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La grande réforme de la Sécurité sociale n’aura pas lieu

Publie le samedi 12 juillet 2003 par Open-Publishing

 http://www.lemonde.fr/article/0,5987,3224—327269-,00.html

Soulagé d’avoir franchi l’obstacle des retraites, M. Raffarin ne présentera
pas de plan complet pour sauvegarder l’assurance-maladie. M. Mattei doit
aborder ce chantier par tranches, dans le souci de ne pas attiser les
tensions sociales avant les élections du printemps 2004.

La grande réforme de la Sécurité sociale n’aura pas lieu.
Satisfait d’être parvenu à imposer son plan sur les retraites, le gouvernement de Jean-Pierre Raffarin ne s’attaquera pas de front à l’épreuve de l’assurance-maladie, pourtant présentée de longue date comme l’objectif suivant. "Nous
procéderons par étapes", a dit le ministre de la santé, Jean-François
Mattei, mercredi matin 9 juillet devant le groupe UMP de l’Assemblée
nationale. Venant après les déclarations successives de Jacques Chirac, au
congrès de la Mutualité française, puis du premier ministre, qui ont tous
deux inscrit dans la durée la réforme du système de santé, cette confidence
atteste l’intention que le gouvernement s’emploie encore à camoufler - et
que certains parlementaires traduisent ainsi : "Il n’y aura pas de "grand
soir" pour la "Sécu"."

En réalité, les "étapes" de M. Mattei devraient constituer autant de
tranches distinctes dans le vaste chantier du système de santé français.
Dans le souci d’éviter de nouvelles tensions sociales, les dossiers de la
gestion des hôpitaux, des professions de santé, de la maîtrise des dépenses,
de la place des mutuelles et, surtout, du déficit de l’assurance-maladie
seraient traités séparément, selon un calendrier étalé, qui permettrait
d’enjamber les élections - cantonales et régionales - du printemps 2004.

Certes, le déficit de l’assurance- maladie - 6,1 milliards d’euros fin 2002,
10 milliards d’euros attendus fin 2003 - semble bien imposer l’urgence. Le
besoin de financement sur 2002-2003 est comparable à celui des régimes
privés de retraite à l’horizon 2020, dans lequel le gouvernement voyait un
argument décisif pour exiger la réforme. Encore M. Chirac avait-il prédit,
le 12 juin à Toulouse, qu’il faudrait "plusieurs années" pour revenir à un
"équilibre durable".

"J’ai conscience de l’urgence, mais je ne veux pas être sous la pression de
l’urgence", a toutefois assuré M. Raffarin, en marge de sa visite à
Saint-Pétersbourg (Russie), le 29 juin. Il a précisé depuis, dans sa
déclaration de politique générale, prononcée devant les députés le 2
juillet, que la rénovation du système de santé s’effectuerait après "toutes
les négociations nécessaires avec l’ensemble des partenaires"- utilisant
pour la première fois le terme de "négociations", que M. Fillon a toujours
exclu, lui, à propos des retraites.

"TOUT LE MONDE À AFFRONTER"

La consigne est visiblement passée. "C’est une urgence différable, pour
reprendre un terme médical", relève le président de la commission des
affaires sociales de l’Assemblée - et professeur de médecine -, Jean-Michel
Dubernard (UMP, Rhône), précisant, de fait, que "faire quelque chose ne
signifie pas faire une réforme de fond d’un coup". Les députés (UMP)
François Goulard (Morbihan) et Marc Laffineur (Maine-et-Loire) approuvent :
"On ne peut pas régler le problème en une fois par une grande loi."

Au moment où le conflit des intermittents du spectacle perturbe à nouveau le
paysage social, gouvernement et majorité se satisfont d’évidence d’un
calendrier ralenti. "Nous ne sommes pas obligés d’enchaîner tous les projets
sociaux", plaide le député (UMP) de la Drôme Hervé Mariton. Il faudra
"affronter tout le monde", professionnels de la santé et usagers - qu’il
faudra solliciter financièrement -, redoute le député (UDF) de Vendée
Jean-Luc Préel. "Toute mesure qui serait prise rapidement ne peut
qu’entraîner des réactions négatives", assure même le président (UMP) de la
commission des finances de l’Assemblée nationale, Pierre Méhaignerie, pour
qui "l’urgence est à débattre" pour faire ouvre de pédagogie, "comme on l’a
fait sur les retraites" bien avant d’engager une réforme.

"Le problème du gouvernement, c’est qu’il a le projet de loi de finance de
la Sécurité sociale -PLFSS-" pour 2004 à présenter à la rentrée et qu’"il
faudra qu’il prenne à cette occasion quelques mesures", avance un ancien
ministre de la majorité. "On ne peut pas continuer à laisser dériver de 3 à
4 milliards d’euros par an les dépenses d’assurance-maladie", déclare le
député (UDF) de la Marne Charles de Courson. "Si rien n’est fait",
préviennent le député (UMP) du Bas-Rhin, Yves Bur, et Alain Vasselle,
sénateur (UMP) de l’Oise, le déficit 2004 "pourrait dépasser les 14
milliards d’euros" pour l’un et "friser les 20 milliards d’euros" pour
l’autre.

Même s’il prend le temps de la concertation et reporte au lendemain des
élections du printemps 2004 des mesures structurelles sur la "gouvernance"
ou sur un nouveau partage des remboursements entre l’assurance-maladie
obligatoire et les complémentaires, le gouvernement ne pourra pas, à
l’automne, afficher dans le PLFSS une nouvelle aggravation du déficit.
Opposé à l’augmentation des prélèvements obligatoires (un point de CSG
rapporterait pourtant 9 milliards d’euros), il devrait s’en tenir à une
stabilisation du déficit. Quitte à prévoir "quelques recettes de poche"
(hausse des taxes sur le tabac ou sur l’alcool), selon l’expression de M. de
Courson. Un scénario auquel ne croit pas le député (PS) de Paris Jean-Marie
Le Guen, qui s’attend, lui, à "des prélèvements massifs sur les ménages".

Le problème du gouvernement est aussi de parvenir à maîtriser les dépenses.
Il pourrait fixer un Objectif national de dépenses d’assurance-maladie
(Ondam) plus restrictif que celui de 2003 (+ 5,3 %). Un ancien ministre
évoque la poursuite des "déremboursements" de médicaments que M. Mattei a
déjà entrepris. L’idée d’une franchise de 2 à 3 euros par feuille de soins
est aussi avancée. Autant de pistes déjà évoquées par Philippe Séguin,
ministre des affaires sociales du gouvernement Chirac de 1986 à 1988, mais
promptement écartées devant le tollé qu’elles avaient suscité.

Claire Guélaud et Philippe Le Cour

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