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LE CAÏMAN

Publie le vendredi 14 avril 2006 par Open-Publishing

de Enrico Campofreda traduit de l’italien par karl&rosa

Peu importe que vous votiez pour ou contre le Caïman, Silvio Berlusconi, dans la métaphore de Moretti. Lui, il est là, il a marqué une période de l’histoire politico - criminelle - économique de ces dernières années et, hélas, il a façonné une partie importante du peuple italien, de ceux qui sont avec lui et aussi de ceux qui ne veulent pas de lui au gouvernement mais qui veulent bien de lui dans la vie et dans les affaires à conclure ensemble, et ne savent pas se priver de cet hédonisme entrecoupé par de petites blagues triviales et par de petites et grandes tromperies individuelles. A tel point que dans le final tragique de ce film au sourire amer s’ouvre un aperçu surréel qui est, au contraire, un horizon terriblement à portée de main : pour défendre le caïman inculpé, des cocktails Molotov pleuvent sur les juges qui voudraient le "dévorer". Sic.

Un pays divisé. Espérons que oui, pour opposer aux pasdaran de l’illégalité famélique au moins une résistance existentielle éthique. On peut vivre d’une façon honnête et collégiale, on devrait, on peut encore l’espérer, au-delà du 9 avril. Même si les problèmes de la vie publique s’entremêlent avec ceux de la vie privée, comme pour le réalisateur qui parle de lui à travers son alter ego, Bruno Bonomo. C’’est un producteur en décadence de navets poubelle en tout genre - du surréel - engagé "Cataratte", où on voit des scènes délirantes en style marxiste-léniniste, au pas mieux défini "Bottillons cochons" - des films qui sont maintenant dépoussiérés pour de tristes rétrospectives par des critiques cinématographiques hypocrites et opportunistes. Bruno n’arrive pas à se replonger dans le travail et, de plus, il vit le drame de la séparation d’avec sa compagne Paola, ancienne comédienne aujourd’hui choriste. Ils ont deux enfants qui vivent l’anomalie du couple d’une façon décidément moins critique que leurs parents gauchement hyper protecteurs, accablés par leurs problèmes.

Sentiments de culpabilité, inadaptation au rôle dans lequel la mère arrive à se débrouiller avec un plus grand réalisme que son partenaire névrosé. Celui-ci, alors qu’il participe à un festival de ses navets, est approché par Teresa, une jeune réalisatrice qui lui soumet un scénario. Il s’agit d’un argument engagé d’histoire politique contemporaine, on y parle d’argent aux origines peu claires qui tombe du ciel, avec lequel un promoteur commence à bâtir aux abords de Milan. C’est l’histoire du Président du Conseil actuel qui, des financements de la loge maçonnique P2 aux initiatives spéculatives ayant provoqué un déficit de ses comptes sociétaires, en passant par les protections de son compère en affaires Bettino Craxi et d’autres garants politiques, jàusqu’ la corruption d’officiers de la Police des finances d’abord et de juges ensuite, est arrivé à constituer un parti qui, fort de l’épuisement causé par ses télévisions people, de la permissivité et de l’illégalité diffuses, du populisme crié sur tous les toits, des alliances sans scrupules avec les formations les plus visqueuses et les plus rétrogrades de la politique nationale, est arrivé à occuper tous les recoins du Pouvoir.

Même s’il est submergé par des problèmes de travail et personnels, Bruno reste un rêveur optimiste, il était en train de préparer un film en costume sur Christophe Colomb mais il est revitalisé et entraîné par le projet de Teresa, par sa vigueur décidée, par son sourire propre, par sa conscience juvénile qui n’est pas engourdie et fatiguée comme celle d’une partie du Pays. Son scénario dit qu’il faut aussi s’opposer par l’activité à la dégradation qui entoure la vie sociale. Après une première hésitation, l’entreprise démarre, les deux s’apercevront des difficultés : on ne trouve les financements que s’il y a dans la distribution un grand comédien, ils le trouvent, il accepte en bon cabotin puis les lâche et va tourner le film sur Colomb qui, de toute façon, a été réalisé par un collègue, plus âgé, de Bruno.

Travailler dans l’ère du caïman n’est pas une chose simple, aussi parce qu’il n’est pas simple de vivre. Aussi bien à cause des difficultés spécifiques de ceux qui dénoncent le climat politique qu’à cause des essoufflements du cœur qui pèsent plus que toute autre chose dans les dynamiques existentielles. Et pourtant, on peut rester vivant. Aucun caïman ne pourra effacer le désir de se relancer, d’espérer dans un monde meilleur en dénonçant la saloperie dans laquelle nous sommes en train de tomber, de faire grandir nos enfants, de les faire jouer, de leur raconter les histoires de la super femme Aidra, de les aider à trouver la pièce qu’il faut de la construction Lego dont est parsemé le sol de la maison, de chanter les tubes préférés, de poursuivre nos rêves. Qui doivent être poursuivis à tout prix avec l’engagement civil de s’opposer aux caïmans. Sans les spectres angoissants des qui sait ce qui pourrait
bien arriver si...

Film de Nanni Moretti
Scénario : Nanni Moretti, Francesco Piccolo, Federica Pontremoli
Image : Arnaldo Catalani
Montage : Esmeralda Calabria
Avec Silvio Orlando , Margherita Buy, Jeasmine Trinca, Michele Placido, Nanni Moretti, Elio De Capitani, Anna Bonaiuto, Giuliano Montaldo, Valerio Mastrandrea
Musique originale : Franco Piersanti
Production : Sacher
Origine : Italie 2006
112’