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Acheter des actions EDF ? Une très mauvaise affaire !

Publie le mercredi 9 novembre 2005 par Open-Publishing
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Le Réseau "Sortir du nucléaire" (Fédération de 715 associations) s’adresse aux acheteurs potentiels d’actions EDF.. L’ouverture du capital de cette entreprise servira plus que jamais à poursuivre son activité dans le nucléaire. C’est notamment pour payer de nouveaux réacteurs de type EPR et renouveler son parc de centrales nucléaires qu’EDF ouvre son capital. Etes-vous d’accord avec un tel choix ?

Même pour les partisans de l’atome, l’achat d’actions d’EDF ne peut être qu’un acte irrationnel ou bien guidé par l’ignorance de la vérité sur les charges et engagements d’EDF.

Le Réseau "Sortir du nucléaire" met en exergue plusieurs données qui, s’ajoutant au déficit colossal d’ores et déjà accumulé par EDF (au moins 40 milliards d’euros), permettent de douter de l’avenir radieux d’EDF en bourse.

Voici les principaux éléments d’analyse :

 Démantèlement des centrales nucléaires : un puit sans fond.
En janvier 2005, la Cour des comptes a rendu public un rapport édifiant sur "Le démantèlement des installations nucléaires et la gestion des déchets radioactifs", montrant que le financement de ces opérations n’était pas assuré, particulièrement pour EDF qui ne dispose que d’un "embryon d’actifs dédiés par rapport à la masse à financer". On peut d’ores et déjà imaginer la chute vertigineuse des actions EDF en bourse lorsque la vérité va éclater. Rappelons nous de la faillite du courtier en énergie ENRON aux Etats-Unis : des centaines de milliers de petits épargnants avaient alors vu leurs économies partir en fumée !

 Le nucléaire n’est pas rentable.
Contrairement à une idée aussi fausse que répandue, EDF a toujours perdu et perd encore aujourd’hui de l’argent avec les centrales nucléaires (99 millions d’euros de pertes en 2004). Ce sont le transport et la distribution de l’électricité qui sont rentables : 1002 millions d’euros de bénéfices en 2004. Or, à court terme, EDF perdra ces activités au profit d’autres structures (en particulier RTE pour la gestion du Réseau français de Transport d’Electricité).

 Les centrales nucléaires réservent de mauvaises surprises.
Les centrales vieillissent plutôt mal : du fait d’un veillissement prématuré, de nombreuses pièces des centrales (comme les générateurs de vapeur) doivent être changées. Des mauvaises surprises sont vraisemblables et certainement déjà connues d’EDF, qui se garde bien d’en informer ses futurs actionnaires (les enceintes de confinement sont de plus en plus poreuses, etc..)

 Un accident nucléaire toujours possible.
Le futur réacteur EPR a la même particularité que les 58 réacteurs nucléaires actuels : il n’est pas conçu pour résister au crash d’un avion suicide. En dehors de ce risque d’attaque terroriste, les autorités reconnaissent que, même en fonctionnement normal, un accident nucléaire (dû à une défaillance technique ou humaine) est toujours possible.
Certes, en vertu des scandaleuses conventions de Paris et de Bruxelles, EDF n’aurait à payer qu’une réparation financière de 700 millions d’euros (les milliards d’euros d’indemnisation étant payés par l’argent public) mais EDF et l’industrie nucléaire seraient alors complétement discréditées. Inutile de dire que l’action d’EDF approcherait alors du zéro absolu.

 Privatiser EDF consiste à livrer les secteurs rentables au marché financier et laisser les dettes aux contribuables.
Au secteur privé, les bénéfices de la vente d’électricité et à l’Etat (donc aux citoyens), les pertes dues au coût du démantèlement des centrales nucléaires, de la gestion des déchets radioactifs pendant des millénaires, du retraitement-extraction du plutonium civil et militaire. Précisons que ce sont ces mêmes contribuables français qui ont déjà financé un investissement de 275 milliards d’euros depuis 1974 pour construire le parc de centrales nucléaires actuel.

 Une hausse des prix pour moins de service public..
L’expérience récente des pays, comme les Etats-Unis ou le Canada, qui se sont engagés dans cette voie de la privatisation (et qui en reviennent pour la plupart) montre à quel point elle est synonyme de hausse des prix de l’électricité, de discrimination entre les clients en défaveur des plus modestes, de licenciements dans le domaine énergétique (estimés à plus de 300 000 emplois en Europe), de détérioration des conditions de sécurité dans les centrales nucléaires à cause des restrictions budgétaires, de coupures de courant, etc.

 Aucune voix au chapitre pour les petits actionnaires, les usagers et les associations.
Cette privatisation ne change rien dans les rapports de production et les rapports sociaux de dominant à dominé, au sein de l’unité de production (les travailleurs sont privés de pouvoir réel), comme au sein de la société (pas plus de pouvoir pour les usagers, les consommateurs et les défenseurs de l’environnement). D’autre part, il y a fort à douter que les petits porteurs d’actions EDF auront pas leur mot à dire dans l’orientation de l’entreprise...

Non à la privatisation d’EDF.
Oui à un vrai service public de l’électricité sans nucléaire, décentralisé et démocratisé..
Pour notre avenir et celui des générations futures, il est grand temps d’investir massivement dans l’efficacité énergétique, les économies d’énergie et les énergies renouvelables.

Pour en savoir plus sur le Réseau “Sortir du nucléaire” : www.sortirdunucleaire.fr
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REVUE DE PRESSE


Les Echos - Vendredi 28 octobre 2005

Le démantèlement des centrales nucléaires absorbera en trois ans les 7 milliards d’euros levés

A la demande de l’Etat, EDF va accélérer la constitution du fonds d’actifs dédiés au financement des charges de démantèlement. D’ici à 2010, plus de 12 milliards d’euros devront lui être consacrés.
Le sujet a été évacué en une phrase. En officialisant le lancement de l’ouverture du capital d’EDF, lundi dernier, Dominique de Villepin a simplement indiqué que le programme d’investissements élaboré par l’entreprise prévoyait « de sécuriser les ressources financières qui [lui] permettront de démanteler les centrales nucléaires, le moment venu ». Les dépenses en question s’inscrivant dans un calendrier pour le moins éloigné, le Premier ministre a préféré s’attarder sur les projets « de développement » plus immédiats.

Pour EDF, les enjeux financiers du démantèlement des installations nucléaires sont pourtant déjà une réalité. Si les 40 milliards d’euros d’investissements identifiés à l’horizon 2010 permettent à l’électricien français et au gouvernement de justifier l’augmentation de capital à venir, la logique voudrait que les charges liées à la déconstruction des centrales et à la gestion des déchets à vie longue soient également prises en compte. A court terme, elles obligeront en tout cas le groupe à mobiliser des sommes supérieures à ce qu’il prévoit, par exemple, d’investir dans le réseau de distribution...
Deux préconisations
Comme le précise le document de base remis à l’Autorité des marchés financiers (AMF), une accélération du « rythme de constitution des actifs dédiés » au démantèlement des centrales nucléaires a été décidée, et approuvée le 5 septembre dernier par le conseil d’administration d’EDF. Lourde de conséquences pour l’opérateur historique, cette initiative ne tombe pas du ciel : elle est le fruit d’une négociation serrée entre l’entreprise et l’Etat-actionnaire. En vue de l’ouverture du capital, ce dernier avait demandé, voilà quelques, mois à l’Inspection générale des finances (IGF) et au Conseil général des mines (CGM) de se pencher sur la question. Leur « rapport de recommandation », remis cet été au ministre de l’Economie, des Finances et de l’Industrie, aboutissait à deux conclusions : au lieu de se limiter au démantèlement des réacteurs dits « à eau pressurisée » (REP) entrés en service depuis le milieu des années 1970, l’assiette servant de base à la constitution des actifs dédiés doit désormais intégrer le démantèlement des centrales de première génération, ainsi que la provision « pour dernier coeur » correspondant au retraitement du combustible. Deuxième préconisation de l’IGF et du CGM : pour faire face à ses besoins, l’électricien français se doit d’accroître sensiblement le montant de l’allocation annuelle destinée au fonds dédié. Ce qui revient à dire que les sommes nécessaires n’avaient pas, jusque-là, été mises de côté. Ou qu’elles avaient été utilisées à d’autres fins.
L’Etat en a apparemment tiré les leçons. Le compromis trouvé avec EDF va conduire l’entreprise à abonder le fonds à hauteur de 2,7 milliards en 2006, puis de 2,35 milliards par an les quatre années suivantes. A lui seul, le financement du démantèlement des centrales nucléaires absorbera donc en trois ans l’équivalent de l’augmentation de capital. D’ici à 2010, 12,1 milliards lui seront consacrés. Le groupe aurait préféré lisser cette dépense jusqu’en 2017. Mais cela aurait pu être pire : à l’origine, le rapport de l’Inspection générale des finances recommandait de verser la même somme en deux ans !
De quoi décourager d’emblée les investisseurs potentiels : dans un courrier daté du 26 juillet dernier, EDF faisait remarquer à sa tutelle que « dans la perspective de l’ouverture du capital, il serait paradoxal de proposer aux investisseurs que les ressources venant de l’augmentation de capital ne viennent pas financer le développement de l’entreprise, mais soient consacrées, pour l’essentiel, à abonder les actifs dédiés. Emploi qui offre un taux de rendement inférieur aux actifs du groupe. » On ne saurait mieux dire....
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Le Monde - 27 octobre 2005

EDF : une privatisation à risques nucléaires

Qui osera, en France, prendre position contre une privatisation ? Voilà belle lurette que le débat est clos ! Depuis que la droite, au milieu des années 1980, a fait de la cession des actifs publics l’une des priorités de sa politique économique et que la gauche, notamment avec Lionel Jospin, lui a emboîté le pas, sortant du "ni-ni" (ni nationalisation ni privatisation) édicté pendant un temps par François Mitterrand, la controverse s’est presque éteinte.
Dans le cas d’EDF, le Parti socialiste vient cependant de faire un pas en arrière. Alors qu’en 2002 Laurent Fabius avait pris position, en prévision de l’élection présidentielle, pour une privatisation partielle et Dominique Strauss-Kahn pour une privatisation totale, tous les hiérarques socialistes sont maintenant d’accord pour critiquer l’ouverture du capital.

Mais, pour beaucoup, la nouvelle doctrine est plus affaire de tactique que de conviction. Car, pour l’essentiel, l’affaire est entendue : dans le grand débat économique sur les rôles respectifs de l’Etat et du marché, les promoteurs des privatisations ont définitivement gagné. Et les détracteurs de ces mêmes privatisations ont perdu. Ne se souvient-on pas, par exemple, que, se livrant exactement à la même valse-hésitation en 1997, Lionel Jospin avait exclu avant les législatives toute ouverture du capital de France-Télécom, au motif qu’il s’agissait d’une entreprise de service public ? Ce qui ne l’avait pas empêché, sitôt les élections passées, de mettre en chantier cette même ouverture du capital.
Dans le cas d’EDF, on pourrait donc penser que les socialistes mènent un combat d’arrière-garde. Pour la forme, ils protestent contre la privatisation partielle, mais, sur le fond, ils ne sont guère assurés de leur position.

Question de simple bon sens : pourquoi, après avoir organisé la privatisation partielle de l’entreprise publique France-Télécom, refuser, dans un sursaut d’archaïsme ou de démagogie, celle de l’entreprise publique EDF ?
Si l’on met de côté les positionnements de circonstance, il faut pourtant s’attarder un moment sur cette question beaucoup plus lourde de conséquences qu’il n’y paraît : est-on vraiment sûr que la privatisation partielle d’EDF est exactement de même nature que celle, réalisée, de France-Télécom ? Eh bien, non ! Entre les deux opérations, il y a une différence de taille. Une différence qui peut s’énoncer simplement : le secteur du nucléaire, qui est au cœur de l’activité d’EDF, n’a en vérité rien à voir avec celui des télécommunications. Et cette différence-là pourrait s’avérer explosive pour les finances publiques.

Que sait-on en effet de ce que pourrait être le coût du démantèlement de ces centrales nucléaires et du traitement de ces déchets, dont la durée de vie, pour ceux de haute activité, pourra s’étaler sur des milliers, voire des centaines de milliers d’années ? En vérité, pas grand-chose. Les rapports se sont multipliés ces dernières années, et les évaluations ont fortement changé, selon les hypothèses retenues.
Ce que l’on sait, c’est que cela se chiffrera en dizaines de milliards d’euros : près de 63 milliards d’euros, avait estimé la Cour des comptes dans un rapport publié en début d’année. Et pour l’enfouissement profond des déchets les plus dangereux, des sommes tout aussi fantastiques sont évoquées : de 15 à 30 milliards d’euros de plus.

Pourquoi une telle imprécision dans les chiffrages ? La réponse coule de source : les coûts seront fonction des choix technologiques ­ - choix que l’on ne connaît pas encore. Et qui assumera la charge financière afférente ? On ne le sait pas plus. Tout juste peut-on craindre que la décision soit prise en catimini par décret, sans débat au Parlement. Sur le papier, de nombreuses solutions sont possibles : d’un pays à l’autre, il existe des schémas où les producteurs d’électricité sont responsables de leurs déchets sans limite de temps, ou alors seulement responsables jusqu’à l’entreposage ou jusqu’au stockage de ces déchets, l’Etat ou un gestionnaire ad hoc prenant ensuite le relais.

En se prononçant pour une ouverture précipitée du capital d’EDF avant même d’avoir arrêté et dévoilé les choix technologiques qui engagent la vie des Français, et surtout celle de leurs enfants et petits-enfants ­ - et puis aussi avant même d’avoir annoncé qui assumera la lourde charge financière de ces choix ­-, on devine dans quel sens, implicitement, le gouvernement veut avancer. Comme il est inconcevable qu’un investisseur privé entre au capital d’EDF en sachant qu’il devra assumer à l’avenir un risque financier qui pourrait se révéler majeur, la tentation sera grande de soumettre l’entreprise à un prélèvement pour solde de tout compte, le financement sur le très long terme des déchets reposant ensuite sur les finances publiques.
Le bilan étant ainsi nettoyé, EDF qui s’est toujours refusé à "sanctuariser" dans des fonds dédiés des provisions pour financer les charges futures pourra ainsi devenir une entreprise attrayante pour la Bourse.
SCÉNARIO RÉVÉLATEUR. L’opportunité pour les investisseurs pourrait d’ailleurs ne pas s’arrêter là. Quelle sera en effet la durée de vie des centrales nucléaires ? Restera-t-elle fixée à quarante ans, comme cela a été décidé en 2004 unilatéralement par EDF, au seul motif d’enjoliver ses comptes, contre trente ans auparavant ? Ou la tendance sera-t-elle, suivant les options prises aux Etats-Unis, de relever la barre vers les soixante ans ?
On comprend l’intérêt pour des capitaux privés que la privatisation partielle intervienne vite : un possible allongement complémentaire de la durée de vie des centrales générera en leur faveur de fantastiques effets d’aubaine. A titre d’indication, l’allongement à quarante ans avait gonflé les résultats semestriels d’EDF de 1,8 milliard d’euros dans ses comptes 2003.

Les enjeux de cette privatisation sont donc considérables. Dans son rapport, la Cour des comptes les avait bien cernés : "Le risque existe, dans le cadre d’une ouverture du capital d’Areva et d’EDF dans des marchés devenus fortement concurrentiels, que les conséquences financières de leurs obligations (...) soient mal assurées et que la charge en rejaillisse in fine sur l’Etat."
C’est le scénario qui prend forme. Un scénario révélateur du libéralisme à la française : on privatise les profits, et on socialise les pertes. Sauf que, dans le cas présent, l’adage risque de prendre un relief sans précédent. Tant les profits pourraient s’avérer considérables. Et les risques financiers pour l’Etat explosifs.
Le gouvernement joue donc d’un mauvais argument en faisant valoir que les besoins d’investissement d’EDF nécessitent une ouverture urgente du capital de l’entreprise. D’abord, d’autres sources de financement que celles du privé existent. Et puis, surtout, les enjeux en cause sociétaux, environnementaux... dépassent, et de très loin, la seule question de la politique d’investissement d’EDF.

C’est l’histoire du pompier pyromane. Le ministre des finances, Thierry Breton, bat les estrades, s’inquiétant que la France vive "au-dessus de ses moyens" et que la dette publique devienne exorbitante. Mais, par ses décisions comme hier celle de la soulte d’EDF ou de La Poste ou à présent celle de la privatisation partielle de cette même entreprise EDF, il accélère la dérive qu’il fait mine de combattre. Dit méchamment, c’est de la petite politique. Car on devine par avance l’invraisemblable principe qui va guider cette privatisation : le pollueur, ce sera EDF ; les payeurs, ce seront les générations futures ; et les "profiteurs", ce seront les actionnaires.

Laurent Mauduit


Libération - lundi 07 novembre 2005 - par Nicolas Cori

Le titre de l’électricien n’est pas forcément une bonne affaire.

L’action EDF vous donnera-t-elle plus que la lumière ?

Fallait-il ou non introduire EDF en Bourse ? La question, politique, a été largement débattue ces derniers mois. Et le gouvernement a tranché, c’est oui. Un autre dilemme s’ouvre désormais pour les Français, soumis depuis quelques jours au matraquage publicitaire de la compagnie d’électricité et aux appels de leurs banquiers : faut-il acheter de l’action EDF ? L’entreprise ayant annoncé son intention de séduire 4,5 millions de petits porteurs, tout le monde est sollicité. Pour les lecteurs qui n’ont pas eu le temps de lire les 539 pages du document de base déposé en juillet auprès de l’Autorité des marchés financiers (AMF), Libération dresse la liste des atouts et des risques de la compagnie.

Le plus gros électricien mondial

Avec 46 milliards d’euros de chiffre d’affaires, 42 millions de clients, une présence, outre la France, en Grande-Bretagne, Allemagne, Suisse et Italie, EDF est un mastodonte de l’énergie qui fait peur à tous ses concurrents. Le groupe est assurément le mieux placé pour profiter de la libéralisation totale du marché européen, prévue pour 2007. En plus de sa taille, il bénéficie d’un très bon « mix énergétique » : des centrales nucléaires et des barrages hydroélectriques, l’idéal en cette période de pétrole cher. Autre atout, sa main-d’oeuvre : ses ingénieurs sont parmi les plus réputés dans le monde et ses salariés sont très attachés à leur entreprise. Et, pour une fois, ils ne risquent pas de voir leur travail saboté par les dirigeants.

Président de 1998 à 2004, François Roussely avait multiplié les erreurs managériales et failli conduire le groupe dans le mur en achetant trop cher des groupes à l’étranger (notamment Edison en Italie). Son remplaçant, l’ex-PDG de GDF Pierre Gadonneix, est connu pour sa prudence managériale, notamment en matière d’acquisitions. On peut espérer, enfin, que « Gado » ­ le surnom du PDG d’EDF ­ et ses équipes ne seront pas aveuglés par le mirage de l’argent facile. Aucun plan de stock-options n’est prévu et le salaire du PDG devrait être le plus bas du CAC 40 (460 000 euros annuels, à comparer avec une moyenne française de plus de 2 millions).

La fin du « cycle du combiné nucléaire »

Si la maîtrise de l’atome est aujourd’hui le principal atout d’EDF, elle risque aussi de lui coûter très cher à long terme. L’électricien n’a pas provisionné assez d’argent pour le traitement et le stockage des combustibles irradiés, ainsi que pour la déconstruction des centrales. Un constat fait par la compagnie elle-même. « EDF n’a jamais déconstruit de centrales nucléaires similaires à celles actuellement en service, reconnaît l’électricien dans le document remis à l’AMF. Il ne peut garantir que les provisions constituées seront suffisantes, ce qui aurait un impact négatif sur ses résultats financiers. » Actuellement, l’électricien estime à 29 milliards d’euros le coût de « la fin de cycle du combiné nucléaire », mais il n’a mis que 2,6 milliards d’euros d’actifs de côté pour y faire face. Un écart dénoncé dans un rapport de la Cour des comptes datant de janvier. EDF promet de faire attention en augmentant sa « dotation annuelle aux actifs dédiés ».

Mais il n’est pas du tout certain que les évaluations soient correctes. Les commissaires aux comptes, eux, refusent de s’engager. Dans leur rapport, ils soulignent « l’incertitude relative à l’évaluation des provisions liées à la production nucléaire », sensible à de très nombreux paramètres : « coûts, taux d’inflation, taux d’actualisation à long terme »... Du coup, l’AMF a imposé un avertissement, barrant la première page du document d’introduction, qui fait état de ces « observations ».

Un cadre politique contraignant

On l’a vu récemment avec Gaz de France, le prix de l’énergie est une question éminemment politique. Heureusement pour le client, EDF ne pourra pas augmenter ses tarifs comme elle l’entend. Le « contrat de service public » signé avec l’Etat prévoit que l’évolution ne sera pas supérieure à l’inflation pendant au moins cinq ans. Mais il s’agit d’une contrainte qui ne va pas faciliter la gestion de l’entreprise. Autre difficulté : la loi impose à l’Etat de ne pas passer sous les 70 % du capital. Si EDF veut lancer une offre publique pour racheter un concurrent, elle ne pourra pas proposer ses titres comme monnaie d’échange. Et devra lancer une OPA en cash, en s’endettant. Une telle mésaventure était arrivée à France Télécom en 2000, qui avait ensuite frôlé la faillite.

Des marchés financiers hésitants

Le succès de l’introduction en Bourse dépend de la réaction des marchés, et donc des investisseurs. Pour l’instant, ils sont hésitants. D’un côté, il y a la taille d’EDF et le fait que sa capitalisation boursière l’amènera à intégrer très vite le CAC 40. De l’autre, le montant de l’opération ­ l’Etat veut placer 7 milliards, soit la plus grosse augmentation de capital au monde depuis 2001 ­, qui devrait combler la demande sans entraîner d’effet de rareté. Surtout, de nombreux analystes sont dissuadés par le prix d’introduction : entre 28,50 et 33,10 euros pour les particuliers. Ce qui valorise EDF entre 54 et 62 milliards d’euros. C’est beaucoup pour une entreprise qui n’affiche pas des taux de rentabilité très élevés (2,6 milliards d’euros prévus pour 2005, soit 5 % du chiffre d’affaires). Et démesuré par rapport à ses concurrents.

En Bourse, Suez, EON (britannique), Endesa (espagnol) ou RWE (allemand) sont valorisés aux alentours de 13 fois les bénéfices 2005 attendus (le price earning ratio, PER). Pour EDF, on passerait à un PER supérieur à 20. En outre, le groupe a prévu de distribuer 50 % de ses profits, soit un rendement maximal de 2,8 %. A comparer avec un taux de 4,5 % pour Suez. Un analyste résume : « EDF est une bonne boîte, mais il y en a des dizaines qui sont plus séduisantes en faisant plus de croissance et plus de rendement. » Pas certain, donc, qu’EDF soit le véhicule idéal pour décrocher le jackpot en Bourse.

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