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Le Sarko-ségolisme : l’avenir d’une illusion

Publie le lundi 5 juin 2006 par Open-Publishing

de Bernard Lallement

La formule de Carl Lang, vice-président du Front national, claque comme un coup de fouet : "La lepénisation des esprits dépasse toutes nos espérances." Il ne visait pas le président de l’UMP mais la nouvelle mère fouettard du PS qui entend, comme pour les familles, "remettre au carré" l’idéologie sécuritaire trop angélique des socialistes.

Aux Kärcher et autres racailles du ministre de l’Intérieur répondent les mots ordre, discipline, tutelle, internement et militaire de l’ancienne ministre de l’enseignement scolaire, partisane, en digne admiratrice de Tony Blair, d’une éducation sévère.

Le remous est si grand parmi les tièdes émules de Léon Blum que François Hollande a été obligé de faire une mise au point désavouant, pour partie, les propos de sa compagne.

La campagne présidentielle qui s’annonce, sera donc aussi policée, au sens propre du terme, que la précédente avec comme grand instigateur Jean-Marie Le Pen, le premier à avoir instillé, dès 1980, les questions de sécurité dans la vie politique française. Et les mêmes causes provoquant des effets identiques, le 21 avril 2002 a déjà un relent de répétition générale.

Reconnaissons, pour le moins, à Ségolène Royal le mérite d’ouvrir le débat, nécessairement salutaire à la condition de le mener jusqu’à son terme et sans exclusive. Encore qu’il faille relever son extraordinaire mutisme au Parlement sur les grands sujets du moment. Le courage a ses limites.

Mais ceux qui vouent aux gémonies les convictions (pour une fois qu’elle les exprime !) de la coqueluche des people ont la mémoire bien courte.

Son collègue Claude Allègre, ministre de l’Education nationale du gouvernement Jospin, donnait le 8 août 2002, dans sa chronique de l’Express, son point de vue sur la délinquance des mineurs :

« ... Pour tous les jeunes de plus de 15 ans, il n’y a pas d’états d’âme à avoir. La répression doit être exemplaire. Des règles strictes et simples doivent être édictées, ne laissant pas aux juges pour enfants la possibilité d’exercer des théories psycho-sociologiques certes généreuses mais socialement désastreuses. On pourrait décider aussi que le port d’arme illégal pour tout individu âgé de plus de 10 ans soit puni automatiquement de deux ans de privation de liberté sans remise possible (...) De même, pourquoi ne pas fixer un barème très sévère avec peines incompressibles pour l’agression de policiers, mais aussi de personnel d’établissement scolaire ou d’agents des transports en commun ? Ces mesures exigeraient, bien sûr, une magistrature d’urgence et une simplification des procédures d’incarcération... »

Nul doute que de telles propositions recevraient l’approbation, sans réserve, de Nicolas Sarkozy et de la droite la plus extrême.

Surveiller et punir

Il est remarquable de constater combien le terme sécurité n’est perçu, avant tout, que dans son acception très limitative et toujours associé à ceux de répression et délinquance. La sécurité économique, sociale sont toujours reléguées à l’arrière plan. Quant à la notion de bonheur, depuis la diatribe de Saint-Just à la tribune de la Convention, elle n’est plus à l’ordre du jour des programmes électoraux. Peut-être, d’ailleurs, n’y a-t-elle pas sa place.

Il faut donc rappeler à nos divers caciques, quelques évidences dont la première est que personne ne naît délinquant. La délinquance est, avant tout, un phénomène social né de la réaction d’un individu contre une règle du jeu social concrétisée par le droit. Ensuite, il est frappant de constater la corrélation des actes délictuels avec les populations et les zones subissant les plus grandes inégalités et disparités de revenus. C’est là, aussi, où le chômage est le plus important.

Enfin, si tout manquement à la Loi doit être réprimé, encore faut-il que la sanction fasse sens, c’est-à-dire qu’elle soit, tout à la fois, perçue comme juste par le corps social et le contrevenant mais permettant, également, à celui-ci de retrouver sa place dans la société.

Or, la pierre angulaire de notre système répressif a toujours été l’enfermement. L’état de nos prisons, et les conditions de détention, ne préparent nullement à une réinsertion et ceux qui y sont détenus se retrouvent, à la sortie, dans la même situation, et le même environnement, qu’au moment où ils y étaient entrés. Il ne faut pas chercher plus loin les raisons de la récidive. Depuis Surveiller et punir rien n’a vraiment changé dans ce domaine.

Le but d’une bonne politique pénale doit être moins de sanctionner que d’assurer la résorption du nombre d’infractions. Pour ceux qui croient à l’exemplarité de la peine, il suffit de constater combien le nombre de viols n’a cessé d’augmenter au fur et à mesure de l’accroissement de sa répression.

C’est d’abord par l’éducation que nous pourrons sortir de la spirale infernale dans laquelle nous sommes englués. L’école, au sens large, doit être le lieu de toutes les priorités. C’est là que se forgent le citoyen et l’honnête homme de demain. Et, sur ce point, nous serions bien inspirés de relire les notes de Marc Bloch, sur la réforme de l’enseignement, esquissées en 1944 et toujours d’actualité. Il rappelait le long destin pédagogique de la tradition française et le nécessite d’en conserver « les biens les plus précieux : son goût de l’humain ; son respect de la spontanéité spirituelle et de la liberté ; la continuité des formes d’art et de pensée qui sont le climat même de notre esprit. »

Le retour de l’ordre moral

A cet égard, il est regrettable que, lors des dernières violences urbaines, le ministre en charge de l’enseignement soit resté coi au profit de celui de la police.

Mais, il est plus facile de déployer les forces de l’ordre plutôt que de recruter et former des maîtres, d’exposer des voitures qui brûlent plutôt que rendre compte d’un quartier dans lequel on a réussi à rétablir l’harmonie et la concorde.

Il est plus difficile, et exigeant, de s’atteler à une politique de répartition équitable du revenu national que d’invoquer, sainte croissance à gauche ou la dérégulation du code du travail à droite.

Jamais nous n’avons autant exalté le « vouloir vivre ensemble » de Hannah Arendt tout en nous en éloignant un peu plus chaque jour.

Souffle, aussi bien chez Nicolas Sarkozy que Ségolène Royal un retour à l’ordre moral qui n’est pas sans rappeler les principes éducatifs du 19ème siècle où il convenait d’inculquer aux masses une éducation autour des principes d’ordre et d’obéissance. Il s’agit, toujours, d’assurer la surveillance des classes considérées comme dangereuses : les étrangers et les pauvres.

« Une société ne peut vivre que du travail qu’elle exerce sur elle-même et sur ses institutions » rappelait Michel Foucault.

Nous en sommes bien loin et l’imagination, nécessaire à notre devenir, ne viendra certainement pas de ceux qui prétendre gouverner, demain, le pays avec des méthodes d’hier qui ont provoqué notre faillite d’aujourd’hui.

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