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EDF : actionnaire ou militant, dilemme à la CGT

Publie le vendredi 18 novembre 2005 par Open-Publishing
6 commentaires

de Jean-Michel Bezat

Patrick s’est planté devant le secrétaire général de la CGT et lui a lancé tout de go, sur un ton accusateur : "Il y a des militants opposés à l’ouverture du capital de Gaz de France qui ont pris des actions." L’interpellation cueille Bernard Thibault à froid, lundi 26 septembre, au milieu des salariés du centre EDF-GDF de Chalon-sur-Saône (Saône-et-Loire). Il hésite, avant d’improviser une réponse. "Compte tenu du pouvoir d’achat, dit-il, comment prendre la responsabilité de dire à un salarié de ne pas profiter d’un système d’acquisition d’actions qui lui permette de boucler sa fin de mois." Et puis être contre la privatisation et acheter des actions, "ce n’est pas incompatible".

Un mois et demi a passé, le succès de la souscription populaire est acquis, et Patrick n’a toujours pas accepté le grand écart de son syndicat. "J’ai été un peu triste de la réponse de Bernard", confie-t-il, assis dans l’austère local du syndicat EDF-GDF de Chalon. Un peu ? Une colère contenue brasille dans les yeux noirs de ce petit-fils de militant antifranquiste. Après vingt-six années dans l’entreprise et autant de militantisme à la CGT, c’est son "idéalisme" qui est meurtri.

"Quand je suis entré à EDF, j’ai pris conscience que mon entreprise avait une histoire, que si l’on avait un statut, c’est que des gens s’étaient mouillé la chemise", raconte Patrick, qui se sent "plus proche de l’ancienne génération et de son esprit de camaraderie qui disparaît". Quand il se range dans "les purs et durs", on retient surtout le mot "purs". Rien de bravache quand il jure : "Moi, on n’achète pas ma conscience." Rien de misérabiliste quand il dit : "Oui, j’aurais peut-être besoin de cet argent si mes deux filles font des études, mais tant pis, je travaillerai."

Il revoit ses camarades "jouer au simulateur" mis à la disposition des agents pour évaluer l’intérêt des cinq formules proposées. "Je ne trempe pas dans l’actionnariat. Je suis de la classe ouvrière, celle qui vit de son travail et pas d’autre chose. Pas de l’argent facile." Il cherche moins à préserver son statut, dit-il, qu’à défendre un bien commun. "Tous les Français sont propriétaires d’EDF. Alors quelle légitimité a l’Etat de vendre ?" Il aurait aimé "un référendum sur EDF et l’avenir énergétique de la France". "Et si la nation avait accepté cette ouverture après avoir entendu tous les sons de cloches, et pas la propagande gouvernementale", il aurait "peut-être" acheté des actions... Ceux qui l’ont fait aujourd’hui restent ses camarades, dit-il sans enthousiasme. "Ils se sont discrédités, juge-t-il, et je ne veux pas qu’ils prennent des responsabilités à la CGT."

L’actionnaire-militant est-il devenu la nouvelle figure du "social-traître" ? Jean-Paul a été embauché à EDF en 1976, et ce militant cégétiste de longue date "hésite". "Ma famille me pousse, confie-t-il, des amis m’ont dit qu’avec la plus-value sur leurs actions Gaz de France ils sont partis une semaine à Agadir." Quand les mauvais génies se font trop pressants, une autre voix lui souffle que devenir actionnaire, "c’est se tirer une balle dans le pied". Qu’acheter des actions aujourd’hui, c’est ouvrir la voie à la rigueur salariale et aux suppressions d’emplois demain. La rigueur n’a pas attendu la privatisation partielle, dit-il, puisque "le centre a perdu 150 emplois en cinq ans et 2,6 millions d’euros d’investissements l’an dernier". Au point qu’"on ne serait plus capable de se mobiliser comme on l’a fait après la tempête de 1999".

Combien de fois les cégétistes rétifs à l’actionnariat salarié n’ont-ils pas entendu cette mise en garde : "Si ce n’est pas toi qui prends le pognon, d’autres le prendront !" Marc l’a aussi entendue. Entré à EDF - et à la CGT - en 1981, il décrit d’abord ses états de services syndicaux. "Je n’ai loupé aucune manif, aucune grève, et je défends le service public." Il a pourtant décidé de prendre des actions, les premières qu’il ait jamais possédées. "Je comprends que certains soulignent une contradiction. Mais c’est comme l’intéressement, la CGT était contre parce qu’elle se battait sur des hausses de salaires. Sauf que 80 % des salariés en ont pris car c’était et ça reste un placement rentable."

C’est "par idéologie" que Marc n’a pas acheté d’actions Gaz de France en juin. Et par intérêt qu’il va prendre du EDF. "La société évolue, on vit dedans, se justifie-t-il. Il n’y a aucune conviction dans ce choix, juste un calcul : en déboursant 1 900 euros, j’ai pour 1 258 euros d’actions gratuites plus l’abondement de l’entreprise." S’est-il transformé en boursicoteur ? "Pour ça, il vaut mieux acheter du Roche avec son Tamiflu", tranche-t-il. Il ne croit pas à la valorisation des actions EDF et s’en débarrassera dès que possible, dit-il, comme on efface le souvenir d’une mauvaise action.

Patrick et Marc regrettent que la CGT n’ait pas appelé les militants à boycotter l’opération. "Parfois, je pense qu’elle est trop démocratique, pas assez directive, dit Marc. Si elle avait donné une consigne, j’aurais sans doute suivi." "La CGT n’a pas à s’immiscer dans la conscience des gens et à imposer quoi que ce soit", insiste Claude Gérard, secrétaire CGT du comité d’entreprise du site de Chalon, où la centrale a recueilli 62 % des voix aux dernières élections professionnelles. "L’actionnariat salarié, ce n’est pas un problème de garantie collective. Mais il n’y a pas beaucoup d’agents qui prennent des actions par conviction", renchérit Maurice Marion, porte-parole de la fédération mine-énergie de la CGT.

A Paris, la CGT s’est battue pour que la part des salariés dans l’augmentation de capital passe de 10 % à 15 %, et elle n’a pas usé du pouvoir que lui donnait sa position d’organisation majoritaire pour rendre nul l’accord sur le fonds en actions des salariés, affirme une source interne à EDF. "Avant d’être un bon placement, l’actionnariat salarié exprime aussi un attachement individuel et collectif fort à l’entreprise, puisque les salariés pourraient en être collectivement le premier actionnaire, après l’Etat, analyse Gilles Gateau, directeur du projet chez EDF. Il a séduit des agents par ailleurs réservés sur l’ouverture du capital." Aucun "militant-actionnaire" ne croit qu’avec 2 % du capital, les agents pèseront bien lourd sur l’avenir d’EDF

le MONDE

Messages

  • C’est lamentable !

    A vouloir caresser le salarié dans le sens du poil, on perd notre identité. Une partie de la CGT accompagne le capitalisme, et perd ses repères.

    Dans ce cas, c’est de l’auto-exploitation imbécile ; le positionnement de la confédération est plus qu’ambigu

    Patrice Bardet, militant CGT

    • Je ne suis pas CGT, ni EDF

      MAIS,

      J’estime que l’actionnariat salarié peut être un réel moyen d’action
      surtout s’il est accompagné de "compagnons de route" retraités ou clients...

      Je suis actionnaire de France Telecom, ma femme y travaille,
      pas pour acheter/vendre, spéculer, mais pour progressivement,
      diminuer le pouvoir des fons de pension et autres capitalistes....

      FRANCIS

  • je ne travaille pas à edf , et j’aime pas trop donner de leçons aux copains dans les toles ,c’est vrai que ce probleme est compliqué , pour moi l’action syndicale juste aurait du consister à conseiller a tous les militants cgt d’acheter des actions , non pas pour faire une plus value , mais pour les garder precieusement , aprés tout il vaut mieux que les actions restent dans leurs mains de travailleurs et de syndicalistes , plutot que dans celles des boursicoteurs , maintenant c’est juste un sentiment et peut etre une grosse connerie que je dis là , j’avoue ne pas trop savoir .
    claude de toulouse .

  • VOLEURS

    Vous achetez une chosse qui nous appartient .

    Vous vous fairez voler vos actions, par les banques dans les années à venir.

    C’est toujours comme ça.

    Un USAGER, pas un client.

    • Rectif du post précédent : N’est pas voleur celui qui achète !
      Par contre faire du profit sur un bien public c’est de l’escroquerie vis à vis de tout consommateur et du contribuable (impôts directs ou indirects) !
      Les gaziers qui engrangent des dividendes pendant que la direction augmente de 12% le tarif du gaz aux usagers doivent se sentir à l’aise en ce moment !
      Est-ce que les petits porteurs s’en sortent toujours aussi bien en se tapant des voyages à Agadir ?
      Acheter des actions dans sa propre entreprise quand on un modeste employé (à contrario d’être dirigeant) n’est-ce pas scier la branche sur laquelle on est assis ?
      A un certain moment il faudra assurément diminuer les effectifs...............si ce n’est pas déjà fait ! (Pourvu que ça ne tombe pas sur des petits actionnaires)
      Les gaziers CGT ont la mémoire courte, rappellez-vous justement France Télécom !
      Je suppose que les syndiqués, même les militants, CGT en ont acheté en connaissance de cause.
      Thibeault n’est pas responsable de leur choix.
      Aucun syndiqués ni militants ne fait voeux de pauvreté pour s’encarter que je sache ? Donc à chacun de décider.
      Un militant CGT cheminot.

    • Post scriptum du post précdent :

      Lire dans l’Huma d’aujourd’hui (aussi sur le site) la très bonne "Tribune libre" de Nikonoff intitulée "N’achetez pas d’actions EDF"