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Stratégie impériale : Et maintenant l’Iran ?

Publie le mercredi 26 avril 2006 par Open-Publishing
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de Paolo Gilardi

L’escalade verbale autour du nucléaire iranien n’a pas de quoi rassurer : par certains aspects, elle ressemble étrangement à celle, sinistre, sur les prétendues armes de destruction de masse qui a précédé l’invasion de l’Irak. Alors, comme le prétendent certains, y compris au sein du mouvement anti-guerre, la nouvelle agression impériale, contre l’Iran cette fois, serait-elle pour bientôt ? Rien n’est moins sûr.

L’hypothèse d’une guerre contre l’Iran n’est pas à exclure à priori : elle pourrait représenter la fuite en avant d’une administration étasunienne aux abois face à une situation irakienne devenue incontrôlable.

La tentation est grande

Cependant, plusieurs facteurs indiquent que l’option militaire face à l’Iran, bien que Condoleeza Rice ne l’ait pas exclue -elle a affirmé que « les Etats-Unis disposent d’un menu d’options »-, n’est pour le moment pas la plus probable.

Certes, pour le gouvernement des Etats-Unis, la tentation est grande. C’est en effet un véritable cauchemar, aussi bien pour Washington que pour ses plus fidèles alliés, l’Arabie Saoudite en premier lieu, qui pourrait être en train de se réaliser au Moyen Orient. Les chiites, au pouvoir en Iran mais qui jamais ne l’avaient été en terre arabe pourraient être, après leurs victoires électorales en Irak et compte-tenu du rôle majeur joué par le Hezbollah au Liban où il contrôle totalement la plaine de la Bekaa, à l’origine d’une redéfinition de la carte du Moyen Orient.

De plus, il ne faut pas oublier que le Hamas, victorieux en Palestine lors des élections de fin janvier, est soutenu par la direction iranienne depuis bien plus longtemps que les récentes élections. D’ailleurs, il a encore récemment confirmé son soutien à l’Iran et Khaled Meshaal, son leader, s’est rendu à Téhéran pour que les choses soient encore plus claires.

Cette redéfinition géographique pourrait aboutir à une insurrection généralisée des populations chiites des régions les plus riches en champs de pétrole de l’Arabie Saoudite et à l’éclatement géographique de cette dernière. A celle-ci pourraient s’ajouter de fortes tendances séparatistes aussi bien dans le Sud de l’Irak que dans celui de la Syrie.

Plus à l’Ouest, au Liban, le Hezbollah dont le prestige est immense compte tenu du rôle joué dans l’expulsion de l’armée d’occupation israélienne du Sud du Liban en 2’000, pourrait étendre son influence jusque dans les régions côtières. En effet, résident dans ces dernières, non seulement d’importantes populations chiites dans les banlieues sud de Beyrouth, mais des masses de gens vivant dans le dénouement le plus extrême à Saïda et Tyr tout comme dans les camps de réfugiés palestiniens.

Dans un tel scénario, les chiites et leurs alliés du Hamas seraient en mesure de contrôler la région toute entière, de la Méditerranée aux frontières de l’Afghanistan. Ce serait l’essentiel des réserves mondiales de brut qui passeraient sous leur contrôle et sous celui de leur puissance tutélaire, l’Iran. Que celui-ci puisse se doter de l’arme atomique, alors... Voilà que les enjeux deviennent plus clairs. Dès lors, l’option militaire pourrait être tentante.

L’Iran n’est pas l’Irak, ni l’Afghanistan

Cependant, plusieurs facteurs la rendent, pour le moment du moins, peu probable.

Tout d’abord, parce que l’Iran n’est pas l’Irak. Non seulement l’étendue du pays est bien plus grande (1,648 millions de km2 pour l’Iran contre 0,43 millions pour l’Irak), mais son peuplement est aussi bien plus dense et réparti sur le territoire que celui de l’ Irak. En ce sens, une occupation du pays avec sa prise de contrôle serait encore moins aisée que celle du pays du Tigre et de l’Euphrate, pour autant d’ailleurs qu’on puisse définir aisée cette dernière.

De plus, se pose en Iran comme en Irak le problème d’une alternative de régime. Il est en effet difficile d’imaginer une invasion sans une force de rechange qui bénéficierait d’un certain appui populaire sous peine d’une occupation destinée à durer.

Un fantoche comme Amir Karzaï pouvait tout au plus faire l’affaire en Afghanistan ; il n’en était déjà plus de même pour Ahmed Chalabi en Irak ou encore pour Iiad Allawi. Mais de penser qu’il suffirait d’emporter dans les bagages de l’armée conquérante un rescapé quelconque de l’époque du chah serait franchement dément, une démence dont même l’administration Bush ne semblerait pas prête à faire preuve...

C’est en ce sens qu’il faut comprendre le crédit de 85 millions de dollars voté par le Congrès des Etats-Unis il y a quelques semaines dans le très officiel but de financer des forces opposées au régime en Iran. C’est une opération difficile car la mise à l’index de ce pays par le gouvernement des Etats-Unis et son inscription sur la liste de « l’axe du mal » renforcent une déjà forte tradition anti-impérialiste qui se combine avec le souvenir, encore fort récent, du soutien étasunien au régime du chah d’abord, à l’agression irakienne ensuite.

C’est aussi la raison de la décision du gouvernement des Etats-Unis de favoriser l’implantation dans la région de la chaîne de télévision Free America et qui devrait émettre vingt quatre heures sur vingt quatre en langue farsi.
Pour faire la guerre il faut des soldats

Mais l’élément majeur qui rend fort peu probable l’hypothèse d’une guerre à court terme contre l’Iran réside dans les difficultés de recrutement de l’armée des Etats-Unis. Déjà, les troupes présentes en Irak sont largement insuffisantes. Il a fallu par exemple que, en échange du retrait d’Irak, des troupes espagnoles soient envoyées en Afghanistan pour permettre le transfert de troupes étasuniennes vers l’Irak.

Et parmi les quelques 130’000 hommes de troupe en Irak, plus de la moitié, 66’500, ne font pas partie de l’élite, des corps des marines, mais de la Garde nationale. Aux Etats-Unis, la Garde nationale représente un peu ce que sont les sapeurs pompiers volontaires chez nous. Ce sont des hommes, souvent des pères de famille, qui consacrent une partie de leurs loisirs à l’entraînement militaire. Traditionnellement, ce sont eux qu’on emploie en cas d’incendies de forêts, d’inondations, de catastrophes naturelles.

Ce sont ces « week-end soldiers » qui ont fait cruellement défaut l’été passé lors des inondations et des catastrophes naturelles aux Etats-Unis mêmes. Mais, ce sont eux qui, en Irak, accomplissent les opérations de reconnaissance, eux qui ouvrent la voie à l’élite. Aussi, ce sont eux qui sautent sur les mines, qui essuient les premiers coups et qui forment le gros des cohortes de dizaines de milliers de blessés et mutilés que cette guerre a déjà fait du côté étasunien. Et ce sont eux qui meurent.

Cela contribue certainement à façonner l’opinion publique aux USA, largement sceptique sur l’Irak, et à rendre peu attractif le métier de soldat. En effet, alors que es désertions dans le corps de la Garde nationale n’ont jamais été aussi élevées qu’au cours des deux dernières années, pour la première fois depuis six ans - et donc aussi depuis les attentats du 11 septembre 2001- le Pentagone n’a pas atteint ses objectifs de recrutement. Il visait 88’000 nouveaux volontaires, il en a recruté à peine plus de 80’000 ! L’élévation de 35 à 42 ans de la limite d’âge pour le recrutement va probablement permettre de corriger un peu ce déficit, mais le problème demeure.
Rétablir le Draft ?

Dans ce contexte, une invasion de l’Irak paraît assez peu vraisemblable. A moins que l’administration Bush décide de s’attaquer à un tabou, celui de la conscription.

Supprimée en 1972, en pleine guerre du Vietnam, la conscription, le Draft, reste pour le moment tabou aux Etats-Unis. Les campagnes sur la menace que l’Iran pourrait représenter pour la sécurité du pays visent justement à légitimer sa réintroduction. Pour le moment cependant, cela semble une hypothèse lointaine : la réintroduction de la conscription, combinée à une situation sociale tendue, pourrait susciter une explosion digne de celles de la fin des années soixante.

Certes, cela ne signifie en aucun cas que l’administration républicaine n’y songe pas. Reste à savoir si, à quelques mois des élections au Congrès et avec une opinion publique largement défavorable à l’actuel président, elle est prête à courir le risque de s’offrir l’embrasement des principales viles du pays. C’est pourquoi, l’intervention militaire contre l’Iran devrait, pour le moment, rester un cas de figure relativement lointain.
De quoi dormir tranquilles ?

Pas vraiment. La situation au Moyen Orient est trop complexe pour que les Etats-Unis puissent se permettre de laisser faire. L’hypothèse d’un Iran disposant de l’arme atomique, on l’a vu, est un cauchemar non seulement pour Washington, mais également pour l’ensemble de ses alliés dans le monde arabe, à commencer par l’Arabie Saoudite. Mais c’est aussi un cauchemar pour l’Etat d’Israël.

C’est probablement de ce dernier, comme souvent, que pourrait venir la « solution ». En 1982, la controverse sur le nucléaire de Saddam Hussein avait été réglée de manière fort simple : les F-16 israéliens avaient bombardé et détruit le réacteur nucléaire irakien - livré par la France- de Tikrit.

Une hypothèse semblable est ouvertement évoquée par la presse israélienne, d’autant que les sites iraniens de retraitement de l’uranium sont connus. Tout comme le sont d’ailleurs la plupart des ingénieurs iraniens par les services israéliens avec qui ils avaient étroitement collaboré à l’époque du chah.

Ce sont ainsi probablement des bombardements israéliens sur des centres de production iraniens, situés au cœur de centres habités combinés à une subite hécatombe de scientifiques iraniens qui nous attendent. Autant de violations de la légalité internationale qu’aucun prétexte anti-atomique ne saurait autoriser.

EXERGUE : Aux Etats-Unis, la réintroduction de la conscription, du Draft, combinée à une situation sociale tendue, pourrait susciter une explosion digne de celles de la fin des années soixante.

http://www.labreche.ch/index.htm

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