Accueil > La loi du peuple

La loi du peuple

par Alina Reyes

Publie le mercredi 20 février 2019 par Alina Reyes - Open-Publishing

Mort aux vaches !

« La popularité d’Emmanuel Macron et d’Édouard Philippe remonte ». Ce ne sont plus les élections qui servent à désigner les représentants des citoyens, ce sont les sondages, c’est l’Opinion. Dans une démocratie, c’est « l’Opinion » et l’état de fait des mœurs qui dictent leurs lois aux législateurs, pour le meilleur et pour le pire. Des chefs d’État factices comme ceux que nous voyons se succéder n’y peuvent rien. C’est justement pour cela qu’ils sont élus. Le peuple n’est pas plus bête que ses élites. Les uns et les autres forment l’aliment de leurs propres mensonges, esprits cannibales. Mais quelque chose est beaucoup plus puissant que tout ce monde : l’esprit de vérité qui travaille l’histoire, et qui finit toujours, après d’âpres combats, par laisser tomber le pire, l’invivable, et par réagencer les forces en sauvant le vivable, dont il révèle le visage.

J’écris Opinion avec une majuscule parce qu’elle est devenue, comme l’Argent (qui se ramène selon Freud au « plaisir des excréments »), une divinité, sans existence mais régnant par l’idolâtrie qu’elle suscite, ventre cliquetant où fourmillent et s’agitent ses faiseurs serviles. Au tournant des VIe et Ve siècles avant notre ère, Parménide déjà rédigeait dans sa langue, le grec, un poème fameux pour mettre en garde les hommes contre la doxa, l’Opinion, qui n’a ni vérité ni réalité, contrairement à la pensée, qui est l’être-même. Nous avons tous des opinions, l’homme moderne est même censé avoir une opinion sur tout. Soit nous leur accordons crédit et importance, d’autant plus qu’elles forment l’enrobage et le gardien de notre ego ; soit, nous voulant avertis de leur superficialité et de leur inconsistance, nous adoptons une position relativiste qui emporte aussi avec elle la distinction des valeurs. Dans les deux cas, nous nous fermons la voie de la pensée réelle, et donc de l’accès aux vérités. Dans les deux cas, nos opinions ne sont que des masques derrière lesquels il n’y a pas de tête.

La somme de millions d’opinions ne peut faire l’opinion d’une population. L’opinion publique n’existe pas, même si elle règne. Les masques sont multiples, dans la population et pour chaque individu. À supposer qu’un logiciel les mixe pour en tirer un masque moyen, censé représenter la figure de l’opinion du peuple, cette figure ne ressemblerait plus à rien, un peu comme celle des stars qui ont subi trop d’opérations chirurgicales, pour un résultat dont la laideur à prétention de beauté, la fausseté à prétention de jeunesse, sidèrent le regard – ce qui est après tout un ressort possible des « stars », le verbe siderari signifiant en latin subir l’influence funeste des astres.

La factice Opinion donc, sans cesse engraissée dans sa fausse existence par le spectacle médiatique permanent, par les sondages et par la propagande, sert de masque à notre état, tout à la fois le cachant et le révélant, masquant et palliant l’absence de pensée. Dans quel état sommes-nous, à quel état aspirons-nous ? Telle est la question politique à laquelle doit répondre l’État. Un corps ne vit pas sans tête, et un État gouverné par l’Opinion, un État sans pensée se réduit rapidement à néant. C’est le lamentable spectacle auquel nous assistons depuis plusieurs années, et tout spécialement depuis l’élection, via les médias et l’Opinion, de Macron et sa bande, avec leurs conseillers formatés par leur appartenance de classe, dépourvus d’intelligence, d’imagination et de courage.

Mais les présidents, les gouvernants fantoches sont balayés par l’Histoire, et les idoles Argent et Opinion s’avèrent dotées d’un pouvoir aussi superficiel qu’elles sont elles-mêmes inconsistantes. Car au milieu de la mort et malgré elle, les femmes et les hommes vivent. Et s’ils doivent souffrir beaucoup d’errances, la vie, comme l’eau depuis la source creuse irrésistiblement son chemin, les fait avancer vers quelque part, avec une puissance qu’aucun dirigeant humain ne peut contrer longtemps : c’est elle qui finalement dicte ses lois aux législateurs. La vie est la loi du peuple.

Portfolio