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Venezuela : La pétro-révolution d’Hugo Chávez suscite des résistances, par Alain Cassani.

Publie le samedi 18 mars 2006 par Open-Publishing
4 commentaires

16 mars 2006

Le Courrier, Alain Cassani, de retour de Venezuela, samedi 11 Mars 2006.

Pilier des politiques sociales au Venezuela, l’exploitation des ressources énergétiques ne fait pas que des heureux. Une contradiction exposée en janvier dernier lors du Forum social mondial de Caracas.

Venezuela, Brésil, Argentine, Uruguay, Bolivie... à l’heure où une majorité de pays d’Amérique du Sud bascule à gauche, que le projet d’Accord de libre-commerce des Amériques (ALCA) semble « enterré », se pose la question du modèle de développement énergétique choisi par ce nouvel ensemble. Le socialisme latino-américain émergeant peut-il révolutionner sa politique d’exploitation des ressources naturelles non-renouvelables ? Va-t-il prendre en compte les peuples originaires, victimes depuis la colonisation de l’extraction des richesses minières sur leurs terres ? La question ne pouvait échapper au dernier Forum social mondial (FSM) qui s’est déroulé en janvier à Caracas, capitale du Venezuela « révolutionnaire, socialiste et bolivarien ».

Car malgré une rhétorique emphatique sur l’environnement, le réchauffement climatique, et les droits des peuples amérindiens, le président vénézuélien Hugo Chávez continue de prôner le développement à marche forcée et avec l’aide d’une cohorte de multinationales de toute une infrastructure d’extraction et de drainage des ressources naturelles en zones écologiquement et socialement sensibles. C’est en tout cas ce qui ressort des ateliers organisés par le réseau Oilwatch [1], lors du forum.

« Le même modèle »

Présentation de diapositives à l’appui, la professeure Alicia Garcia fait un inventaire des projets d’extraction de ressources naturelles du gouvernement : oléoducs géants, nouveaux forages pétroliers dans le bassin de l’Orénoque, creusement d’un canal jusqu’à l’Amazone voire au río Plata, projets d’extraction du charbon, édification d’une ligne à haute tension, le Venezuela joue plus que jamais la carte énergétique. Superposant les tracés de ces projets sur des cartes, Alicia Garcia souligne que cette infrastructure se calque sur le développement antérieur... « Chavez a continué le même modèle politique en reprenant tous les projets antérieurs, (...) Son projet n’est pas l’ALBA (l’alternative bolivarienne d’intégration latino-américaine, ndlr), mais bien l’IIRSA (Intégration de l’infrastructure régionale en Amérique du Sud), qui est un projet privatisateur ouvrant la porte à l’ALCA », s’insurge Mme Garcia. « Ce modèle n’a pas été changé ni par Lula, ni par Kirchner, ni par Chávez, et c’est pour cela que nous réclamons une vaste consultation populaire », poursuit-elle.

Talon d’Achille écologique

Si le gouvernement de M. Chávez encourage effectivement la participation populaire au niveau microéconomique (coopératives, médias populaires, etc.), il en va tout autrement à ce niveau, selon le professeur Lusbi Portillo, anthropologue à l’Université de Zulia et responsable de l’association Homo y Natura : « D’amples secteurs de la population vénézuélienne ignorent les enjeux de cette stratégie énergétique de l’IIRSA. Le gouvernement n’a pas convoqué, devant une décision aussi transcendantale pour la vie du pays, de débat sur le sujet, même pas à l’assemblée nationale ni dans les universités, pour ne parler que des espaces traditionnels de discussions ; les émissions dominicales « Allo presidente » [2] ne suffisent pas pour construire une démocratie participative et souveraine », grince M. Portillo.

Pour le militant d’Homo y Natura, « cette révolution a un talon d’Achille : l’écologie ». Pour extraire le précieux combustible, le gouvernement doit mettre en danger forêts, fleuves et lacs, souvent situés en terres indigènes. A l’instigation des peuples Wayuu, Bari et Yukpa, de la Sierra de Perrija, à la frontière colombienne, une marche de protestation l’a rappelé dans les rues de Caracas durant le FSM. 

Pro et anti-Chávez

Ralliés sous la bannière « Non au charbon, pour la défense des fleuves et des terres indigènes », de nombreux groupes se sont joints à cette manifestation inclassable dans un Venezuela très polarisé entre les pro et les anti-Chávez. Elle a ainsi rassemblé des organisations paysannes pro et anti-Chávez, des groupes écologistes, des associations de « sans toits » urbains, des mouvements libertaires, des réseaux de médias communautaires - promus par le président, mais critiquant un dévoiement de la révolution par la bureaucratie, la corruption et les intérêts des multinationales - le tout soutenus par de nombreux délégués étrangers participant au forum.

Venu depuis sa communauté isolée avec une importante délégation de son peuple, le Yupka Jésus Teran, a témoigné de l’impact de l’exploitation carbonifère : « Quand l’exploitation commence, le fleuve s’assèche, et tous les animaux qu’il y a dans la montagne meurent, a raconté le jeune représentant. Ces terres où l’on vit, pêche, cultive, sont tout ce qui nous reste. » Les émissaires yupkas ont également réclamé « que le président Chávez nous octroie le titre collectif de propriété afin que nous puissions mettre en route des projets productifs qui puissent répondre aux besoins de la communauté ».

Rapport critique

Lusbi Portillo, qui a été à la base de la résistance à l’exploitation du charbon, rappelle qu’une première marche sur le palais présidentiel, en mars 2005, avait permis la formation d’une commission du Ministère de l’environnement chargée de répertorier les impacts de l’extraction du charbon sur le fleuve Guasare. Mais malgré les conclusion négatives de ce rapport (notamment en terme de perte d’eau potable pour une région de plusieurs millions d’habitants), le gouvernement n’a pas encore réagi. Les opposants craignent que ce silence n’annonce l’imminente mise en place d’une infrastructure visant à ouvrir de nouvelles mines sur les derniers fleuves intacts de la région de Maracaibo, conformément aux accords passés avec des compagnies nord-américaine, hollandaise et brésilienne.

LE DERNIER ESPOIR DES WAYUUS

Au bout de la route goudronnée, quelques bâtisses où l’on vient acheter ou vendre des fruits, légumes, fromages, produits de la ville... à quelques heures de Maracaibo, capitale torride du pétrole vénézuélien, « El Paradiso » est l’entrée en territoire indigène wayuu. Ici, la végétation tropicale encore bien conservée vient tempérer la touffeur du trajet, et notre délégation improvisée à partir du Forum social de Caracas a le plaisir de pouvoir se rafraîchir dans le fleuve Socuy, dans un cadre encore idyllique, mais pour combien de temps ?

Depuis que d’importants gisements de charbon ont été découverts le long de son lit, les communautés wayuus attendent anxieusement une décision gouvernementale qui donnerait le feu vert à l’exploitation minière. Elles n’auraient alors plus qu’à plier bagage, risquant la dissolution dans la misère des barrios de Maracaibo... Les habitants du Socuy pressentent bien qu’ils jouent là leur dernière carte, certains d’entre eux ayant déjà vécu le déplacement forcé du fleuve Guasaré tout proche, maintenant accaparé par les mines et en grande partie détruit et pollué.

Des représentants des communautés se rassemblent pour nous faire part de leurs doléances, ainsi que de leur détermination à résister à l’expulsion. Ils n’accepteront aucune compensation financière, qui ne pourra jamais remplacer un territoire pour perpétuer la vie communautaire des générations futures. Puis sont étalés sous nos yeux des restes de céramiques et objets usuels retrouvés sur ces terres, démontrant par là leur présence ancestrale en ces lieux.

A la sortie du territoire, nos hôtes nous montrent encore l’école wayuu, dont les murs ont été entièrement peints avec les enfants, et où l’on peut voir des animaux se demandant ce qui se passerait en cas d’exploitation du charbon. « Nous resterions sans eau, sans forêt et sans logis », répondent un papillon, un poisson et un oiseau.

Les promoteurs wayuus de cette école nous informent que les compagnies du charbon proposent de refaire cette peinture à la gloire du progrès charbonnier, tandis que le mouvement chaviste des écoles bolivariennes souhaiterait simplement effacer ces dessins au profit d’une peinture aux couleurs du drapeau national !

Malgré l’enjeu majeur que représente l’eau potable pour la ville voisine Maracaibo, la population urbaine ne semble pas très concernée par la résistance des indigènes. Rien d’anormal, explique Ruth, médiactiviste de l’ANMCLA, le réseau de radios communautaires qui a pris fait et cause pour les problèmes environnementaux et indigènes : « Ici, le financement de la presse n’est pas assuré en premier lieu par la publicité, mais directement par le paiement de mensualités par les entreprises elles mêmes ! Dès lors, il devient évident que les journaux ne reflètent la réalité que selon les vues de leurs clients - qui sont ici tous impliqués dans le négoce du charbon. » Le principal quotidien local ne manquera pas de confirmer ces propos. Après notre visite, il relatera une manifestation de mineurs dénonçant la présence dans la région de « pseudo écologistes venus du Forum social » qui seraient, en fait, à la solde d’entreprises minières colombiennes concurrentes.

Repères

Manne pétrolière :

 En 2005, la société publique pétrolière PDVSA a versé 22,7 milliards de dollars au budget de l’Etat. En outre, 4,4 milliards sont allés directement aux « missions » sociales (éducation, soins, alimentation, réinsertion...) destinées au 70% de Vénézuéliens vivant sous le seuil de pauvreté. Secteur privé compris, le pétrole rapporte 75% des recettes fiscales du pays.

Atout diplomatique :

 Hugo Chávez a fait du secteur énergétique le pilier de son projet d’intégration latino-américaine. Des accords ont notamment été passés avec le Brésil, l’Argentine, l’Uruguay, Cuba, la Jamaïque et la Bolivie. Plus largement, Caracas se profile comme le leader de la coopération Sud-Sud. Si les USA continuent d’acheter une bonne part de son or noir, le Venezuela s’est beaucoup rapproché de l’Inde et de la Chine.

Alain Cassani en collaboration avec Benito Perez

Trois questions à... Olivier de Marcellus, militant de l’APCM

Le militant genevois de l’Action populaire contre la mondialisation [3] était à Caracas pour le Forum social mondial alternatif. Il dresse un portrait de ces organisations de base qui apportent un appui parfois très critique à un processus bolivarien construit « d’en haut ».

Le Venezuela est très polarisé entre pro et anti-Chávez. Y a-t-il un espace pour un mouvement social autonome, critique mais progressiste ?

 Le chavisme était d’abord une révolution d’en haut. Elle a eu le mérite de déclencher (et de tolérer) une autre, depuis en bas. Entre les deux, il y a des tensions, des contradictions... et une couche épaisse de bureaucratie, d’opportunisme, de corruption et de clientélisme endémique. Toute l’inertie d’une société. Un réseau important de mouvements populaires soutient Chávez, mais de manière très critique : organisations de quartier (5000 sont organisées en Comités de Tierra Urbana), réseau national de radios libres (ANMCLA), mouvement paysan indépendant (Frente Nacional Campesino Ezequiel Zamora), organisations écologistes et indigènes. Tout en reconnaissant les acquis sociaux énormes, ils dénoncent les dérives, et veulent pousser la révolution jusqu’à une remise en question du modèle de développement et de société.

Cette fracture suit-elle une ligne idéologique ou est-ce une réaction à la bureaucratisation du pouvoir ?

 La ligne de ces mouvements, c’est le « pouvoir populaire », et une saine méfiance par rapport à l’Etat et la délégation. Ce contrôle par les bases, à partir du territoire, quartier ou communauté, prétend aussi sortir du local pour s’affirmer sur le plan national. Cela rappelle fortement la Bolivie (où la « guerre du gaz » a été lancée par l’assemblée populaire d’une ville), l’Argentine et les zapatistes (souvent cités à présent dans tous ces pays). De plus, les luttes partielles (quartiers, radios, paysans, écolos, etc.) se sont alliées. Par exemple, elles ont organisé une grande manifestation contre les mines de charbon pendant le Forum (lire ci-dessus). Enfin, elles visent à s’affirmer progressivement sur plusieurs fronts. Les radios de l’ANMCLA se sentent aussi concernées par « la production, la vie sociale, la défense », d’où leur slogan : « No somos medios, somos completos » [4]. De même, les barrios (quartiers, sous-entendu populaires et organisés, ndlr) dépassent la question du logement avec des projets de production, d’éducation, de jardins potagers, de radios ou TV, etc., prenant ainsi au sérieux les propositions de « développement endogène » de Chávez. Ils parlent d’« auto-gouvernement », de « reconstruire la république à partir du territoire ».

On a vu les résistances sur les questions environnementales, quelles autres luttes opposent ces mouvements à l’Etat ?

 Les paysans dénoncent les lenteurs et détournements de la reforme agraire, l’impunité des éleveurs qui ont assassiné (Chávez lui-même l’admet) plus de 150 militants paysans ; les mineurs artisanaux, la trahison des accords avec le gouvernement au profit des transnationales. Radios et barrios dénoncent la bureaucratisation, la corruption renaissante, les détournements de la loi sur les coopératives. Surtout, ils posent deux questions fondamentales pour l’Amérique latine (et pour nous !) : les régimes de gauche reprendront-ils les plans de « développement » (lire exploitation) à tout crin du néolibéralisme avec une dose de social en plus ? Dans ses nouvelles formes, le pouvoir populaire sera-t-il enfin assez fort pour permettre - voire obliger - les dirigeants à garder le cap, malgré les raisons d’Etat et d’Empire ?

Propos recueillis par Benito Perez.

Source : Le Courrier www.lecourrier.ch

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Messages

  • L’exploitation des ressources énergétiques cessera le faire débat quand la région pétrolifère aura fait sécession avec la bénédiction (et probablement plus) des USA.
    Après, on pourra sans état d’âmes soutenir inconditionnellement ce qui restera de l’espoir venezuélien.
    Les victimes doivent rester ou redevenir victimes pour mériter notre compassion.

    C’est une variante du choeur des pleureuses autour du cercueil.
    MC

    • MC,

      Propos surprenants....

      La révolution venezuelienne n’a pas besoin de génuflexeurs béas, mais d’un soutien les yeux ouverts.
      Et ce n’est pas d’assentiements en coeur pour n’importe quel acte de Chavez dont les peuples venezueliens ont besoin.

      Des contradictions agitent le processus en cours dans ce pays.

      Le renforcement de ce processus passera par une progression des processus d’auto-organisation et d’auto-gestion, de respect des fonctionements démocratiques des coopératives...

      Les batailles pour la liberté du Venezuela face aux ingerences des USA ne peuvent se faire par des processus qui broient une partie des populations pauvres, qui détruisent leur environement pour très longtemps.

      Les deux précedents éléments sont indissociables du combat des peuples de ce pays.

      Merci pour l’article. Même si tout est à prendre avec le recul necessaire.

      Copas

    • Cher COPAS , prend date et conserve bien cet article , garde aussi celui sur le projet de secession de la province du Zulia , quand Chavez reagira lui et son peuple , tu ne viendras pas j’espere nous sortir les memes raisonnements que sur le Kosovo.
      La nous ne sommes plus dans de l’"analyse" de l’histoire , mais dans un acte politique preventif .
      garde bien ces articles , tu pourras en reparler dans quelque temps .
      claude de toulouse .

    • Il n’y a plus de débats avec un tel raisonnement tordu où les victimes sont transformées en coupables, où les principaux combattants, quand ils desirent que le processus révolutionnaire soit respecté, sont soupçonnés d’être traîtres et séparatistes.....

      A écouter ton genre de propos je conçois que les manipulateurs de Washington boivent du petit lait.

      Le respect des travailleurs, des peuples, le respect de d’auto-organisation des travailleurs, le respect de l’environement et de l’écologie indispensables au développement, ne constituent nullement une atteinte au processus révolutionnaire comme tu sembles le croire, mais bien au contraire une poussée en avant, un élargissement de la révolution, un enracinement de son assise.

      Les comportements autoritaires, les agressions, ne doivent pas se faire contre la seule légitimité qui existe à un processus révolutionnaire.
      Si la révolution se trouve affaiblie par des comportements autoritaires contre les travailleurs et les peuples indigenes, la faute n’en revient pas aux victimes qui n’ont d’autres choix que de résister.

      La révolution venezuelienne se joue sur ces terrains.
      Et il est délirant que des propos biaisés et menaçants se fassent contre un processus populaire à l’oeuvre .
      Avec de tels comportements, evidemment, si ceux-ci étaient adoptés massivement par Chavez , la révolution n’en aurait plus pour longtemps.

      Les batailles sur les orientations à mener doivent se construire avec les plus larges débats possibles, la défense basique et élementaire des populations, des avancées des travailleurs, et pas sur des comportements de soumission à des "chefs éclairés" , des comportements caporalisés.

      En accueillant un des Forums Sociaux Mondiaux à Caracas, le gouvernement cherchait certes un soutien mondial à la bataille du peuple venezuelien (que nous devons donner) mais également débattre et échanger des experiences.

      La révolution venezuelienne n’est pas une chapelle.

      Copas