans la "voie lactée" de la nuit les choses au fur et à mesure reprennent des formes puisqu’on s’habitue et on voit comme les chats, et c’est déjà le crépuscule avant l’aurore, malgré le mal d’aurore, on peut rêver, faire des projets, faire, transumanar, organizzar. Ca peut fonctionner.

Presque toujours, le recommencement se passe de la même manière que pour les révoltes dans les prisons : dans ce cas le mécanisme a une espérance zéro, et il s’arrêtera puisque dans la majorité des cas elles s’arrêtent, il suffit de voir la période de la révolution anglaise à nos jours. Qu’ils finissent, les autres, par autodestruction, car on n’était pas assez indépendants et on restait trop conformes, en traînant dans la tête de vieilles habitudes, des raisons, des superstitions, des asservissements et des jugements et des préventions. Quand l’ennemi versaillais arrive le premier, finalement c’est une chance, la levure est toujours là . Il est pertinement démontré par les historiens que la Commune fait parmi des grandes révolutions. Et "grand" n’est pas lié à la durée. Elle n’avait pas commencé à s’autodévorer, on pourrait dire qu’elle n’a pas eu le temps. Mais peu importe. Elle a continué à prendre le dessus, à ressurgir et elle le pourrait encore. Ceci est une synthèse ; elle n’est pas romantique

Du problème

Communards, commun’autonomie, un mot mal conçu : "auto-commun" et "singolar" et "comune governamento", communauté de vies, d’êtres. Etres, d’existences, étincelles, égales et différentes, de commune puissance, coresponsables, autorevitalisantes, toutes coexistantes, nécessairement, chacune coexistant. Ce qui n’est pas nécessairement une utopie, ni nécessairement une uchronie, ni d’ailleurs une certitude,une promesse, ou quelque chose qui n’est jamais derrière le tournant, est possibilité, par définition, dotation, parmi d’autres, pari, probablement dernier refuge aussi, nécessité. Un oxymore aussi, « choix nécessaire », espace, la grève fait espace, air à la levure, grève de l’assentiment. Du courir aux mimétismes. Du se conformer par peur du saut, de la fuite. Du chaos et du néant. La conduite forcée : au lieu de prendre l’eau on prend le temps. On loue, sur le marché, une particule quotidienne de puissance, polyvalente. On la loue à l’heure, en cédant le temps de sa propre vie mortelle. En échange, au fond, de la néfaste utopie du risque zéro, de l’affabulation, de l’assurance publique, de la sûreté... privée, de la police sur la vie. Modeste morgue, au fond, que l’existence comprise en tant qu’essence, comme carburant du moteur et la peur de mourir, du vivre, du toujours, du rien, du jamais plus, des autres, trop similaires, trop différents de soi-même et on recommence et ainsi de suite.

La grève est la suspension de la peur, forcée et lourde, parce que c’est la chose la moins spontanée du monde. Une suspension de l’artifice mais en même temps de la nature et de la spontanéité. Suspension "moi, dans moi et pour moi". Suspension de rôle, rythmes, inerties, mouvements, engrenages.

La grève c’est suspendre l’ambiguïté, la zone obscure du paradoxe de l’arrêt mécanique de la grève de la faim. C’est l’irrésolution de l’épilogue à suspense et parfois d’un spectacle un peu sinistre, dans un coin, et aussi de tout autre grève. Une grève prolongée pouvait se terminer par le spectre de la faim, comme une grève de la faim avec le début de l’autodestruction. Il convient de savoir terminer sans s’engouffrer dans le long râle de "une minute de plus", sans se donner en spectacle et donner un spectacle indécent et nécrophile.

Dans un cas seulement, il aurait mieux fallu ne pas le commencer : si, quand on le commence - bien qu’on le sache - on ne fait pas comme si on arrêtait la peur, et toute passion triste de la vie. Comme si on revendiquait quelque chose, ou pas En tout cas toujours prêt à dire, comme Diogène et Alexandre : Rien, « ôte toi de mon soleil". Comme si on n’avait pas besoin d’argumenter, avec lettres et testament, le geste. Le geste du bonze, de Jan Palach, ou de Bartheleby. Comme si on pouvait se dire et dire je revendique quelque chose, ou je proteste, ou je mets les mains en haut parleur pour aller un peu plus loin, mais en tout cas je peux me passer du résultat.

La grève est un saut dans la vie, à l’intérieur de la vie, comme une évasion rattrapée quelque jours après, dont il est absurde de penser qu’il aurait mieux fallu ne pas la faire et continuer à la rêver ou peut être même pas ça.

Ces soirées là on fait la grève à thème et rien n’est plus difficile que cette idée force, qui fait levier sur la puissance, l’inévitable puissance de cette extraordinaire race humaine qui a réussi à survivre à soi même et au massacre infini de ce siècle bref.

Ce serait une difficile superstition de le considérer assuré, inévitable, mais superstition de le considérer impossible.

C’est cela le point. Peu de chose, mais il convient de le mettre au clair, comme pour répondre à l’interrogation quotidienne suggérée par Tosquelles. "Mais, qu’est ce que je fais ici ?"

Page 2

Ceci est la fin de la lettre la plus longue, en réponse au fraternel appel des "Cobas" arrivé jusque ici, comme porté par le vent, de la place Montecitorio, avec la voix des Cobas, d’autres comités de base, de Papillon, à qui se sont associé de nombreux appels, que j’ai du mal à définir tels. Tanecchi dit : je préfère être méprisé plutôt que craint. L’idée de maintenir sur une corde quelqu’un qui a peur pour moi et qui m’envoie des pétitions et des supplications, me fait peur. Je dirais donc que c’est une exhortation , un conseil. C’est comme dire on garde la chose en main et ensuite on s’en occupe, mais entre temps de façon extrêmement sérieuse, peut être par pure plaisanterie et un peu pour ne pas crever, je termine cette (pré) annonce de début de fin de grève et de fin de faim en lançant une question. Une seule, simple, synthétique.

En l’envoyant en toute direction, à la volée et nominativement. Spécialement à ceux que je signalerai en bas de page sauf erreur ou omission. C’est tout sauf un ultimatum. C’est pour cela aussi que je préfère l’envoyer après la fin de la faim mais pendant que je reste en état de fébrilité, dans la période d’observation de l’hôpital, entre le 25 avril et le premier mai.

Du 25 avril, on disait du haut, mais aussi de nous, du bas, « libération ». Dans notre cas avec une minuscule, comme libérations, résistances. Je dois, et c’est la moindre des choses, remonter un peu tous ceux et celles qui m’écrivent (et cela me gêne), en les libérant d’une sorte d’angoisse qui, je crois, était un peu excessive. Le premier mai, d’une certaine manière, on l’a aussi vécu toujours du bas et non pas des tribunes. Une date, la notre aussi, depuis l’histoire des martyrs de Chicago.

Donc, bon jour pour terminer. Je préfère le dire sans que cela paraisse comme un chantage absurde ou une tentative de culpabilisation atroce qui donnerait le coup d’envoi à une fin avec des mots amers, comme du venin ou adressée à qui n’avait pas répondu, même pas un "on peut " ou "on ne peut pas", mais du moins l’avoir écrit. Je le dit tout de suite, dans ce laps de temps de cinq jours, parce que je sais que c’est (assez) humain. Moi, au moins, je remercie quelqu’un qui me donne une « dead-line », dernière occasion, dernière, parce que cela aide à s’orienter entre soi-même, entre soi-même et les autres, dans le choeur des vociferations de l’extérieur et de l’intérieur, dans la foule des priorités simultanées, péremptoires. Chacune déjà en train de te reprocher, paradoxalement et en même temps, de n’être pas passé en premier, de ne savoir pas donner des priorités, chacune jugeant implicite de l’être. Cet aspect péremptoire, forme même de l’agitation, aide à ne pas glisser à nouveau, comme c’est humain dans le cours de l’existence, vers d’autres vociférations, questions, sollicitations, avec le risque de faire glisser les temps et de terminer dans l’oubli.

La question (avec une prémisse)

Il y a même pas deux mois, en plein psychodrame délirant et médiatisé et avec l’exercice de « maieusi » qu’on connaît, au cours d’une longue nuit qui semblait ne jamais finir, l’application d’une prescription de peine de la part d’un magistrat qui appliquait la loi par rapport à une sentence d’une cour d’assise d’appel, paraissait constituer un crime, quelque chose d’indicible. Au point que les défenseurs, acharnés par l’intangibilité et l’impossibilité de déconnecter chaque voix judiciaire - comme les pages d’un journal ou les pensées secrètes d’un procureur d’un pool quelconque - arrivèrent à jouer aux subversifs qui menacent de périodes torrides pour planifier une décision de justice. En jouant sur la corde profonde et authentique - avec laquelle soit on est dans la réciprocité soit on est dans l’abject. On aurait dit que la société entière ne pouvait pas respirer, et on condamnait même certains à sentir qu’ils ne pouvaient pas respirer. Ils feignaient d’ignorer que la même norme, enracinée dans les institutions, soulève ceux qu’on appelle les parties civiles, les familles, les victimes en vie, les proches d’autres victimes, par l’atroce nécessité du droit-devoir à la mémoire infinie. Celle qui nie l’oubli nécessaire et rend donc impossible l’élaboration du deuil. Ames en peine puisqu’elles n’arrivent pas à donner une sépulture à leur bien aimé, condamnées sans répit à se mortifier d’abord elles-même, en un long haut le coeur d’état de manque, dans l’attente d’une justice/vengeance. Une situation d’angoisse totale.

Il n’y a pas plus de deux mois, dans ce climat, deux raisonnables articles du "Corriere della Sera", l’un de Sergio Romano, l’autre de Pierluigi Battista avaient osé nommer le mot tabou : amnistie. Ils en avaient parlé toutefois avec une erreur, en générant d’une certaine manière une équivoque, pas intentionnelle. C’est à dire en la voyant (l’amnistie) croisée avec la suggestive expérience de la Commission vérité et justice en Afrique du Sud. Le soussigné était en train de lever la main en avançant tout bas une objection, mais il se retrouva anticipé avec autorité et une remarquable pertinence par Fausto Bertinotto et Massimo Cacciari, observant qu’on risquait un croisement entre deux choses de nature différente, créant là quelque chose de tordu. Parce que, dans l’expérience de la Commission vérité et justice tout le monde y était : les sauvés, les submergés, les gagnants et les perdants, les accablants et peut être les contre-accablants. Et, en ce moment d’extraordinaire époché, il y avait Winnie, Mandela et de Klerke, il y avait les Zouloù et les Boers. Que voudrait dire lier ces gens dans une amnistie : que des gens manifestement sans aviation devraient répondre du désastre d’Ustica ? Les deux choses n’ont rien à voir et risquent de rendre le tout stérile, sinon pire et d’accoucher de monstres et de petits monstres.

Le soussigné se persuade de plus en plus qu’en tout cas, étant donné peut être l’effet non dit et peut être si visible de la forme spécifique de l’émergence italienne, son expression typique ce n’est pas celle de la prison administrative ou des camps. Mais celle de l’insinuation croissante. L’invasion, dans le procès, d’éléments de la logique de toutes les inquisitions connues. L’inquisition contient l’idée que la justice est infinie, que tout commence toujours comme un cercle vicieux. Comme quand les Strangelove d’autres espèces qui, au moment où la discussion peut démarrer, sortent sur les écrans, les livres, les revues, d’une part les aberrations des « diétrologies », d’autre part une peine réactivée de manière criminelle. Violant des parties civiles qui sont poussées à parler, toujours et en tout cas comme au lendemain.

Opposer, à ce dispositif, des raisons de droit, des précédents historiques, ou d’autres arguments, signifie risquer d’aller à l’encontre d’une répétition du "moi non plus", suspecté de faire un peu de marchandage à la négociation syndicale.

Evidemment, motu proprio, nous pourrions avancer des argumentations tendant à faire la distinction entre le conflit, ou même la guerre, et la forme de l’inimitié totale que nécessite un anéantissement. Ou bien aussi la « dannatio memoriae », la revanche, justicière, du crédit de celui qui exige, qui est victime et doit culpabiliser.

Nous pourrions séparer pour toujours le conflit, quelle qu’elle soit la forme, d’une telle inimitié. Chose qui a été par ailleurs une espèce de virus de la pire des contre-révolutions permanentes ou une instance de révolution. Nous pourrions parler du caractère toujours réciproque de l’amnistie et de l’unilatéralité du premier pas. Et de quelque chose de plus profond et plus nécessaire, qui soit en dessous et à la limite de la violence, de la haine et de ses diverses mises en forme. Et qui soit le noeud de la reconduction, du fiel et de la punition. Quels que soient les exit, les violences, les non violences et les conflicts, nous commençons à les mettre sur table, unilatéralement et sans attendre de réciprocité en disant que nous amnistions. Mais à nouveau, c’est un parcours assez long. Probablement ce ne sera pas suffisant, étant donné la vulgarité des hommes et de l’époque, comme nous le disent les voix qui nous arrivent de la régie.

Voilà la question, et d’une certaine manière la proposition. Je proposerai une « epoché ». On congèle le discours sur l’amnistie oui/l’amnistie non, ou toute autre solution et avant de parler on reprend le discours sur le modèle sud africain ou, si on veut - quoique je n’aime pas le terme - celui du grand repentir, évoqué par le passé par Francesco Cossiga. Une table ronde, naturellement, où on serait appelés "tous" à s’asseoir, et pas en un seul jour. Toutes les parties en cause, tous ceux qui veulent, participant de cette sorte d’étrange guerre . Quelque chose qui serait - je cite Marx de mémoire - une de ces fois où tout ne peut que s’achever avec la ruine de tous les adversaires.

Le thème de cette table ronde devrait être général. Ca pourrait être Politique et crime, et en exergue on mettrait la phrase de Canetti : « quand finirons nous ou pourrions nous finir de tuer ? » . Le thème pourrait avoir plusieurs chapitres, Gouvernement et crime, Conservation et crime, Modernisation et crime, Révolution et crime, là où par crime on entend la définition du dictionnaire.

Un chapitre pourrait être Mémoire et oubli, entre histoire, éthique et existences : la question des amnisties. Nous serions ce qui est juste, un chapitre de ce livre interminable. Au plus féroce de mes adversaires, je dis ceci : comment est il possible ne pas perdre le respect de soi-même quand on finit par prétendre à un résultat pour lequel les justificationismes, négationismes et atténuations concernent surtout les Etats - les grands, parce que plus grands -, les petits - passés ou futurs - . Et aussi les formes homologues d’états : ceux qui revendiquent des drapeaux ou qui parlent au nom des religions. Ceux qui d’une certaine manière ont toujours un saint sur la croix ou au paradis, et quelques mots dépensés pour en parler, pour affirmer la légitimité. En restent exclus seulement quelques milliers - ceci parce qu’on y mêle l’Italie ; dans d’autres pays il s’agit de quelques centaines, dans d’autres cas quelques dizaines de personnes -. Ceux là ne sont en aucun cas reconductibles à un schéma reconnaissable, tel un Etat ou une nation.

Comment un intellectuel peut-il se regarder dans la glace, se souvenir de la leçon de Bobbio - la noblesse est l’orgueil de l’intellectuel critique - et penser à la fin, comme dans les théologies les plus naïves et les imageries populaires. L’image de Judas - dans cette poignée qui devient quelque milliers peut être, ou ex-milliers en vertu de la spécificité italienne - devrait-elle être l’incarnation du mal dans l’histoire ?

Je pose cette longue question, finalement courte et peu argumentée, tandis que je vais arrêter la faim et organiser la fermeture de la grève entre ce 25 avril et le premier mai. J’ose espérer, sans aucun ultimatum, que tous s’activent pour contacter les noms que je mets en bas de page évidemment avec une liste lacunaire qui devra être intégrée.

Merci

Oreste Scalzone

http://orestescalzonefrance.over-blog.com/

Messages

  • "Commentaire", très pratique, plutôt que "réponse" :
    Afin de bien lire cet assez long et assez difficille, mais très beau et extraordinairement lucide et clairvoyant texte, je conseillerai de l’imprimer sur papier (en respectant la pagination et la câsse initiales prévue par OS) afin de pouvoir le lire en tout confort. Car ce texte, remarquablement bien traduit, est certes un peu obscur, parce qu’il est magnifiquement dense et riche. C’est un texte qu’il s’agit de décrypter aussi, parce que OS ne veut pas trop informer nos ennemis aussi !...
    Les oeuvres complètes d’OS sont d’ores et déjà d’une richesse infinie.... mais elles restent encore comme palimpsestes et fragments dispersés dans un monde en guerre... elles attendent leurs lecteurs-acteurs. Et elles se joueront sur de biens plus vastes théâtres d’opération que la vieille, misérable et petite "Europe" !