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Nov 15 La culture victime des options ultralibérales du gouvernement

Publie le vendredi 17 novembre 2017 par Open-Publishing

Au lendemain de la publication d’un article du Monde révélant les pistes de réforme du ministère de la culture dans sa « contribution au Comité action publique 2022 » - dont la mission est de réduire le périmètre de l’Etat - nous publions un point de vue de Philippe Cyroulnik. L’ex-directeur du Centre régional d’art contemporain de Montbéliard dénonce, derrière une attention feinte à l’égard de ses acteurs, une offensive majeure contre la création artistique contemporaine.

Philippe Cyroulnik, ex-directeur du Centre régional d’art contemporain de Montbéliard, réagit aux révélations publiées par le Monde le 13 novembre dernier (2), concernant les musées, les archives et le spectacle vivant. Derrière les annonces de mutualisation des moyens, il dénonce un projet qui se traduira par la fermeture de nombreuses structures accompagnées de suppressions d’emplois, de transferts du public au privé et la soumission de la programmation aux exigences des collectivités territoriales, à travers l’autorisation de déroger aux cahiers des charges qui encadrent les structures labellisées du spectacle vivant (théâtre, chorégraphie, musiques actuelles, arts du cirque, etc.). Il appelle les acteurs du secteur à dépasser leurs rivalités pour faire échec aux manœuvres du ministère. Nous reproduisons son texte avec son autorisation.

Au lendemain de l’annonce de la constitution du gouvernement Philippe, nombreux furent ceux qui virent un signe encourageant dans la nomination de Françoise Nyssen comme ministre de la culture, sans vraiment s’interroger, à quelques exceptions près, sur ce qu’elle signifiait dans le cadre du programme ultra libéral du gouvernement Macron-Philippe. Il ne fallut pas vraiment longtemps pour s’apercevoir (qu’ils) que ces derniers n’étaient que des naïfs utiles.

Une première douche froide arriva : la rencontre entre les responsables d’institutions théâtrales et une représentante du ministère de la culture, dont l’arrogance et le mépris mettaient à nu l’attitude des services de cette responsable d’entreprise qu’était la nouvelle ministre de la culture, Françoise Nyssen, à
l’égard des acteurs du théâtre vivant. Le Monde citait Philippe Quesne, le directeur du Théâtre des Amandiers à Nanterre qui l’été dernier à Avignon, a vécu comme un coup de « dynamite » la rencontre avec la représentante du ministère qui « ne semblait même pas comprendre qui on était… »

Mais quand on veut tuer sa proie il est préférable de l’amadouer afin qu’elle relâche la garde.
Le Monde du 19 octobre nous annonça donc que « le Mercredi 18, Françoise Nyssen, qui avait réuni rue de Valois les directeurs des centres de création nationaux (38 CDN pour le théâtre, 19 CCN pour la danse, et 5 CNCM, pour la musique) a su trouver les mots justes pour rétablir un début de confiance et la base d’un travail en commun avec ces labels qui ont la particularité d’être dirigés par des artistes. "Création. Prototypes. Expérimentation. Travail interministériel… ». La ministre de la culture a pris soin de reprendre à son compte les mots-clés de cette nouvelle génération qui ont choisi ces dernières années de prendre les rênes de lieux publics et des enjeux qu’ils représentent dans le monde d’aujourd’hui ».

Et Le Monde d’afficher son enthousiasme et son empathie : « la ministre a bien compris qu’elle avait tout intérêt à accompagner cette génération qui, décidée à être l’agent de sa propre transformation, s’est déjà attelée à l’écriture de ce qu’ils appellent eux-mêmes l’acte II de la décentralisation culturelle »....Au sortir de la réunion, on se félicitait, comme le dit Alban Richard, le directeur du Centre chorégraphique de Caen, « de la visibilité enfin accordée à l’inventivité et la multiplicité de nos outils ». Et du travail de refondation désormais annoncé. Reste à définir la méthode. Et à poser le calendrier. »

Un plan de fermetures systématiques et une précarisation massives

Mais derrière les simulacres du discours officiel, une autre réalité et un tout autre projet, une autre méthode et un autre calendrier se tramaient dans les coulisses. Ce genre de projet qu’on concocte dans l’opacité la plus totale...et dans le dos de ceux qui sont les acteurs et les promoteurs de la création. Ici, plus de directrices ou directeurs de théâtre ou de compagnie plus d’auteurEs, d’artistes, de pédagogues, de metteurs/metteuses en scène ou de chorégraphes, mais des hauts fonctionnaires, des élus, et... des chefs d’entreprise.
Ce programme va « alléger » tous les secteurs de la création. Ainsi l’enseignement artistique va connaître une cure d’amaigrissement majeure (on y avait déjà joué de la vieille tactique du « diviser pour régner » en opposant les écoles nationales d’art aux écoles régionales. Et il y eut des directeurs et des artistes enseignants pour cautionner cette manœuvre).

On va aller au pire de cette suppression « du mur de Berlin entre le privé et le public » que lançait avec mépris aux professionnels la directrice de la Direction générale de la création artistique Régine Hatchondo, (comme si le théâtre privé était la victime du « totalitarisme » public... au moment où certains envisagent sans honte de taxer le public pour financer le privé. Il y a quelques années un auteur de théâtre lucide parlait de la « boulevardisation du théâtre » (Michel Deutsch). C’est l’officialisation de cette tendance qui s’annonce. Elle s’accompagne d’un plan de fermetures systématiques et de précarisations massives. Elle va favoriser l’ingérence de plus en plus grande des « collectivités » sur les programmations théâtrales musicales, chorégraphiques, muséales et artistiques.

C’est une vaste opération de liquidation qu’on enrobe sous les « notions » de mutualisation et de rationalisation. Tout cela dans l’opacité la plus totale et dans le secret d’un ministère qui ressemble à un conseil d’administration d’entreprise. On fait avec les milieux culturels comme on a fait avec le mouvement syndical : un dialogue d’apparat qui se conclut par des liquidations en série des moyens, des droits et des acquis sociaux. Le sens du dialogue se résume à cette plainte déposée par le ministère du fait de la publication de ces informations ! 

Que Le Monde évoque des risques sociaux classés entre « importants" et "considérables" en dit long sur ces "prospections" ! Le milieu de la culture (des étudiants et enseignants aux professionnels et responsables d’institutions) devrait en finir avec les égoïsmes narcissiques et les compromis courtisans pour affirmer unitairement son refus de cette régression culturelle et sociale massive qu’on nous prépare.

Philippe Cyroulnik

(1) « Contribution ministérielle aux travaux du Comité action publique 2022 », document de travail du ministère de la Culture, daté du 3 novembre 2017, publié par le quotidien l’Humanité dans son édition du 15 novembre 2017, en marge d’un article : Déréglementation. CAP 2022, une offensive en règle menaçant la culture, de Maurice Ulrich.

(2) Comme la ministre du travail Muriel Pénicaud, qui avait porté plainte contre Libération pour avoir révélé des documents concernant la réforme du Code du travail, Françoise Nyssen a annoncé hier son intention de porter plainte contre le Monde. La plainte viserait non pas le quotidien, mais ses sources d’information au ministère de la Culture et de la communication. 

Philippe Cyroulnik en bref :

Critique d’art et commissaire d’exposition, Philippe Cyroulnik a été co-directeur du Crédac (Centre d’art contemporain) à Ivry, chargé des expositions à L’Ecole nationale supérieure des Beaux-Arts de Paris et Directeur du 19, Centre régional d’art contemporain à Montbéliard de 1995 à 2015. 

http://www.lautrequotidien.fr/gratuit/2017/11/14/le-secteur-de-la-culture-galement-victime-des-options-ultralibrales-du-gouvernement-sdrrn

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