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Le Front social et les luttes écologistes se forment face à Macron

par Lorène Lavocat

Publie le mardi 20 juin 2017 par Lorène Lavocat - Open-Publishing

Président et Assemblée nationale sont en place : mais l’abstention massive lors des élections leur enlève beaucoup de légitimité. Déjà, les militants se préparent à défendre les droits et les territoires. Reporterre vous propose une revue des terrains, en commençant par le Front social qui s’est rassemblé lundi 19 juin.

  • Paris, reportage

«  Absente de l’Assemblée nationale, l’opposition se passera dans la rue.  » Confirmée par la vague macroniste au second tour des législatives, cette prophétie du chercheur Simon Persico prend corps : le Front social, lancé au printemps pour assurer «  une riposte sociale  » à l’élection d’Emmanuel Macron, a organisé lundi 19 juin des rassemblements dans plus de 30 villes françaises.

A Paris, quelques centaines de personnes (2.500 selon les organisateurs) ont défié la chaleur, sur les trottoirs de la place de la Concorde, s’abritant sous les banderoles. «  C’est un tour de chauffe, s’excuse presque Eric Beynel, porte-parole du syndicat Solidaires. L’idée est d’élargir ce rassemblement et de multiplier les mobilisations contre les politiques de Macron.  » Au côté des traditionnels drapeaux syndicaux, des symboles "Phi" insoumis frôlent des pancartes du Droit au logement, des féministes révolutionnaires ou du collectif Droits devant, qui défend les droits des sans-papiers.

La première manifestation de l’ère Macron : le Front social s’est retrouvé place de la Concorde lundi 19 juin.

Pour Romain Altmann, d’Info Com CGT, l’opération est réussie : «  L’enjeu de ce lundi soir est de transformer le mouvement de contestation très parisianocentré du 22 avril en mouvement national. Il y a eu 20.000 personnes partout en France, de Nantes à Perpignan, de Toulouse à Nancy  ». Pour lui, c’est la première marche à franchir en vue de constituer un front puissant à la rentrée, capable de se lancer dans une grève générale et reconductible. «  Le Front social, à mi-chemin entre une intersyndicale et Nuit debout, vise à construire un espace d’actions unitaires et communes, sur le long terme, tout au long du quinquennat, poursuit Romain Altman. Ces rassemblements ne sont ni des coups de com’ ni une colère ponctuelle postélectorale.  »

«  Aucune “grâce” n’existe pour la destruction des emplois et des salaires, pour les précaires et les privés d’emploi, pour les sans-logements et les sans-papiers… plus que jamais “en marche” (pour la régression sociale  !  » écrivent ainsi les organisations à l’origine de cette mobilisation.

«  Malgré sa majorité absolue à l’Assemblée nationale, Emmanuel Macron ne bénéficie que d’une très faible légitimité du fait de l’abstention très forte à tous les scrutins, explique au téléphone Manuel Cervera-Marzal. Il doit donc s’attendre à une forte contestation sociale.  » Pour le chercheur, ce front social en construction se démarque des formes traditionnelles de lutte : il est structuré autour d’instances syndicales de base, souvent en rupture par rapport aux directions, et fonctionne de façon décentralisée. «  C’est une organisation en réseau plutôt que pyramidale, qui agrège différentes luttes et catégories de population.  » Un réseau qui s’appuie très largement sur les nouvelles technologies et les outils numériques.

Encore balbutiant, ce mouvement d’un nouveau genre devra montrer rapidement les preuves de sa solidité : les ordonnances Macron visant à modifier le Code du travail devraient faire l’objet d’une loi d’habilitation (sorte de blanc-seing voté par le Parlement) dès juillet. «  Notre D-day, ou plutôt notre Dark-day sera le 20 septembre, date fixée par le gouvernement pour officialiser les ordonnances  », précise Romain Altmann.

Un interminable goûter d’anniversaire

En parallèle de ces rassemblements, cette semaine débute également le «  goûter d’anniversaire interminable  » à Bure pour célébrer la première année d’occupation du bois Lejuc  ; des manifestations se préparent aussi dans la Loire contre le projet d’autoroute A45, à Notre-Dame-des-Landes, à Roybon et ailleurs.

«  Les records d’abstention atteints pendant ces élections traduisent un désintérêt croissant non pas pour la politique, mais pour la politique institutionnelle, politicienne, analyse Manuel Cervera-Marzal. Mais il serait faux de croire qu’il y a un désengagement politique des citoyens.  »

«  Beaucoup de citoyens ne sont pas allés voter, notamment dans les territoires d’habitats sociaux, parce qu’ils sont fatigués des promesses non tenues, mais pas parce qu’ils sont démobilisés, confirme Baki Youssoufou, du collectif Quoi ma gueule. En France, les gens s’engagent énormément, seulement, les formes de mobilisation ne sont plus celles utilisées auparavant. De plus en plus de personnes agissent au niveau local, ici et maintenant ou via les réseaux sociaux  ».

De même, «  si l’écologie politique paraît en retrait au vu de ses résultats électoraux, elle n’a absolument pas disparu de l’espace “public”  », rappelle Maxime Combes, d’Attac. Il en veut pour preuve les scores cumulés de Mélenchon et d’Hamon — deux candidats écologistes — au premier tour de la présidentielle, 26 %. Mais surtout, «  toute une partie de l’écologie ne s’exprime pas dans les partis  », mais dans les luttes, observe-t-il. «  Il n’y a qu’à voir la profusion de courriers à Nicolas Hulot, et le nombre de mobilisations prévues partout en France : là se trouvent les ferments d’une recomposition, de la renaissance de l’écologie.  »

Pour l’économiste, l’ensemble de ces batailles locales représentent autant de «  crash écolo test  » pour Macron et Hulot : «  Au-delà des discours du “Make Our Planet Great Again”, sont-ils prêts à arrêter un certain nombre de projets, afin de “Make Our France Green Again  ?  »

Reporterre vous propose donc un petit tour d’horizon de ces «  crash écolo tests  » portés par un front social et écologiste polymorphe.

L’état d’urgence, jusqu’où  ?

Dès le 24 mai, l’Élysée a fait savoir que le gouvernement soumettrait en juillet au Parlement un projet de loi de prorogation de l’état d’urgence — la sixième depuis novembre 2015 — jusqu’au 1er novembre… le temps de préparer une nouvelle loi renforçant la lutte antiterroriste, et transposant certaines dispositions de l’état d’urgence dans le droit commun.

Nombre de collectifs et de personnalités se sont levés contre cette banalisation d’un régime liberticide, dont le New York Times dans un éditorial soulignant que les mesures de l’état d’urgence ont «  peu contribué à lutter contre le terrorisme, pas davantage que les lois déjà existantes, tout en menaçant réellement les droits des citoyens  ».


Pour Manuel Cervera-Marzal, rien d’étonnant à ces annonces du président français, car état d’urgence et loi Travail sont liés : «  Plus un gouvernement casse le droit du travail, plus il a conscience qu’il va susciter des résistances, plus il se prépare à réprimer. Ce sont les deux versants de la même pièce.  »

La lutte contre les violences policières figure d’ailleurs à l’agenda du Front social, qui réunit des collectifs comme Urgence la police assassine, ou Vies Volées. Place de la Concorde, Ramata Dieng, la soeur de Lamine Dieng, décédé en 2007 alors qu’il était arrêté par la police, a rappelé le lien entre violences policières et sociales : «  Vous aussi, en tant que militants, vous êtes victimes de la police. Mais dans les quartiers, nous sommes réprimés non pas pour ce que nous faisons, mais pour ce que nous sommes  ».

Ramata Dieng : «  Dans les quartiers, nous sommes réprimés non pas pour ce que nous faisons, mais pour ce que nous sommes.  »

Pour Baki Youssoufou, le combat contre le harcèlement policier s’inscrit dans le long terme. «  Tant que des Noirs ou des Maghrébins continueront à subir des attouchements, des insultes et des contrôles au faciès, nous poursuivrons la mobilisation, quel que soit le gouvernement en place.  » Et rien ne peut justifier à ces yeux ce que les jeunes des banlieues subissent au quotidien : «  L’argument sécuritaire, ça suffit. On n’a jamais arrêté un terroriste en lui touchant les testicules  !  »

Bure et la bataille du nucléaire

Un hélicoptère survole depuis peu la zone de Bure.

Malgré le feu vert pour la cession du bois Lejuc à l’Agence nationale de gestion des déchets radioactifs (Andra), l’opposition reste vive contre le projet de poubelle nucléaire. Sur place, les militants continuent d’investir la forêt, construisant de nouvelles cabanes pendant la semaine d’actions du 19 au 26 juin. Mais, d’après le site vmc.camp, la menace d’une expulsion se précise : un hélicoptère a survolé la zone par deux fois la semaine dernière, signe que «  l’affaire n’est plus guidée par la préfecture, qui n’a pas de pouvoir sur l’armée, mais conjointement entre le ministère de l’Intérieur et le ministère des Armées  ».

S’il ne s’est pas prononcé clairement pour le projet Cigéo d’enfouissement des déchets nucléaires, Emmanuel Macron s’est en revanche montré favorable au projet d’EPR de Flamanville. Et bien que le président entende garder le cap de la loi sur la transition énergétique, qui prévoit une baisse de la part du nucléaire à 50 % du mix énergétique, il n’a toutefois rien précisé sur la fermeture de centrales en plus de celle, prévue, de Fessenheim.

Notre-Dame-des-Landes, vers un abandon du projet  ?

Les zadistes de Notre-Dame-des-Landes continuent de faire (re)vivre ce coin du bocage nantais. Construction d’habitations, boulangerie autogérée, conserverie…

Emmanuel Macron s’est engagé à nommer un «  médiateur  » dans les six mois suivants son élection, et s’est montré ouvert à l’étude d’une modernisation de l’aéroport actuel. Lors d’une conférence organisée par le WWF en février dernier, il a également écarté l’idée d’une évacuation des opposants à un nouvel aéroport : «  Il n’y aura pas de brutalité.  » Le ministre de la Transition écologique et solidaire, Nicolas Hulot, s’est quant à lui prononcé contre le projet d’aéroport.

La Vache rit, à Notre-Dame-des-Landes.

La déclaration d’utilité publique du projet d’aéroport arrivera à son terme le 9 février 2018, si les travaux ne sont pas lancés d’ici là. En février dernier, le gouvernement a pris les devants en lançant une procédure de saisine du Conseil d’État pour qu’il prenne un arrêté de prolongation de la DUP, une procédure qui devrait aboutir d’ici deux mois.

Plusieurs Grands projets inutiles et imposés

Du village Pierre et Vacances de Roybon (Isère) au complexe commercial d’EuropaCity à Gonesse (Val d’Oise) en passant par le golf de Villenave-d’Ornon (Gironde), les Grands projets inutiles et imposés (GPII) continuent de grignoter terres agricoles et espaces naturels.

Si bon nombre de militants se montrent vigilants quant à la volonté d’Emmanuel Macron de stopper l’artificialisation des terres, ils espèrent que la présence de Nicolas Hulot et l’engagement du président en faveur du climat limiteront la prolifération de ces projets climaticides. «  C’est une très bonne chose que le président de la République réaffirme avec force l’engagement de la France pour l’accord de Paris sur le climat, écrit ainsi Bernard Loup, président du collectif d’opposants à EuropaCity. Mais il ne suffit pas de parler : il faut maintenant passer aux actes et abandonner tous ces projets qui contribuent au dérèglement du climat.  »

=> Carte GPII :

VOIR EN PLEIN ÉCRAN

Autoroutes et LGV en marche

En 2015, alors ministre de l’Économie, Emmanuel Macron avait piloté un accord entre l’État et les sociétés concessionnaires d’autoroutes, marquant ainsi sa volonté de poursuivre les investissements dans ce secteur, afin — toujours — de «  relancer l’économie  ». Deux ans plus tard, lui devenu président, les projets d’autoroutes abondent partout en France, dont l’emblématique A45, cette deuxième autoroute (payante), parallèle à la première (gratuite), qui relierait les faubourgs de Lyon (Brignais) à ceux de Saint-Étienne (La Fouillouse). Une mobilisation est prévue à Saint-Maurice-sur-Dargoire le 1er juillet.

Autre sujet de friction, les Lignes à grande vitesse. En mars dernier, Emmanuel Macron s’est déclaré plutôt favorable à ces projets — notamment la LGV Bordeaux-Toulouse et le Lyon-Turin — à condition qu’ils soient «  pertinents  » : «  Je suis pour que l’on pose les stratégies territoriales : la priorité est que tous les points et territoires soient reliés de la manière la plus contemporaine possible à la zone d’activité économique ou à la métropole pertinente pour lui.  »

Macron a bonne mine, car pour lui, ça gaze  !

Morbihan, Guyane, Ariège, les projets miniers se multiplient… et l’opposition s’organise, comme l’a montré la récente manifestation devant l’École des mines à Paris. Dans les Côtes-d’Armor, habitants, élus et agriculteurs sont ainsi vent debout contre le permis exclusif de recherche minière octroyé en 2014 par Macron à la société australienne Variscan Mines pour extraire du cuivre, du zinc, du plomb, de l’or et de l’argent dans la zone de Merléac. Lors de sa conférence de presse avec le WWF, le président s’était dit favorable à la réouverture des mines, notamment en Outre-Mer, à condition qu’elles soient «  responsables  », sans plus de précision. La réforme du code minier, avortée sous le quinquennat Hollande, sera sans doute l’un des chantiers du gouvernement d’Édouard Philippe.

En Bretagne, lors du festival pour la convergence des luttes organisé par le collectif Douar Didoull en août 2016.

Même incertitude sur les gaz de schiste, puisque le président s’est engagé contre l’exploitation, mais en même temps pour la «  poursuite de la recherche théorique sur le sujet  ». M. Macron s’est aussi prononcé avec enthousiasme pour l’exploitation du gaz de couche en Lorraine.

Ceta, Tafta, et caetera

Le président Macron est très attendu sur ses engagements internationaux. «  Il y a une incompatibilité notoire et évidente entre les traités de libre-échange — Ceta, Tafta — et la lutte contre le dérèglement climatique  », rappelle Maxime Combes. Justement, si le Ceta devait entrer en vigueur dans les semaines à venir, la bataille du Tafta pourrait bien resurgir : «  Angela Merkel a annoncé qu’elle souhaitait reprendre les négociations sur le traité transatlantique. Macron doit refuser de reprendre les négociations avec Trump, au moins tant que celui-ci veut se retirer de l’Accord de Paris.  »

Vers une confluence des luttes

Pour nombre de militants et d’observateurs, le succès de ces luttes dépendra de leurs capacités à s’allier et à s’articuler. «  Il faut aller vers une confluence des résistances, des batailles et des alternatives, appuie Maxime Combes. Comme lorsque deux rivières se retrouvent, s’unissent, se mélangent pour donner un fleuve.  »

Une idée partagée par Loïc Canitrot, de la compagnie Jolie môme : «  Nous menons tous un même et unique combat contre la dictature de l’argent  ». Le comédien espère ainsi que le Front social permettra bientôt de recueillir et d’essaimer toutes ces dynamiques, car répète-t-il, «  plus on aura conscience de notre nombre, plus on se sentira fort et plus on pourra gagner  ».

«  Il faut clairement une massification, ajoute Manuel Cervera-Marzal. Pour le moment, nous avons des collectifs et des individus dispersés. Le Front social est un mouvement d’avant-garde, minoritaire. Mais tous les mouvements sociaux d’ampleur commencent ainsi : une minorité de combatifs qui se met en mouvement.  » En marche.

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