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L’Italie fustige le "patriotisme économique" français

Publie le dimanche 26 février 2006 par Open-Publishing

par Crispian Balmer

ROME (Reuters) - Protestation, rancune et envie de vengeance animaient la classe dirigeante italienne dimanche au lendemain de la riposte de la France aux projets d’implantation d’Enel, le géant italien des services aux collectivités, sur le marché hexagonal.

En orchestrant au nom de "l’indépendance stratégique" la fusion entre Suez et Gaz de France, le Premier ministre français, Dominique de Villepin, a barré la route à l’OPA que le groupe italien envisageait sur Suez.

De l’autre côté des Alpes, cette illustration du "patriotisme économique" que le chef du gouvernement français prône depuis l’été conforte le sentiment que les entreprises italiennes sont devenues ces dernières années au mieux des faire-valoir des sociétés françaises.

Dès l’annonce du contre-feu allumé par Paris, la classe politique italienne, mobilisée par l’approche des législatives d’avril prochain, s’est élevée comme un seul homme.

Furieux, le ministre de l’Economie, Giulio Tremonti, a adressé une très sévère mise en garde contre les conséquences de ce "patriotisme économique".

"Nous avons encore du temps pour empêcher les Etats de l’Union européenne d’ériger des barrières nationales. Sinon, nous risquons l’effet d’août 1914", a-t-il déclaré en faisant allusion au déclenchement de la Première Guerre mondiale.

"Personne ne voulait alors la guerre. Aujourd’hui, personne ne veut provoquer le blocage du marché européen", a-t-il ajouté.

Son collègue de l’Industrie, Claudio Scajola, a annulé sa rencontre prévue lundi avec son homologue français, François Loos. Pour le vice-ministre de l’Industrie, Adolfo Urso, il s’agit d’un "nouveau signal épouvantable" que la France envoie à l’Europe après son rejet du traité constitutionnel européenne.

LA RESPONSABILITÉ DE BERLUSCONI

"Les Français ont ignoré les règles les plus élémentaires du marché pour promouvoir leurs intérêts nationaux plutôt que les intérêts européens", dénonce de son côté l’éditorialiste d’Il Sole 24 Ore, le principal quotidien financier d’Italie.

"C’est à l’évidence une décision dangereuse, une politique à courte vue, une politique à court terme qui risque à long terme de pénaliser la France et la construction d’une Europe qui soit réellement intégrée sur le plan économique", ajoute-t-il.

Mais si Paris est la cible de la colère noire de Tremonti, l’opposition italienne réserve une partie de ses flèches au gouvernement de Silvio Berlusconi, accusé d’avoir mené une politique industrielle déficiente.

"Assurément, si nous sommes devenus un pays à vendre, c’est parce que nous avons perdu de notre prestige international, et tel est sans doute l’un des pires legs du gouvernement Berlusconi", estime dimanche l’ancien ministre de l’Economie et figure du centre gauche, Vincenzo Visco, dans La Stampa.

"Il ne fait aucun doute que le gouvernement porte une lourde responsabilité. La stratégie industrielle de Berlusconi a toujours consisté à coller au président américain George Bush et à s’opposer à la France", affirme pour sa part Enrico Letta, porte-parole de l’opposition sur les questions économiques.

RÉCIPROCITÉ DANS LE REFUS ?

Le ressentiment italien est d’autant plus fort qu’il y a moins de douze mois, au terme de quatre années de querelle, les autorités italiennes avaient donné leur feu vert à la prise de contrôle du numéro deux italien de l’électricité, Edison par EDF.

Ulcérés par le blocage des projets d’Enel, certains dirigeants italiens laissent entendre que le gouvernement pourrait limiter les droits de vote d’entreprises étrangères, y compris EDF et Suez, présentes au capital de sociétés italiennes du secteur de l’énergie.

Mario Valducci, sous-secrétaire d’Etat au ministère de l’Industrie, relève ainsi dans le Corriere della Sera "un désir de réimposer une limite de 2% à la propriété étrangère d’entreprises énergétiques nationales".

L’Italie est le premier partenaire commercial de la France au sein de l’Union européenne et les entreprises françaises ont multiplié ces dernières années les acquisitions dans la péninsule. Au début du mois, BNP Paribas a lancé une offre de 9 milliards d’euros sur la Banca Nazionale del Lavoro, la sixième banque italienne par ses actifs.

La semaine dernière, Berlusconi avait indiqué s’être entretenu des ambitions françaises d’Enel avec Villepin et le président français, Jacques Chirac. "J’ai demandé de la réciprocité", avait-il confié.

Ses paroles sont tombées dans les oreilles d’un sourd, comme cela avait été le cas en 2004 lorsqu’Alitalia, sous le coup de la banqueroute, avait été laissée à l’écart de la fusion entre Air France et la compagnie néerlandaise KLM.

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