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Les gaziers dénoncent la fin du service public

Publie le mardi 7 mars 2006 par Open-Publishing

de Frédéric Potet

Ils sont une douzaine, en cette fin d’après-midi dans une salle du centre-ville, à confronter leur moral défaillant après l’annonce, il y a une semaine, du projet de fusion entre Suez et Gaz de France (GDF), qui impose la privatisation de cette dernière. Tous appartiennent au service "exploitation" de GDF. Ils ont entre 29 et 52 ans, sont payés entre 1 200 et 2 100 euros net par mois (astreintes comprises) et travaillent dehors, souvent sous terre.

Agents techniques ou gaziers d’exploitation, leur activité consiste principalement à dépanner les usagers et à entretenir un réseau long de 1 000 kilomètres alimentant 57 communes du département de la Nièvre. Tous sont syndiqués - à la CGT pour la plupart, à FO pour quelques-uns. Et tous ont en commun ce même sentiment de dépit, cette même frustration rentrée. "On nous met devant le fait accompli, c’est lamentable", déplore l’un. "On a l’impression d’être les laissés pour compte", lâche un autre. " Cette fusion, c’est de la privatisation déguisée", s’offusquent-ils tous, à l’unisson.

Le site EDF-GDF de Nevers n’est pas un centre différent des autres. Sinon qu’il se trouve au coeur d’un département rural marqué depuis plusieurs années par la baisse des effectifs dans les services publics. L’opérateur national d’électricité et de gaz y comptait ainsi plus de 500 salariés en 1985. Il en reste moins de 300 aujourd’hui. Au nom de la mutualisation des moyens, Nevers a vu de nombreux services (logistique matériel, assistance informatique, comptabilité...) partir à Lyon, Orléans et Bourg-en-Bresse. D’autres (performance réseaux, service clients...) devront déménager en 2006 vers Dijon, Saint-Etienne, Auxerre et Chalon-sur-Saône.

Les promesses de Jean-François Cirelli, le président de GDF, et de Gérard Mestrallet, PDG de Suez, de créer des emplois à la faveur de la fusion font doucement rire, dans la Nièvre. "On nous supprime en moyenne dix postes chaque année. Je ne vois pas comment on pourrait inverser la tendance alors que tous les exemples de fusion-acquisition que nous connaissons dans le monde entraînent des réductions d’effectifs", s’étonne Frédéric Montaron, le secrétaire départemental de la CGT "maîtrise et cadres" de l’énergie.

Plus que la menace qui pèse sur l’emploi, c’est tout particulièrement la crainte de voir leur métier et leur culture d’entreprise changer que redoutent ces gaziers "de base".

Principale inquiétude : la sécurité. "La maintenance du réseau, ça coûte cher. Si on est privatisé, il est certain qu’on aura moins d’argent pour cela, estime Paul, agent technique. Déjà qu’on nous demande de décaler dans le temps tous les actes de maintenance... Avant, par exemple, on devait vérifier les robinets de réseaux tous les ans ou tous les trois ans selon leur emplacement. Une troisième catégorie a été introduite récemment - un contrôle tous les dix ans - et ce, uniquement pour faire des économies. C’est ce qu’on appelle la politique du risque calculé. Tout cela n’est pas en faveur de la sécurité. Et ce n’est pas la fusion avec Suez qui va améliorer les choses, au contraire." "D’autant, poursuit son voisin, Pascal, qu’on va se retrouver avec une poignée de leaders européens dans le domaine de l’énergie qui vont tous se "tirer la bourre" pour être plus performants." "Les accidents des trains britanniques nous ont montré, il y a quelques années, ce que la concurrence était capable de provoquer en matière de sécurité", s’inquiète Jean-Paul, gazier d’exploitation depuis dix-huit ans.

DES PERSONNELS DÉSABUSÉS

L’autre grand souci des salariés de Gaz de France tient au statut dont ils bénéficient : celui des industries électriques et gazières (IEG), synonyme notamment d’un comité d’entreprise fort et d’un accompagnement social allant de l’embauche jusqu’à la retraite. "L’objectif de la fusion est clair : substituer le statut du gazier par une convention collective. Bref, faire de GDF une boîte comme les autres où on pourra être licencié du jour au lendemain. Il faut aujourd’hui qu’un salarié ait peur de perdre son emploi. J’ai 44 ans et j’ai l’impression que je vais finir ma carrière avec cette crainte qu’on me dise, un matin, que je ne sais plus travailler et qu’il faut que je dégage", s’angoisse Pascal, en expliquant qu’il est entré à GDF "parce qu’il s’agissait d’une belle vitrine" : "Un peu comme si j’avais été pompier, dit-il, j’ai toujours trouvé gratifiant de devoir partir sur une intervention pour dépanner des gens."

Ce "sens du devoir", pour les uns, cette "fibre du service public", pour les autres, nombreux reconnaissent l’avoir de moins en moins. La faute, expliquent-ils, aux vagues de réforme et de restructuration qu’on leur propose depuis plusieurs années et dont la fusion avec Suez est l’ultime épisode. "On a perdu la solidarité avec l’entreprise", regrettent-ils, à l’image d’Arnaud, 30 ans, dont dix de maison : "Il y a quatre ou cinq ans, se souvient-il, on a dû couper le gaz à la moitié des habitants d’Imphy à cause d’un feu de voitures qui s’était déclaré dans la commune. Je n’étais pas d’astreinte ce soir-là, mais on m’a appelé dans la nuit et j’y suis allé car cela me semblait naturel. Je ne suis pas sûr de le refaire aujourd’hui. On est arrivé à un tel niveau de dégoût..."

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