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Court-circuit dans le secteur de l’énergie

Publie le samedi 11 mars 2006 par Open-Publishing

Mardi 28 février, les patrons de Suez et de Gaz de France ont incisté une nouvelle fois à Paris sur leur complémentarité. Le projet d’offre publique d’achat (OPA) par l’électricien italien Enel sur Suez ainsi que la fusion mise au point entre les deux géants Suez et Gaz de France afin de "se défendre" relancent le débat sur la libéralisation dans le secteur de l’énergie. Une question qui touche particulièrement le plat pays, puisque le numéro un italien de l’électricité convoite surtout les centrales nucléaires exploitées en Belgique par Electrabel, désormais filiale à 100 % de Suez depuis la fin 2005.

Non seulement la libéralisation du secteur électrique n’a pas entrainé de baisse significative sur les prix de l’électricité, mais depuis la libéralisation au niveau de l’Union européenne les monopoles d’Etat comme Gaz de France ou les monopoles privés contrôlés comme Electrabel ont cédé la place à des monopoles, oligopoles et cartels privés incontrôlables au détriment du secteur public et de l’intérêt général, comme le souligne la FGTB. Du côté patronal, on n’étouffe pas d’une contradiction : ainsi Jean-Pierre Hansen, patron d’Electrabel et directeur opérationnel de Suez, prétend que "la constitution de grands acteurs n’est pas antinomique avec la constitution d’un grand marché européen de l’énergie".

Seuls les intérêts financiers sont pris en compte lors des restructurations financières engendrées par l’ouverture du secteur électrique à la concurence. L’intérêt général est ignoré. Ainsi, faute d’investissements nécessaires en moyen de production, on redoute déjà des pénuries d’électricité pour 2008. Sans parler des risques de pertes d’emploi dans ce secteur. Faut-il rappeler que chaque fusion ou acquisition s’est irrémédiablement soldée par une "optimisation" des activités de l’entreprise, comme l’on dit en langage patronal. En clair, les doublons sont supprimés et avec eux les emplois.

La situation écomique actuelle souligne une nouvelle fois une nécessité : parmi tant de ressources vitales pour les habitants et l’économie, l’électricité doit être un secteur public, contrôlé et géré par les citoyens et mis en accès libre et raisonné, indépendant des jeux boursiers et politiques. Il en va de même pour le gaz, comme la crise récente (liée à Gazprom) entre l’Ukraine et la Russie nous l’a rappelé. Cette dernière crise a d’ailleurs pointé la fragilité de l’approvisionnement de l’Europe de l’Ouest.

Dans le dossier Gaz de France - Suez - Electrabel, l’autogestion prend toute sa dimension. Travailleurs et usagers ne doivent plus dépendre du bon vouloir des actionnaires, des intérêts financiers particuliers. Ce qui passe par la collaboration des travailleurs au niveau européen dans ce cas précis, et au niveau international plus généralement (comme dans l’affaire Gazprom). Le "patriotisme économique" (alias "chacun pour soi") est la pire des pestes. D’une part parce qu’il n’est qu’un des visages du nationalisme guerrier d’autre part parce qu’il fait le jeu du patronat en opposant des travailleurs dont les intérêts sont pourtant identiques. Ce patriotisme économique incite à "manger avant d’être mangé" : si l’italien Enel entendait malgré tout lancer son OPA ? "Si Enel ou quiconque attaque, on se défend...", a lâché Gérard Mestrallet, patron de Suez. On ne peut plus clair...

Le président français Jacques Chirac lui-même a fait savoir à Rome que l’OPA d’Enel serait interprétée comme une agression. Pourtant lorsque EDF est devenu numéro deux de l’électricité en Italie après sa prise de contrôle de 50% d’Edison en 2005, les réactions françaises n’ont bien entendu pas été les mêmes... C’est la logique de cette guerre économique : "conquérir et ne pas céder". Aujourd’hui,les rachats d’entreprises étrangères par des groupes français, par exemple, ont progressé de 157,4% en 2005 (pour un montant de 60,6 milliards d’euros) tandis que les opérations étrangères sur des entreprises françaises ont baissé de 44% (à 25,4 milliards d’euros).

Collaboration des travailleurs !

La collaboration des travailleurs peut prendre forme à travers celle des syndicats actuels. Qui devraient être à même de proposer et de mettre en oeuvre des mesures d’intérêt général, qu’il s’agisse des conditions sociales, d’approvisionnement, d’utilisation rationnelle de l’énergie ou encore des tarifs. Objectif : la maîtrise publique internationale, ou plus précisément l’autogestion internationale.

Autre raison de réclamer l’autogestion pleine et entière : l’absence totale de transparence depuis la libéralisation. Il suffit de citer le secret dans lequel est tenue la convention entre l’Etat belge et Suez-Electrabel signée lors de l’OPA de Suez sur Electrabel.

La libéralisation du secteur électrique et l’absence de politique énergétique au niveau de l’Union Européenne rendent impossible toute politique d’utilisation rationnelle de l’énergie. L’on s’éloigne à grands pas du développement durable et donc de toute diminution de la consommation d’énergie. Pourtant nécessaire, si nous souhaitons que la Terre puisse tourner rond.

Nous exigeons avec la FGTB "un contrôle public rigoureux du fonds de provision pour le démantèlement des centrales nucléaires, constitué par la collectivité des consommateurs belges d’électricité" et "le financement par les producteurs historiques de mesures sociales et d’utilisation rationnelle de l’énergie au profit des consommateurs belges qui doivent ainsi bénéficier de factures d’électricité plus basses qu’actuellement".

Hertje, pour A voix autre, bulletin du groupe bruxellois de la Fédération anarchiste.

Sources :

Communiqué de presse de la FGTB
Le Monde du 25 février 2006
L’Humanité du 28 février 2006
Le Soir du 1er mars 2006