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Je n’ai qu’un cri : scandaleux !

par joclaude

Publie le jeudi 23 juillet 2020 par joclaude - Open-Publishing

Source : quotidien "Libération"
Inspecteur du travail mis à pied : « Il a trop bien fait son travail »
Une sus­pen­sion et un sym­bole : celui d’une rup­ture, pré­ci­pi­tée par la crise sa­ni­taire, entre un cer­tain nombre d’ins­pec­teurs du tra­vail et leur hié­rar­chie ad­mi­nis­tra­tive in­car­née par l’an­cienne mi­nistre du Tra­vail Mu­riel Pé­ni­caud. Ce mardi, quelques cen­taines de per­sonnes se sont réunies à Paris à l’ap­pel de plu­sieurs syn­di­cats (la CGT, SUD, FO, la FSU et la CNT) pour sou­te­nir An­thony Smith avant qu’il ne se pré­sente de­vant une com­mis­sion ad­mi­nis­tra­tive dis­ci­pli­naire. Aux yeux de Phi­lippe Mar­ti­nez, le se­cré­taire gé­né­ral de la CGT, l’af­faire est simple : si cet ins­pec­teur du tra­vail, mis à pied de­puis trois mois, risque au­jour­d’hui une sanc­tion pou­vant aller jus­qu’à la ré­vo­ca­tion, c’est« parce qu’il a trop bien fait son tra­vail ».

L’his­toire s’est nouée du­rant le confi­ne­ment, alors que la pan­dé­mie de Co­vid-19 était au plus haut en France et que les masques man­quaient cruel­le­ment, no­tam­ment pour les mé­tiers re­le­vant des soins et de la santé (Li­bé­ra­tion du 22 avril). C’est pré­ci­sé­ment pour contraindre une struc­ture ré­moise d’aide à do­mi­cile d’équi­per ses quelque 300 sa­la­riés d’un ma­té­riel de pro­tec­tion adé­quat (dont des masques) qu’An­thony Smith a dé­cidé, à la mi-avril, d’ini­tier une pro­cé­dure de ré­féré de­vant la jus­tice. A peine l’avait-il fait que le mi­nis­tère du Tra­vail le sus­pen­dait, consi­dé­rant dans un com­mu­ni­qué que l’agent avait « en­joint aux em­ployeurs des condi­tions de main­tien d’ac­ti­vité non conformes aux pres­crip­tions des au­to­ri­tés sa­ni­taires », et qu’il avait « dé­ve­loppé des pra­tiques in­ternes non conformes aux règles pro­fes­sion­nelles et dé­on­to­lo­giques ap­pli­cables ».

Aban­don. Car An­thony Smith au­rait aussi eu le tort, selon sa hié­rar­chie, de vou­loir rap­pe­ler aux em­ployeurs leurs obli­ga­tions par une lettre basée sur un ca­ne­vas conçu par le syn­di­cat au­quel il est af­fi­lié, la CGT. Une dé­marche in­ter­pré­tée comme une vo­lonté de faire pri­mer ses en­ga­ge­ments syn­di­caux sur son mé­tier.

En réa­lité, pour les ins­pec­teurs venus dé­fendre leur col­lègue ce mardi, cet épi­sode ré­vèle leur aban­don par leur hié­rar­chie au cœur de la crise. « La di­rec­tion gé­né­rale du tra­vail était aux abon­nés ab­sents au début de la crise. Des col­lègues se sont re­trou­vés à bri­co­ler des com­mu­ni­ca­tions comme ils le pou­vaient », ex­plique Simon Picou, re­pré­sen­tant syn­di­cal (CGT) au sein de la com­mis­sion ad­mi­nis­tra­tive char­gée de sta­tuer sur le sort d’An­thony Smith. Selon lui, « il y a même des dé­par­te­ments où la hié­rar­chie s’est ap­puyée sur les ca­ne­vas de la CGT et les a dif­fu­sés ».« On fonc­tionne sou­vent comme ça, en éla­bo­rant col­lec­ti­ve­ment des cour­riers-types », abonde Cé­cile Clamme, re­pré­sen­tante CGT-TEFP (tra­vail, em­ploi, for­ma­tion pro­fes­sion­nelle) au sein de la Di­reccte du Grand-Est.

Sol­li­ci­tée par An­thony Smith pour le dé­fendre de­vant la com­mis­sion, elle re­proche au mi­nis­tère d’avoir « trans­mis des consignes pour li­mi­ter au maxi­mum [les] in­ter­ven­tions », en pri­vi­lé­giant la pour­suite de l’ac­ti­vité éco­no­mique au dé­tri­ment de la santé des sa­la­riés.

« Prin­cipes ». De­vant la com­mis­sion, An­thony Smith a pré­senté un autre dé­fen­seur de poids : Ber­nard Thi­bault. Pour l’an­cien se­cré­taire gé­né­ral de la CGT, qui siège au­jour­d’hui au conseil d’ad­mi­nis­tra­tion de l’Or­ga­ni­sa­tion in­ter­na­tio­nale du tra­vail (OIT) en tant que re­pré­sen­tant des tra­vailleurs, « l’at­ti­tude de l’ad­mi­nis­tra­tion est contraire aux textes de l’OIT ». Ra­ti­fiés par la France, ces der­niers ga­ran­tissent aussi bien l’in­dé­pen­dance des ins­pec­teurs du tra­vail, leur ré­ser­vant des pré­ro­ga­tives très larges, que la li­berté syn­di­cale. Bref, c’est une ques­tion de « prin­cipes »et, dit-il, « c’est la cré­di­bi­lité du mi­nis­tère qui est en cause ». La nou­velle mi­nistre, Eli­sa­beth Borne, ré­ta­blira-t-elle le dia­logue avec les ins­pec­teurs du tra­vail, rompu par sa pré­dé­ces­seure  ? La dé­ci­sion de sanc­tion­ner ou non Smith en sera un bon in­di­ca­teur.

par Frantz Du­rupt