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Bruxelles : l’Union est à nu

Publie le mardi 21 juin 2005 par Open-Publishing
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de Paul Falzon

L’Union européenne est à nu. L’échec des négociations budgétaires lors du dernier sommet, achevé dans une ambiance de crise proche de l’hystérie dans la nuit de vendredi à samedi, a mis en évidence l’impasse dans laquelle se trouve aujourd’hui la construction européenne. Après quinze heures de réunions, le président de l’UE, le Luxembourgeois Jean-Claude Juncker, déclarait « l’échec » et annonçait une « crise profonde ».

Des blocages persistants

D’après le Luxembourgeois, les Vingt-Cinq étaient proches d’un « accord technique » sur les perspectives financières 2007-2013, malgré des blocages persistants (voir encadré). La déroute finale serait à mettre au compte de « la volonté politique » de certains États de bloquer tout compromis, jugeait Juncker. En ligne de mire, le Royaume-Uni a été accusé de privilégier la vision « simpliste » d’une UE se résumant à « un grand marché », a déploré le président du Conseil européen. Et voici donc relancée la guerre entre les deux « modèles » qui se présenteraient à l’Europe : celui d’une Union à dominante politique et sociale, que porteraient la France et l’Allemagne, contre celui d’une Union à

Vocation libre-échangiste, dont le Royaume-Uni serait le fer de lance.

L’offensive de Tony Blair est réelle. En défendant jusqu’au bout le « rabais » dont son pays jouit depuis vingt ans, le Britannique tente de se mettre en position de force avant de prendre les rênes de l’UE en juillet prochain. Les positions du gouvernement travailliste sur le budget de l’UE sont claires : trop de moyens donnés à la politique agricole commune (PAC), pas assez aux politiques de « compétitivité » (recherche, infrastructure). Plus largement, Londres souhaite s’attaquer, sous le prétexte de le moderniser, aux derniers pans du « modèle social européen », accusé d’être un frein à l’économie européenne.

Face à Tony Blair, les prétendus avocats d’un modèle plus politique et social ont semblé, à Bruxelles, bien décrédibilisés. Sans doute les déboires électoraux d’un Gerhard Schröder menacé d’une victoire de la droite aux législatives de l’automne prochain, et d’un Jacques Chirac touché par le rejet de la constitution ont-ils favorisé l’intransigeance des Britanniques. Mais le véritable

affaiblissement du couple franco-allemand est à rechercher dans sa tendance systématique, ces dernières années, à céder du terrain au modèle anglo-saxon. C’est Berlin qui lance « l’Agenda 2010 » et détruit à petit feu son État providence ; c’est Paris qui dépouille les systèmes de retraite et de santé et se lance dans une destructrice « modernisation sociale ». Au niveau de l’UE, ce boulevard offert au modèle britannique a été entériné en 2000 dans la stratégie de Lisbonne qui a programmé la flexibilisation générale du travail et la libéralisation de la quasi-totalité des secteurs économiques.

Le projet de budget lui-même a porté en germe cette évolution vers moins de solidarité. En signant avec quatre États dont le Royaume-Uni, fin 2003, une lettre demandant le gel des dépenses communautaires à 1 % de la richesse de l’UE, la France et l’Allemagne ont créé les conditions du blocage. L’enveloppe globale étant limitée, impossible d’assumer les nécessaires efforts financiers en direction des nouveaux États membres tout en maintenant les aides pour les Quinze - d’où la décision de l’Espagne de refuser la nouvelle enveloppe des fonds structurels. Impossible non plus de prendre en charge les nouveaux projets de la Commission en matière de recherche, largement sacrifiés dans la dernière proposition luxembourgeoise -, ce qui laisse le beau rôle au Royaume-Uni dans son refus d’un budget « du passé ». Enfin, Paris et Berlin refusant de payer pour l’élargissement, impossible de demander à La Haye et Stockholm de céder sur la baisse de leurs contributions, d’où leur veto vendredi dernier à Bruxelles.

Impasses politiques et économiques

En ce sens, le blocage budgétaire actuel n’est pas la conséquence d’un prétendu repli nationaliste né des « non » français et néerlandais qu’il a largement précédés - souvenons-nous que, dès le dernier Conseil européen fin mars, Jacques Chirac portait déjà l’estocade contre le « chèque » britannique. Que les Français aient voté « oui » ou, comme ils l’ont fait, qu’ils aient rejeté massivement la constitution, le bras de fer se serait produit. Il serait plus juste de considérer que la crise budgétaire découle, comme la crise institutionnelle, des impasses politiques et économiques d’une Union coupée de ses citoyens. L’échec des négociations sur le budget dans une Europe en panne de croissance fait se poser, plus que jamais, la question du contrôle démocratique de la BCE et de sa réorientation au service de l’activité et du développement des régions pauvres. Cela a été l’une des exigences du « non » de gauche à la constitution. Aux Vingt-Cinq d’en tenir compte, plutôt que de fouler aux pieds le message des électeurs français et néerlandais.

http://www.humanite.presse.fr/journal/2005-06-20/2005-06-20-808973

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