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Les arts de la rue entre gravité et fantaisie

Publie le dimanche 24 juillet 2005 par Open-Publishing

Les arts de la rue entre gravité et fantaisie

de Benjamin Roure

Chalon-sur-Saône, jusqu’au dimanche 24 juillet, 184 compagnies et plus de 300 000 visiteurs sont attendus, pour le principal festival des arts de la rue, avec celui d’Aurillac (qui se déroulera du 17 au 20 août).

Contrastant avec l’énergie qui anime chaque quartier, la forte présence de la mort dans les spectacles présentés peut se lire en filigrane comme un appel au secours d’artistes intermittents, que la présence du ministre de la culture et de la communication Renaud Donnedieu de Vabres à l’occasion d’un débat n’a pas réussi à rassurer.

Dans les rues, l’ambiance est festive et tranquille, mais parmi les 22 spectacles du festival "in", le ton se fait souvent funèbre. Ainsi les Hollandais de Dakar proposent-ils avec Braakland un voyage dans une terre sans nom et sans âme, où toute raison de vivre a disparu. Viol, meurtres, suicide et enterrement collectifs se déroulent dans un silence total, sous le regard sceptique des spectateurs.

La production des Français de Metallovoice et des Ecossais de Boilerhouse ne fait pas non plus dans la gaudriole, avec 3 600 secondes, ou Que feriez-vous s’il ne vous restait qu’une heure à vivre ? Sur une scène mobile, autour de laquelle s’amasse le public, qui a patienté en lisant et relisant sur des écrans des poèmes de Shakespeare et de Baudelaire sur le temps qui passe, deux hommes et deux femmes se racontent leurs rêves et leurs cauchemars, face au grand chef d’orchestre du temps.

"LA MACHINE À BOTTER LE CUL"

La mise en scène efficace et les textes percutants, ajoutés à la musique (de l’électro au Requiem de Verdi) et aux projections visuelles, font de ce spectacle de plein air un condensé réussi de violence quotidienne et d’éternelles interrogations. Plus tard dans la nuit, on verra Il corso, show pyrotechnique grandiloquent des Allemands de Pan. Optikum, inspiré du Livre des questions de Pablo Neruda, avec son univers médiévalo-punk, renforce l’idée d’un festival qui se plaît à bousculer, sans toujours réussir à séduire.

Pedro Garcia, directeur de Chalon dans la rue depuis deux saisons seulement, veut que le public, et surtout les habitués, s’interroge, se divise et ne se contente pas de trouver les spectacles "beaux" . "Il n’y a pas de thème général, la porte est ouverte aux poten tialités artistiques. Chaque projet a les moyens de trouver son public." Pour ceux qui fuirait le morbide, la fantaisie occupe également une bonne place avec notamment les déambulations féériques de Pipototal ou les inventaires surréalistes de la compagnie O.P.U.S., qui offre une visite de son "conservatoire des curiosités" , regorgeant d’objets insolites comme "la machine à botter le cul des drôles" ou "la bétonnière de camping".

Mais c’est peut-être dans le grain de folie de certains spectacles que les arts de la rue trouvent un nouveau souffle. Une folie toutefois assez proche des thématiques sombres abordées cette année. Les caissières sont moches , de Pierre Guillois et les Octavios, évoque un monde à la Boris Vian, en forme de contrepied à la vie de quartier façon Amélie Poulain.

Un couple trop heureux se retrouve la tête en bas, la bouchère pose nue sur une publicité pour du thon, une femme atteinte d’un cancer se plaint de ne pouvoir revoir les fleurs du printemps que le jour de ses funérailles. La troupe roumaine Radu Stanca propose, elle, une libre adaptation de L’Idiot de Dostoïevski, en deux heures jouissives d’ivresse verbale et gestuelle. Comme un antidote, une surdose de vodka, à la fois pour fêter une heureuse nouvelle (2 millions d’euros débloqués cette année par le ministère de la culture pour les arts de la rue) et noyer son inquiétude pour l’avenir.

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