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Loi DADVSI : avancées et reculs historiques

Publie le jeudi 23 mars 2006 par Open-Publishing

Après le coup de théâtre de la nuit du 16 mars, qui a mis la dernière touche aux débats des députés sur la loi DADVSI, les associations du logiciel libre s’interrogent sur le texte contrasté et incertain qui en résulte. A côté d’avancées tardives mais claires en ce qui concerne le logiciel libre et la concurrence, on peut s’interroger sur l’insécurité juridique créée pour l’ensemble des professions du logiciel, résultant principalement d’une distanciation de la loi qui interpose de plus en plus ouvertement le logiciel comme fusible de la légalité des actes et de la responsabilité des citoyens.

Les associations du logiciel libre saluent le courage politique des députés de toutes tendances qui ont défendu et promu le logiciel libre, l’interopérabilité et la concurrence, fondements de l’innovation, de l’efficacité économique et de la liberté des consommateurs et des citoyens dans la société de l’information. Ceci est d’autant plus important, dans le contexte de cette loi, que cette ouverture et cette concurrence sont des conditions incontournables de l’adaptation de la création culturelle au monde de l’Internet et de l’émergence de nouveaux modèles économiques dans l’intérêt des créateurs et du public.

L’article 7, tel que voté in extremis en deuxième délibération, a permis ces avancées et cette reconnaissance du logiciel libre qui, comme le prévoyait en ouverture le ministre de la culture, donnent un caractère historique au débat.

Il n’en reste pas moins que ce texte est profondément critiquable par le rôle d’intermédiaire, voire de fusible, qu’il fait jouer au logiciel dans l’exercice de la loi, affaiblissant le rôle du législateur, de la loi et même des contrats, et déresponsabilisant les citoyens. Incriminer le logiciel, l’outil et non l’usage qui en est fait, constitue une grave dérive de la loi au détriment du principe de responsabilité.

Le concept même de Mesure Technique de Protection (MTP), bien que demandé par la directive européenne, est fondamentalement un recul de la loi et des contrats. Les échanges entre les créateurs et le public ne sont plus définis de façon explicite, lisible et certaine, mais par ce que permet ou interdit la structure logicielle peu déchiffrable des MTP, dont rien ne garantit qu’elle n’évolue pas. À cet égard, les circularités entre les articles 7, 13 et 14 de la loi rendent plus qu’incertaine la légalité de réalisations logicielles innovantes accédant aux oeuvres. On ne pourra donc faire l’économie d’une délimitation légale et contractuelle du champ de la protection légale des MTP, définissant du même coup ce qui est ou non licite.

Encore plus graves et dangereux sont les amendements 150 et 267, dits amendements Vivendi-Universal, devenus les articles 12 bis et 14 quater du texte final, dont les dispositions ne sont aucunement requises par la directive européenne. En faisant porter sur les logiciels et leurs créateurs la responsabilité des actes illicites des utilisateurs de ces logiciels, moyennant une interprétation toujours incertaine de l’adverbe “manifestement”, on crée une insécurité juridique pour tous les auteurs de logiciels. Cette insécurité est toujours plus nocive pour les structures les plus fragiles, PME et logiciels libres, qui sont généralement aussi les plus efficaces et les plus innovantes. Elle menace directement tous les créateurs de logiciels de communications, dont les navigateurs, ainsi que les logiciels multimédia. Cette criminalisation du logiciel à seule fin de déresponsabiliser le public nous apparaît malsaine, alors que d’autres équilibres plus républicains sont !
possibles, sans recourir nécessairement à des politiques répressives.

Par ailleurs, bien que cela ne concerne pas directement le logiciel libre, nous ne pouvons passer sous silence que ce texte est un recul majeur du droit à la copie privée, alors même que les supports de l’information sont de moins en moins pérennes, logiquement et physiquement. Cela porte manifestement atteinte au droit de chacun de préserver les oeuvres acquises, et de les transférer sur de nouveaux médias.

Enfin, sachant que les MTP sont intrinsèquement contournables, elles seront d’un faible apport dans la lutte contre les téléchargements illicites. Mais par leur effet de nuisance sur les utilisateurs respectueux des règles, elles encourageront ces comportements illicites. Il ne faudrait pas que cette incohérence politique, sous prétexte d’une aggravation qu’elle aurait elle-même causée, nous conduise à la mise en oeuvre de solutions totalitaires de contrôle des infrastructures matérielles, comme ce que propose Microsoft et le Trusted Computing Group, dont le récent rapport parlementaire du député Pierre Lasbordes nous dit que cela menacerait la souveraineté de l’État.

En dépit de ses réelles avancées, le texte en l’état souffre d’incohérences, laisse de graves questions en suspens, et instaure de dangereux et inacceptables précédents sur la responsabilité juridique des logiciels. Prendre le temps de la réflexion s’impose donc plus que jamais.

SCIDERALLE, Mozilla Europe, CETRIL, AFUL et ADDULACT