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Pourquoi nous avons aussi besoin des cellules souche embryonnaires

Publie le jeudi 2 juin 2005 par Open-Publishing

Le 9 juin, à 19 heures, 120 rue Lafayette le Collectif Bellaciao organise un débat sur :
LE STATUT JURIDIQUE DE L’EMBRYON

de ELENA CATTANEO* traduit de l’italien par karl&rosa

En Italie, il y a des dizaines de milliers de malades atteints de maladies dégénératives. Si nous ne pensons qu’aux maladies neurologiques comme les Maladies d’Alzheimer ou de Parkinson, la Chorée de Huntington et la Sclérose Amyotrophique Latérale, de nombreuses personnes vivent avec l’espérance d’une thérapie. Des espérances qui, toutefois, ne devraient être alimentées qu’après une rigoureuse authentification expérimentale des hypothèses sur lesquelles les scientifiques travaillent dans les laboratoires du monde entier. Mais, si ces hypothèses devaient s’avérer impossibles à reproduire, alors elles doivent être littéralement "balayées", parce que la recherche de frontière a le devoir de s’auto corriger.

Non-découvertes sur les cellules souche adultes

C’est précisément ce qui est arrivé, par exemple, avec les cellules souche adultes et leur capacité présumée de "transdifférencier" en cellules d’un tissu très différent de celui d’origine, avec des découvertes qui formulaient l’hypothèse qu’elles équivaudraient aux embryonnaires. Ces "découvertes" ont été, hélas, publiquement et amplement démenties. Mais il ne me semble pas que l’effet produit par ces "non découvertes" ait été "balayé" dans la perception qu’on en a dans la société civile italienne. Au contraire, surtout récemment, cet effet plane sur la discussion référendaire et il est constamment alimenté.

Evidemment, cette propagande médiatique entièrement basée sur une promesse fictive de " tout soigner ", sur l’énumération de protocoles "expérimentaux" qui utilisent les cellules souche adultes (comme si "utiliser" voulait dire soin total ou garanti pour tout le monde et pour toutes les maladies) par opposition à ceux qui utilisent les embryonnaires (zéro, heureusement, parce que la recherche sur les embryonnaires naît il y a peu d’années est elle est encore entièrement à expérimenter), ce "gonflage" est utilisé intentionnellement pour créer des images, des positionnements, des empires et des mandarinats, en cherchant à influencer l’opinion publique. Sans spécifier que le soin certain et durable aux maladies du sang par les cellules adultes (mais est-il ainsi ?) ne l’est pas, par exemple, pour les maladies du cerveau. En effet, pour ces dernières on doit encore décider : (1) si les cellules souche peuvent, de facto, être utiles ; (2) quelle cellule souche fonctionne le mieux ; (3) si d’éventuels bénéfices vont dériver de l’insertion dans le circuit lésé ou plutôt de facteurs que ces cellules relâchent, avec pour conséquence le déplacement de l’objectif vers les "médicaments" relâchés par les cellules souche plutôt que vers le remplacement de ce qui est dégénéré. Tout cela n’est qu’ hypothèses de travail, pas de certitudes.

La science n’est pas un match

C’est un vrai problème, donc, quand des hypothèses ou des résultats encore in nuce sortent trop tôt des laboratoires et sont trop tôt amplifiés et exagérés. On assiste à la tentative d’imposer une nouvelle "science", celle des théories et des promesses, en citant des protocoles pour et des protocoles contre, comme dans un match, dans une logique aberrante du "raconter à l’opinion publique" ce que l’opinion publique (surtout si moins experte et préparée) aimerait s’entendre raconter, en l’opposant à la "science" des résultats durables, de toute façon difficile à gouverner et à prédire pour quiconque : la "science" qui, aujourd’hui encore, ne peut pas donner a priori des garanties de soin pour tout,quelle que soit la cellule considérée. Alors, dis-je, que les armes supplémentaires offertes par la recherche soient les bienvenues. Nous déciderons ensuite sur la base des résultats obtenus dans des protocoles vérifiables.

Dans ce panorama, désormais trop médiatique, la recherche est considérée comme quelque chose d’ "anecdotique", comme s’il suffisait d’un mot magique, "souche (adulte)" et automatiquement ce dont on dispose dans les laboratoires devient tel, prêt à l’usage dans les hôpitaux, le traitement est là... d’ici trois ans nous serons sur le Parkinson (cela était déclaré il y a plus de trois ans)... nous sommes en train d’y arriver ; ; ; ? En tant que scientifique, je n’accepterai jamais le "nous sommes en train d’y arriver" comme principal argument d’une discussion scientifique ! Aussi parce qu’il y a beaucoup à faire avant d’y arriver. Par exemple, les protocoles de préparation de nombre de types de cellules souche adultes restent grossiers au point que l’on a peu de contrôle sur ce qui pousse, en finissant par colporter comme des cellules souche adultes des mélanges de cellules instables et non homogènes.

Les diktat de la pseudoscience

Mais certains vont même au-delà : les diktat scientifiques italiens, récités par des scientifiques qu’on devrait appeler pseudo scientifiques quand ils se conduisent ainsi, ajoutent que "la recherche sur les cellules souche embryonnaires ne sert à rien". Et pourtant, d’un côté, ces cellules sont un instrument quotidien pour comprendre les mécanismes de base de toutes les cellules humaines et de certaines maladies en particulier. De l’autre côté, elles sont tellement extraordinaires et intéressantes au point qu’elles sont nécessaires pour comprendre l’activité et la toxicité des médicaments.

Et alors, je me pose la question, comment considérons-nous un scientifique qui affirme, sans aucune preuve et même sans aucune expérience directe, que "une recherche - celle de l’autre - ne sert à rien" ? Dans quel but un scientifique se prononce-t-il d’une telle façon ? Pourquoi sommes-nous arrivés, seulement en Italie, ce n’est pas par hasard, à ce faux chaos technoscientifique qui a, en réalité, pour objectif de colporter comme "conflit scientifique" ce qui est un problème éthique ? Qui l’a généré ? Il suffirait peut-être de consulter la presse des années précédant la découverte des cellules embryonnaires (c’était en 1998) pour se rappeler le bombardement médiatique où les possibilités de soins de ces cellules ont été pour le moins exagérées. Des exagérations qui ont ensuite été aiguillées vers les cellules adultes "qui soignent" en créant intentionnellement le faux conflit scientifique.

Pourquoi ce chaos en Italie ?

C’était une autre époque, diraient certains, mais aujourd’hui encore, on utilise les mêmes stratégies : on fait passer les hypothèses pour des faits, les théories pour des résultats. Deux façons différentes de nourrir les espérances. Des personnages éminents (ou considérés comme tels) colportent dans la presse des solutions qui vont dans tous les sens, naturellement non authentifiées. Comme si l’énonciation d’une hypothèse pouvait être équivalente à sa validation expérimentale. Ne s’agit-il pas peut-être de tentatives de créer de la confusion, de mettre le résultat avant l’expérimentation qui doit encore être faite ? Mais avons-nous bien en tête, d’un point de vue scientifique, ce qu’on est en train de divulguer ? Nous sommes au contraire face à des hypothèses de travail sur lesquelles nous sommes encore libres de travailler pourvu que les financements publics soient octroyés à travers une évaluation scientifique attentive des hypothèses et de leur rationalité. Des travaux qu’on ne peut pas faire passer sournoisement comme étant déjà la nouvelle solution. En faisant passer entre autres le concept erroné habituel de science "facile et résolutive" (évidemment toujours à travers les adultes) prête à entrer en action.

De nombreuses voies, une seule méthode

Je n’ai jamais fait partie des scientifiques qui disent que disposer de cellules embryonnaires équivaut à détenir un traitement, par exemple, pour les maladies du cerveau. C’est une voie (pas la seule). Et à vrai dire, je ne connais aucun scientifique qui s’exprime d’une telle façon. Mais je ne suis pas non plus de ceux qui enfourchent les hypothèses de science-fiction des cellules adultes prêtes à soigner et qui promeuvent une vision de la science vue à travers le trou de la serrure. En tentant même de faire passer le concept que la greffe représente l’unique objectif de la recherche sur les cellules souche et qu’en vertu de leur "propriété soigne-tout", les cellules souche (souvent non-souche) adultes sont suffisantes. Dommage qu’il y ait plusieurs laboratoires (parmi lesquels je place le nôtre, à l’université de Milan) intéressés à utiliser les cellules souche embryonnaires pour étudier la différenciation, les mécanismes des maladies et pour développer des médicaments. Et alors ? Alors, aujourd’hui, il faut les deux recherches sur les adultes et sur les embryonnaires et je peux le motiver scientifiquement et d’une façon détaillée à quiconque me le demande.

Que l’on parte de l’un ou de l’autre cellule, pour réaliser les espérances il n’y a de toute façon qu’un seul moyen : travailler dans les laboratoires sans inventer de raccourci. Eventuellement en évitant que des scientifiques sérieux aient à entrer en compétition pour les financements avec des scientifiques "à la recette facile". Des scientifiques qui, si ça se trouve, sont même dans des commissions qui octroient les fonds et qui, si ça se trouve, arrivent à se les auto-attribuer par des procédures qui, aujourd’hui encore et malgré les demandes, n’ont pas encore été rendues transparentes (à propos de "éthique").

Pourquoi voter est un devoir

Je termine en rappelant ce qui est à mon avis l’essence du chercheur. Ce n’est pas le salaire (je crois que personne n’a de doute à ce propos) mais une tension éthique qui pousse à affronter avec esprit critique et sans préjugés des hypothèses rationnelles qui débouchent sur des résultats authentifiés. Aujourd’hui la médecine et la science ont aussi (mais pas seulement) besoin de la recherche sur les cellules souche embryonnaires. On peut le faire aussi en Italie, à travers des règles rationnelles et partagées qui permettent par exemple d’utiliser les blastocystes en surnombre lesquels sont destinés encore aujourd’hui à rester congelés pendant les deux mille années à venir. Tout cela sans créer de nouveaux embryons et sans activer cette importante discussion éthique sur laquelle il est ensuite difficile de légiférer sauf à violer les références éthiques des uns en faveur de références éthiques des autres (et puis de qui ? des plus écoutés ? des plus riches ?).

Un avis strictement personnel sur la loi : je suis catholique pratiquante et un des premiers principes que je poursuis est l’égalité entre les personnes. L’Italie n’est pas un no man’s land et une loi qui permet aux Italiens les plus riches de la contourner tout simplement en se rendant à l’étranger est à mon avis une mauvaise loi. Voter est un devoir.

* Comité pour le Oui au Referendum . Professeur titulaire de pharmacologie à l’université de Milan

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