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Dure la pente de la démocratie juive

Publie le dimanche 24 juillet 2005 par Open-Publishing

Amira Hass
Haaretz, 21 juillet 05

Ariel Sharon ne partage pas Jérusalem. Haïm Ramon non plus. Ils ont simplement trouvé un moyen plus efficace et plus rapide que ceux éprouvés jusqu’ici pour se libérer de quelques dizaines de milliers de Palestiniens habitant Jérusalem. Et ceci après qu’on ait épuisé le pillage de leurs terres au profit des habitants juifs.

Au début de la semaine passée, le gouvernement a décidé de hâter la construction du mur de séparation dans la région de Jérusalem, qui cernera et emprisonnera les habitants de trois quartiers de Jérusalem-Est : le camp de réfugiés de Shoafat et les quartiers de A-Salaam et Dar Khamis, à Anata. Pendant plus d’un an et demi depuis que le tracé a été dessiné, l’Etat a tardé dans ses réponses aux recours introduits par le représentant des habitants de ces quartiers, l’avocat Dany Zeidman. Maintenant que tous les projecteurs sont tournés vers le désengagement, il s’empresse de construire un mur de béton et des tours de guet qui couperont les habitants de leur ville.

Au Ministère de la défense, on assure que le tracé a été fixé d’après des considérations sécuritaires uniquement et qu’il prend en compte l’ensemble des intérêts des habitants. Mais le ministre Ramon a déclaré sans fard, la semaine passée, sur Kol Israël : « (la décision) du gouvernement renforce la sécurité de Jérusalem... et elle l’a rend plus juive... » Autrement dit, derrière le tracé, les considérations démographiques sont évidentes : le plus possible de territoire pour Israël, le moins d’Arabes possible.

Les habitants de ces quartiers ne sont pas les seuls Palestiniens ni les premiers qu’Israël emprisonne derrière des clôtures, des points de passage et un réseau bureaucratique d’autorisations, afin de conserver les acquis territoriaux de la guerre de 1967. C’est devenu une solution répandue en Cisjordanie et dans la Bande de Gaza. Sauf qu’ici, il s’agit de porteurs d’une carte d’identité israélienne. Ceux qui les ont précédés dans leur emprisonnement, ce sont les habitants de Kafr Akab et Samir Amis, deux villages au sud de Ramallah, qui ont été annexés à Jérusalem en 1967.

Le gouvernement a promis de faire avec diligence ce qu’il n’a pas fait en 37 ans à l’Est de la ville : ils construira en quelques mois tout un système perfectionné de services, qui rendra superflu pour les habitants le besoin de se rendre au centre ville. Cette promesse nous apprend ce que les ministres du gouvernement pensent des juges de la Cour suprême qui sont censés se prononcer sur une plainte contre le tracé actuel : on est maintenant d’avis, au gouvernement - un an après que le glaive de la Cour internationale de La Haye ait cessé de peser au-dessus de leurs têtes - qu’il y a moyen de vendre à la Cour suprême n’importe quelle explication, n’importe quelle promesse. Les juges de la Cour suprême sont tenus par le gouvernement comme faisant indissociablement partie de sa société juive-démocratique. Et cette société ne s’est jamais émue du régime de discrimination structurelle qui a transformé les quartiers Est de Jérusalem en quartiers pauvres, surpeuplés, délaissés.

La société juive-démocratique n’a pas été ébranlée lorsque les gouvernements israéliens et la municipalité de Jérusalem ont exproprié de vastes territoires palestiniens libres, au profit de la construction de spacieux quartiers réservés aux Juifs. Dans le même temps, des règlements administratifs étaient adoptés qui empêchaient les Palestiniens de bâtir à l’intérieur de Jérusalem, leur ville, les contraignant à construire sans permis ou à résider en dehors du territoire de la municipalité. La discrimination structurelle était un moyen non déclaré mais transparent de provoquer la fuite du plus grand nombre possible de Palestiniens hors de la ville « unifiée ».

En 1995-1996, le Ministère de l’Intérieur a lancé la politique du « transfert silencieux » : des habitants de Jérusalem qui étaient à l’étranger pendant des années ou qui avaient été contraints d’habiter en dehors du territoire municipal, se sont vu dénier en masse le statut de résident. Le Ministre de l’Intérieur était alors Ramon. Le gouvernement israélien a alors commencé à violer ouvertement la promesse qu’il avait donnée aux Palestiniens en les annexant à la capitale d’Israël. La promesse que - comme ce n’était pas eux qui avaient choisi de vivre à l’intérieur des frontières d’Israël mais Israël qui avait choisi de les annexer - ils jouiraient des droits de résidence et que serait respecté leur statut de jérusalémites.

La politique du transfert silencieux a partiellement échoué grâce à une lutte commune (palestino-israélienne et internationale), collective et juridique, et surtout grâce au fait que beaucoup ont décidé de revenir vivre dans de scandaleuses conditions de surpeuplement, à l’intérieur des limites de Jérusalem. Ils ont ainsi construit leurs maisons en marge du camp de réfugiés de Shoafat et dans les quartiers de « La Paix » à Anata. Sans planification, sans infrastructures, sans permis, sans services, parmi les monceaux d’ordures. A courte distance des parcs verdoyants et des larges routes de Pisgat Zeev la juive, construite sur des terres volées à Anata, Shoafat et Hizmeh.

Vient maintenant, sous prétexte de sécurité, une autre étape dans la marche sur la pente glissante de la discrimination nationale, et qui doit « corriger » ce que le transfert silencieux n’est pas parvenu à accomplir. Même si le gouvernement construit en deux mois des écoles et des cliniques à Anata, le mur créera une immense prison à deux pas de ce qui fait l’ornement de la culture juive : l’Université Hébraïque. Même en construisant dans le mur le point de passage le plus parfait, le plus avenant, l’expérience nous enseigne que des milliers de personnes seront coupées de leurs familles et de leurs amis vivant de l’autre côté du mur, coupées d’occasions de gagner leur vie, de possibilités d’étudier, d’institutions culturelles et religieuses, de camps de jeunesse. Sans être déplacés de leurs maisons, ils seront chassés de leur ville. Au profit de la capitale juive démocratique.

[Traduction de l’hébreu : Michel Ghys]

www.haaretz.co.il/hasite/pages/ShArtPE.jhtml?itemNo=602993