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#SansMoiLe7mai Alain Badiou : Élections, pièges à con !

par Alain Badiou

Publie le vendredi 28 avril 2017 par Alain Badiou - Open-Publishing
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#SansMoiLe7mai

Source : De quoi Sarkozy est-il le nom ? » D’Alain Badiou Paru en octobre 2007

Je dois vous dire que je ne respecte absolument pas le suffrage universel EN SOI, cela dépend de ce qu’il fait. le suffrage universel serait la seule chose qu’on aurait à respecter indépendamment de ce qu’il produit ? Et pourquoi donc ? Dans aucun autre domaine de l’action et du jugement sur les actions on ne considère qu’une chose est valide indépendamment de ses effets réels. Le suffrage universel a produit une quantité d’abominations. Dans l’Histoire, des majorités qualifiées ont légitimé Hitler ou Pétain, la guerre d’Algérie, l’invasion de l’Irak… Il n’y a donc aucune innocence dans les majorités « démocratiques ». Encenser le nombre parce que les gens sont allés voter, indépendamment de ce que ça a donné, et RESPECTER la décision majoritaire dans une indifférence affichée à son contenu est une chose qui participe de la dépression générale. Parce qu’EN PLUS, si on ne peut même pas exprimer son dégoût du résultat, si on est obligé de le respecter, vous vous rendez compte ! Non seulement il faudrait constater la récurrente stupidité du nombre, mais il faudrait avoir pour elle le plus grand respect. C’est trop !

En réalité, ce qui est là pressenti, sans que les gens puissent vraiment faire le pas, c’est que les élections sont au moins autant un instrument de répression que l’instrument d’expression qu’elles prétendent être. Rien ne produit une plus grande satisfaction des oppresseurs que d’installer les élections partout, que de les imposer, au besoin par la guerre, à des gens qui ne les ont pas demandées. Notre président [ l’auteur fait ici allusion à Nicolas Sarkozy] n’a pas manqué de dire que, pour ce qui était de la GRÈVE, par exemple, on allait voir ce qu’on allait voir. Grâce à Sarkozy, cela va être terriblement électoral la grève, il faudra une majorité absolue, avec des bulletins secrets, des huissiers derrières les urnes, etc. Est-ce pour « démocratiser » les grèves ? Allons donc ! C’est pour les rendre aussi difficile que possible, en prenant les « usagers » (1)comme prétexte, du reste mensonger.

Sur ce point, il faut quand même se souvenir de Mai 68. On a des millions de grévistes, des manifestations tous les jours, une alliance sans précédent entre des jeunes qui ont des trajets différents, ouvriers et étudiants. Tout le monde est emporté par une nouveauté massive. On voit même des drapeaux rouges chez les habitants de certains beaux quartiers. Partout l’extravagance, en somme, partout l’espoir d’une diminution des asservissements. Eh bien, il a suffi que des gens au pouvoir, nommément De Gaulle et surtout Pompidou, arrivent à organiser des élections : On a eu la chambre la plus massivement réactionnaire qu’on ait vue depuis 1919, une chambre bleu horizon. Il n’y a aucun doute que l’élection a été le recours essentiel pour la dissolution et l’écrasement du mouvement. Et ce n’est certes par extrémisme, mais dans la lucidité la plus complète, que des militants criaient alors dans les rues : » Elections, pièges à cons ! »

Je ne dis pas que l’essence des élections est répressive. Je dis qu’elles sont incorporées à une forme d’Etat, le capitalo-parlementarisme, appropriée à la maintenance de l’ordre établi, et que, par conséquent, elles ont toujours une fonction conservatrice, qui devient, en cas de troubles, une fonction répressive. Tout cela, qui est aujourd’hui représenté de façon plus claire, provoque un sentiment accru d’impuissance : si l’espace de la décision étatique ne vous laisse comme part, à nous citoyens ordinaires, que le vote, alors on ne voit plus très bien, du moins pour le moment, quelles sont les voies de Passage pour une politique d’émancipation »

(1) L’idée que les « usagers » sont systématiquement hostiles aux grèves est une contre-vérité notoire, une parmi toutes sortes de choses assénées comme des évidences par les politiciens et les médias dominants. C’est ainsi que la très longue grève des cheminots, en décembre 1995, a été soutenue dans tout le pays par des manifestations massives, plus massives même qu’en Mai 1968. On a vu, dans certaines villes de province (Roanne, par exemple), la moitié de la population totale de la ville participer aux défilés ! Et depuis, il y a bien eu d’autres contre-exemples.

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