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Faire battre berlusconi le 9 avril. Umberto Eco

Publie le jeudi 9 mars 2006 par Open-Publishing

de Umberto Eco

Nous sommes face à une échéance dramatique. Depuis 2001, l’Italie a dégringolé dans tous les domaines : le respect des lois et de la Constitution, la situation économique, le prestige international. Si nous devions connaître encore cinq ans de gouvernement du Pôle des libertés (la coalition de droite dirigée par Silvio Berlusconi), en étant représentés à la face du monde par des Roberto Calderoli (ministre contraint à la démission pour avoir arboré un t-shirt orné des caricatures de Mahomet, ce qui avait déclenché des émeutes sanglantes en Libye) et par les dernières recrues de Forza Italia, les impénitents du fascisme version Salo, le déclin de notre pays serait inexorable et peut-être définitif.

C’est pourquoi le rendez-vous du 9 avril est différent de toutes les élections que nous avons connues : il s’agissait de choisir qui allait gouverner, sans avoir à redouter un gouvernement qui mette en danger les institutions démocratiques. Cette fois-ci, il s’agit tout simplement de sauver ces institutions. Les partis d’opposition cherchent à attirer les voix des indécis qui avaient voté pour le Pôle et qui se sont sentis trahis. Ils font leur devoir, mais je crois qu’il faut raisonner autrement lorsqu’on s’adresse aux sympathisants de Libertà e Giustizia [site Internet de la gauche libérale fondé par Carlo De Benedetti, éditeur du journal La Repubblica].

Ce ne sont pas les indécis qui ont voté à droite la dernière fois qui représentent le plus grand risque de ces élections (soit ils voteront comme avant par conviction ou par paresse, soit ils s’abstiendront). Je considère que le peuple de Libertà e Giustizia doit s’efforcer plutôt de convaincre les déçus de la gauche.

Nous les connaissons, ils sont nombreux et ce n’est pas ici le lieu de discuter les raisons de leur mécontentement. Mais c’est à eux qu’il convient de rappeler que s’ils se laissent entraîner par ce mécontentement, ils contribueront à laisser l’Italie aux mains de ceux qui l’ont conduite à la ruine. Aucun mécontentement, même tout à fait justifiable, ne peut se comparer à la peur d’une involution fatale de notre démocratie, à l’indignation de tout démocrate sincère devant le massacre qui a été fait des lois, de la séparation des pouvoirs, du sens même de l’Etat. C’est cela que chacun de nous doit répéter à ses amis incertains et déçus. C’est d’eux et de leur engagement que dépendra le fait pour l’Italie d’éviter d’être cinq années de plus un terrain de rapine pour des gens qui ne savent que défendre leurs intérêts privés.

Même si ces amis ont décidé d’exercer leur esprit critique en toute équanimité (c’est un signe d’honnêteté intellectuelle de savoir critiquer son camp), ils doivent pour l’instant sacrifier leurs sentiments et se joindre à nous dans l’effort collectif.

Convaincre, tel est le devoir et la tâche de tous ceux qui ont participé ces dernières années aux discussions citoyennes autour de Libertà e Giustizia. Le navire risque de sombrer. Que chacun regagne son poste.


Umberto Eco, sémiologue, est un romancier internationalement connu. Son appel a déjà été signé par plusieurs personnalités : Gae Aulenti, Giovanni Bachelet, Enzo Biagi, Claudio Magris.

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UMBERTO ECO
Article paru dans l’édition du 10.03.06

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