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Argentine. Le rôle du Vatican. Les liens obscurs des militaires avec l’ "église noire" de Bergoglio

Publie le jeudi 30 mars 2006 par Open-Publishing
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de HORACIO VERBITSKY traduit de l’italien par Marie-Ange Patrizio

La première édition de ce livre, à laquelle j’ai travaillé pendant plus de quinze ans, a été éditée à Buenos Aires en février 2005, quand le pape Jean Paul II, qui mourut ensuite le 2 avril, était hospitalisé à Rome. Selon les quotidiens italiens, le cardinal argentin Jorge Bergoglio fut le seul adversaire sérieux de l’allemand Ratzinger, qui fut élu le 19 avril et prit le nom de Benedetto XVI. En ces mêmes jours, exactement, l’Aumônier général de l’armée, de Buenos-Aires, déclara que le ministre argentin de la santé méritait d’être jeté à la mer avec une pierre de moulin au cou pour avoir distribué des préservatifs et s’être exprimé en faveur de la dépénalisation de l’avortement. (...)

Quand l’évêque Baseotto attacha la pierre (biblique) de moulin au cou ministériel, le président Nestor Kirchner invita le Vatican à désigner un nouveau titulaire pour le diocèse militaire. Quand le Nonce apostolique communiqua qu’il n’y avait pas de raison de le faire, le gouvernement révoqua son assentiment donné à la nomination de Baseotto et le priva de ses émoluments de Secrétaire d’état pour avoir revendiqué des méthodes de la dictature. Le Vatican désavoua et « l’interprétation qu’on a voulu donner à la citation évangélique », et l’autorité présidentielle de révoquer la désignation de l’Aumônier général.

Des motifs de douter que Baseotto ait choisi en toute ingénuité une citation biblique concernant les personnes jetées en mer, il y en a en abondance. Son premier acte de Vicaire fut la visite à la Cour suprême de Justice devant laquelle il soutint la nécessité de clore les procès relatifs à la sale époque des militaires contre la société argentine. Son secrétaire général à l’Aumônerie générale des armées (le même emploi qu’occupait en 1976 Emilio Grasselli) est le prêtre Angel Zanchetta, qui fut aumônier de la Esma (L’Ecole de mécanique de la Marine, à Buenos Aires, d’où disparurent, torturés et assassinés, plusieurs milliers de disparecidos, ndt) dans les années de dictature, et dont la connaissance détaillée de ce qui se passait là est prouvée. (...) Après avoir lancé une polémique publique par ses paroles, Baseotto fit référence aux vols comme un des « faits advenus, d’après ce qu’on dit, pendant la fameuse dictature militaire ». Aucun membre de l’Episcopat ne dit mot ensuite sur cette phrase provocatrice, parce que l’Eglise argentine continua à se retrancher dans son îlot de silence.

Bergoglio répondit au livre à travers son porte-parole officiel, le père Guillermo Marco. Il déclara avoir sauvé la vie des prêtres Orlando Yorio et Francisco Jalics et que toute affirmation contraire constituait une infamie. (...) Pour discréditer mon enquête, il déclara que Yorio ne pouvait pas réfuter ce qui était dans le livre parce qu’il était mort, que ma source concernant Jalics était anonyme et qu’il existait une photo d’une rencontre amicale entre le prêtre hongrois et Bergoglio pendant une visite de Jalics à Buenos-Aires. (...) Ni Bergoglio, ni ses proches, n’ont dit mot sur la preuve irréfutable de duplicité dont l’accusent Yorio et Jalics. Yorio était encore vivant quand j’ai publié la première interview dans laquelle il accuse Bergoglio, en 1999. Loin de me démentir, il m’envoya quelques lignes intitulées « Merci » et nous restâmes en contact jusqu’à sa mort. (...) Fils d’un propriétaire terrien et officier de l’armée hongroise, Jalics dit dans Ejercicios de Contemplacio que son père mourut empoisonné au siège de la police politique communiste, mais que sa mère lui apprit à ne pas haïr, si bien que « j’appris ce que signifie la réconciliation ».

Dans le récit de sa séquestration il raconte : « Beaucoup de gens qui avaient des convictions d’extrême-droite ne voyaient pas d’un bon oil notre présence dans les bidonvilles. Ils interprétaient le fait qu’on vivait là comme un appui à la guérilla et voulurent nous dénoncer comme terroristes. Nous connaissions la source et le responsable de ces calomnies. Si bien que j’allai parler avec la personne en question et je lui expliquai qu’il était en train de jouer avec nos vies. L’homme me promit de faire savoir tout de suite aux militaires que nous n’étions pas des terroristes. Par des déclarations faites postérieurement par un officier et trente documents auxquels j’eu accès par la suite, nous pûmes vérifier sans l’ombre d’un doute que cet homme n’avait pas tenu sa promesse et qu’il avait, au contraire, présenté une dénonciation fausse aux militaires ». Pendant les cinq mois de sa séquestration, sa colère était plus dirigée contre « l’homme qui avait fait cette fausse dénonciation contre nous » que contre ses geôliers.

Cet homme c’est Bergoglio. Son identité est dévoilée dans une lettre que Yorio écrit de Rome, le 24 novembre 1977, à l’assistant général de la Compagnie de Jésus, le père Moura. Les frères et les neveux de Yorio m’en donnèrent une copie en signe de gratitude pour la publication du livre. « Etant donné la persistance des voix sur ma participation à la guérilla, le père Jalics a de nouveau affronté la question avec le père Bergoglio. Le père Bergoglio a reconnu la gravité du fait et s’est engagé à mettre un frein à ces voix dans la Compagnie et de faire diligence pour en parler aux personnes des Forces Armées pour témoigner de notre innocence » dit-il. Mais comme « le supérieur Provincial ne faisait rien pour nous défendre nous avons commencé à douter de son honnêteté ». (...) Dans notre échange de lettres, Yorio me fournit une description de la duplicité de son ex Provincial, qui coïncide avec celle qui émane des documents que je découvris des années plus tard dans les archives du ministère des Affaires étrangères argentin.

Dans le climat de peur et de délation instauré à l’intérieur de l’Eglise et de la société, les prêtres qui travaillaient avec les pauvres « étaient diabolisés, regardés avec suspicion à l’intérieur de nos propres institutions et accusés de subvertir l’ordre social ». Dans ce contexte, « ils pouvaient nous concéder en secret l’autorisation de dire la messe en privé, mais ils ne nous délivraient pas de l’interdiction et de l’infamie publique de ne pas pourvoir exercer notre sacerdoce, donnant ainsi aux forces de répression le prétexte pour nous faire disparaître ». (...) La liberté retrouvée, Jalics voyagea aux Etats-Unis puis en Allemagne. Malgré la distance, « les mensonges, les calomnies et les actions injustes ne cessaient pas ». (...) Nombre de personnes liées à l’Eglise et à la Compagnie de Jésus me firent parvenir des informations supplémentaires et confirmatives. L’un d’eux est le prêtre irlandais Patrick Rice, qui était le supérieur en 1976 de la Communauté des petits frères en Argentine.

Séquestré vers la fin de cette année là à Buenos-Aires, il fut cagoulé et interrogé sans trêve ; on lui brûla le visage et les mains à la cigarette et lui fit ingérer de l’eau et de l’air sous pression jusqu’aux limites de sa résistance. D’autres prêtres de sa confraternité sont encore desaparecidos mais Rice réussit à s’échapper avec l’aide du gouvernement irlandais et voyagea dans le monde entier pour dénoncer la situation en Argentine. En 1979, il apprit que Massera, qui avait désormais démissionné de la Marine et engagé son activité politique, allait participer à un séminaire organisé à l’Université de Georgetown, à Washington, par deux universitaires qui ont joué ensuite des rôles de premier plan dans le gouvernement de Reagan : Jeanne Kirkpatrick et Eliot Abrahmas. Pendant que Massera tenait sa lectio magistralis, Rice et un prêtre nord-américain l’interrompirent par des questions sur la répression d’évêques, sours, prêtres et laïcs chrétiens. Massera n’arriva plus à continuer et quitta l’amphit

*Ce texte est « l’épilogue » du livre de Horacio Verbitsky, L’isola del silenzio, publié en Italie par Fandango libri, qui sera en librairie le 30 mars prochain.

Edition de vendredi 24 mars 2006 de il manifesto

http://www.ilmanifesto.it/Quotidiano-archivio/24-Marzo-2006/art82.html

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  • et en france

    CPE : L’archevêque de Paris appelle les jeunes à ne pas se contenter du "petit bonheur" d’un CDI

    PARIS (AP) - Face à "l’inquiétude" qu’expriment les jeunes confrontés au contrat première embauche (CPE), l’archevêque de Paris Mgr André Vingt-Trois a appelé dimanche les étudiants en pèlerinage à Chartres (Eure-et-Loir) à ne pas se contenter du "petit bonheur mesurable par les sécurités du contrat social".

    "Je ne sais pas si le CPE est le meilleur ou le pire moyen pour vous aider à entrer dans la vie active des entreprises", a dit l’archevêque. Mais il a appelé les étudiants chrétiens à dépasser le "petit bonheur mesurable par les sécurités du contrat social, (...) le bonheur d’un CDI ou d’une profession protégée" pour atteindre "le bonheur réel et profond qui donne la joie d’être au monde et de vivre".
    Mgr Vingt-Trois, dans une apparente allusion à certaines dérives du mouvement étudiant contre le CPE, a par ailleurs dénoncé "l’intimidation, le vote forcé, les décisions enlevées à l’arraché, la destruction des outils intellectuels, livres et instruments de travail".

    Et d’ajouter : "Quand on me dit que les A.G. sont manipulées et les décisions arrachées par des minorités d’influence, je me demande si on n’abandonne pas le terrain en laissant dépérir les organisations démocratiques".

    "Tout cela a fonctionné en Europe au XXe siècle, en Allemagne et en Russie", a-t-il noté. "Notre démocratie devrait avoir honte de voir resurgir en son sein les fantômes des totalitarismes." AP