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La malédiction italienne de Zidane

Publie le jeudi 20 juillet 2006 par Open-Publishing
15 commentaires

de Philippe Marlière Maître de conférences en science politique à l’université de Londres

L’expulsion de Zinédine Zidane à l’occasion de la dernière rencontre d’une brillante carrière a été l’événement marquant de la coupe du monde 2006. Aussi inattendue que dramatique, elle a éclipsé la terne et logique victoire de la formation italienne et les décevantes prestations des équipes en compétition.

Le geste « inpardonnable » de Zidane (selon ses propres mots) a plongé les zidanophiles dans l’embarras. Révélatrice, fut la réaction contrariée de la bourgeoisie politico-médiatique qui rêvait tout haut d’un happy end hollywoodien (Jack Lang : "Mais quel con, ce Zidane !").

Les classes supérieures du ballon rond se sont senties flouées : ce coup de tête les a empêchées de célébrer un destin sociologiquement exemplaire, donc auto-gratifiant. La FIFA est également fort marrie : selon sa campagne promotionnelle, le football ne doit-il pas être fair play ? Oui, mais il ne l’est qu’accessoirement. Le football est un jeu gangréné par des intérêts économiques obscènes, la triche, la corruption et le racisme. Le "coup de boule" de Zidane a fait s’effondrer la fiction du fair play en un instant sous le regard de millions de téléspectateurs.

Que l’auteur de cet acte soit le joueur le plus « élégant » de ces vingt dernières années et que l’« agressé », l’un des footballeurs les plus brutaux, accentue le sentiment de malaise, pour ne pas dire... d’injustice. Ce n’est pas tant la violence du geste de Zidane qui a choqué, mais la manière assumée avec laquelle le coup a été porté. Le joueur a enfreint l’une des règles cardinales et tacitement acceptées du jeu : la violence sur un terrain n’est moralement tolérable que si elle s’inscrit dans une action de jeu (ce en quoi Marco Materazzi ou Fabio Cannavaro excellent) ou en rétaliation à une autre agression physique (expulsions de David Beckham en 1998 ou de Wayne Rooney en 2006).

« Zizou », d’une manière caricaturalement franche et honnête, s’est affranchi de la pratique du champ et, ce faisant, a heurté les gardiens du temple. En crachant dans la soupe qui l’a généreusement nourri, il a déniaisé une partie du monde des croyants.

Une kyrielle de footballogues de salon a ratiociné à propos du coup de sang de Zidane : l’enfant de dominé devenu roi et dominant et dont le sur-classement serait devenu trop lourd à porter ; le code d’honneur (explication fournie par Zidane lui-même) ; la mise en scène d’une sortie tragique pour affermir encore la légende, etc. Que de subtiles interprétations ! Peut-on vraiment croire que Zidane ait réagi de la sorte à cause d’une insulte, fut-elle « très grave » ? Il faut n’avoir qu’une connaissance théorique du milieu footballistique pour considérer cette explication plausible. Si tel était le cas, ce ne sont pas quatorze cartons rouges qu’il aurait récolté au cours de ses dix-sept années de carrière, mais plusieurs centaines car les insultes les plus crûes fusent à chaque rencontre.

Le chambrage - y compris l’insulte à la mère et à la sœur - fait partie du jeu. En prétendant le contraire, Zidane se cherche une bien piètre excuse. Et si, tout simplement, il avait « pété les plombs » pour des motifs purement footballistiques ? J’appellerai cela la « malédiction italienne », c’est-à-dire le fait d’avoir dû jouer contre l’Italie le dernier et le plus important match d’une magnifique carrière. Zidane a peut-être pensé qu’il n’avait pas de chance de retrouver en finale une équipe qui, traditionnellement, joue bien au ballon, mais d’une manière « négative » (défensive, prudente, opportuniste, physique, voire brutale).

Devant cette Squadra azzura athlétique (qui, avec Gianluigi Buffon, le portier, ne comptait d’ailleurs qu’un seul joueur exceptionnel) intelligemment dirigée par Marcello Lippi, que pouvait le jeu brésilien de Zidane ? Pas grand-chose. Des flashes de génie technique, rien de plus. D’où cette « panenka » lors du pénalty, un geste technique époustouflant et arrogant (« Je voulais que ce geste reste » a reconnu Zidane). Pour le dernier match compétitif de sa vie, Zidane avait placé la barre très haut : gagner certes, mais avec un jeu de « magicien », de « sorcier », de « maestro », de « dieu » du ballon ; ce jeu zidanien célébré jusqu’à la nausée par une presse internationale auto-intoxiquée par sa surrenchère logorrhéique.

Malheureusement pour Zidane, l’Italie « négative » (ou « réaliste ») est une équipe qui ne permet que rarement de développer de telles prouesses techniques. Zidane aura tout tenté pendant ce match et très peu réussi. La superbe frappe de la tête détournée par Buffon pendant les prolongations fut son chant du cygne. Moralement affecté, il perdit probablement la foi en sa sortie divine et refusa le baisser de rideau d’un simple mortel.

Au paroxysme de la frustration de n’avoir pu jouer la partie d’un dieu, Zidane cessa de se prendre au jeu (entendu, selon Pierre Bourdieu, comme l’illusio). Les provocations de Materazzi ont été l’étincelle qui lui a fourni l’occasion littérale de déserter un match commun et vulgairement voué aux coups de pieds arrêtés.

Mais que la France lacrymale et zizoumaniaque se reprenne ! : la carrière de Zinédine Zidane ne s’est pas achevée le 9 juillet 2006, mais un 1er juillet. C’était contre le Brésil, une équipe au jeu traditionnellement chatoyant, porté vers l’attaque et... qui laisse des espaces à l’adversaire. La générosité brésilienne a, ce soir-là, permis l’apothéose zidanienne.

Messages

  • Il faut n’avoir qu’une connaissance théorique du milieu footballistique pour considérer cette explication plausible. Le chambrage - y compris l’insulte à la mère et à la sœur - fait partie du jeu.

    Pas dans "mon" sport, ni celui que j’essaye d’inculquer aux plus jeunes...

    D’où cette « panenka » lors du pénalty, un geste technique époustouflant et arrogant ...
    ce jeu zidanien célébré jusqu’à la nausée par une presse internationale auto-intoxiquée par sa surrenchère logorrhéique.

    Certains se font plaisir en cherchant des gestes techniques époustouflants (mais jamais arrogants) d’autre en utilisant un langage un peu surrané... Cette volonté de laisser quelque chose "qui reste" est humaine et visiblement très partagée.

    La superbe frappe de la tête détournée par Buffon pendant les prolongations fut son chant du cygne. Moralement affecté, il perdit probablement la foi en sa sortie divine et refusa le baisser de rideau d’un simple mortel.
    [...]
    Au paroxysme de la frustration de n’avoir pu jouer la partie d’un dieu, Zidane cessa de se prendre au jeu (entendu, selon Pierre Bourdieu, comme l’illusio). Les provocations de Materazzi ont été l’étincelle qui lui a fourni l’occasion littérale de déserter un match commun et vulgairement voué aux coups de pieds arrêtés.

    Je n’y crois pas une seconde, un homme comme Zidane qui a voué sa vie à son sport ne laisse pas tomber ses compagnons sous de tels prétextes... Souvenez-vous de la finale de l’Euro2000 où la partie était encore plus difficile puisque la France était menée 1-0 jusqu’aux arrêts de jeux... Personne n’a imaginé un instant que l’un des 11 français veuille lacher le morceau !

    Enfin, pourquoi toujours aller chercher des explications alors que l’intéressé s’est expliqué lui même ? N’est-ce pas un peu de masturbation intellectuelle ?

    • [Au paroxysme de la frustration de n’avoir pu jouer la partie d’un dieu, Zidane cessa de se prendre au jeu (entendu, selon Pierre Bourdieu, comme l’illusio). Les provocations de Materazzi ont été l’étincelle qui lui a fourni l’occasion littérale de déserter un match commun et vulgairement voué aux coups de pieds arrêtés.]

      Je n’y crois pas une seconde, un homme comme Zidane qui a voué sa vie à son sport ne laisse pas tomber ses compagnons sous de tels prétextes... Souvenez-vous de la finale de l’Euro2000 où la partie était encore plus difficile puisque la France était menée 1-0 jusqu’aux arrêts de jeux... Personne n’a imaginé un instant que l’un des 11 français veuille lacher le morceau !

      ********

      Et pourtant si ! Zidane a bien laisse tomber ses co-equipiers en se faisant expulser, coutant d’ailleurs peut-etre la victoire a l’equipe de France (qui dominait les prolongations + Zidane etant un tireur de penalty tres efficace).

  • Enfin, pourquoi toujours aller chercher des explications alors que l’intéressé s’est expliqué lui même ? N’est-ce pas un peu de masturbation intellectuelle ?

    pourquoi pas ? zidane a certes donne sa version des faits, mais matterazzi la conteste...

    • Que de doctes bourdieuseries pour interpréter un geste d’une banalité somme toute évidente...

      Un vaffanculo de trop (je suis rital et je le reste... :D), un pétage de plombs lumpenprolétarien et hop : de retour sur terre, le dieu tricolore !

      Et un ZZ Flop, un !

      Zizou (dans le métro) !
       ;)

      Brunz

  • heureusement qu’on n’attend pas d’un maître de conférence en science politique de l’université de Londres (il est vrai qu’après avoir afficher un tel pedigree, on peut s’autoriser à évaluer l’arrogance d’un joueur de foot dans l’exercice de son boulot), il serait capable de les marquer contre son camp ...

    on n’attend d’ailleurs pas forcément non plus de lui qu’il nous explique, laborieusement, ce que tout le monde a pu voir en direct : un homme fier et plus qu’habile, dans son jeu comme dans l’ultime transgression des codes du système qui l’a adulé et dans la main duquel il s’est grassement nourri, signer une sortie totalement inédite et parfaitement imprévisible

    bon, maintenant on peut aussi parler du retour du refoulé ou de mise en abîme ... mais c’est juste pour faire l’instruit dans les forums devant un tel absolu, car ça reste de l’enfonçage de porte ouverte

    marcel

    ps : je vous renvoie à mon message "zinedine for ever" le 10 juillet dernier sur ce même site

  • en tous les cas si j’ai bien compris, pour la fifa ce n’étaient pas des insultes racistes "juste" des insultes contre sa mère et sa soeur !!

    les insultes sexistes sont apparemment bien moins importante que des insultes racistes pour la fifa !!

    satya

    • Exactement ce que je pensais, chère Satya.

      Comme quoi, le racisme c’est compliqué. La FIFA devra expliquer en quoi insulter nominativement une mère, une soeur, c’est moins grave que de dire sales négresses ou blanches de mes fesses ?

    • En accord avec Satya, j’aimerais que la FIFA précise ce qu’elle entend par insultes racistes.

      Et en quoi des injures atteignant la vie privée seraient "moins graves" ?

      Satya bis

    • Décidément, le courant ne passe pas. Mais je vais insister. D’accord avec Satya, je souhaiterais que la FIFA ait l’extrême obligeance et amabilité de bien vouloir avoir la condescendance de se pencher sur notre ignorance de ne pas comprendre en quoi insulter une mère, une soeur serait moins grave qu’une quelconque insulte raciste.

      Evidemment nous pourrions donner différents exemples des deux genres d’expressions ; mais ici, la décence ne nous le permet pas. La grande hautesse de la FIFA non plus.

      Comment faire ?

      Mais le silence n’est-il pas recommandé sur les terrains de foot ?

      On peut s’en tenir là ; sauf cas de danger imminent. Or, la mère et la soeur n’étaient pas en péril, étant absentes du terrain...

      Une mère, une soeur.

    • tant que des gens seront dans les stades pour manifester aprés tel ou tel joueur ils ne seront pas dans la rue pour expliquer leurs déboires ,leurs détresses ou leurs ras-le-bol a tous ces politiques qui eux en plus ne paient leur place, tout ca me fais bien rire

      le foot nouveau moyen de canaliser les pensées rebelles

    • D’accord avec Satya, ça me heurte aussi.

    • moi ce qui me choque , que les insultes soient racistes ou sexistes, c’est que les joueurs s’insultent.
      certains trouvent normal que cela se passe comme ça mais la violence est aussi bien verbale que physique . Et il ne faut pas s’etonner des violences dans les tribunes et apres match quand cette violence n’est pas penalisée* sur le terrain. et ça marche pour n’importe quel sport, foi de hand balleuse.

      *les penalités exercées habituellement ne me semblent pas assez efficaces .il faudrait interdire de competition definitive tout joueur violent et puis c’est tout.

  • monsieur maliere,

    le fait d’etre " maitre de conference " ne fait pas de vous un juge en matiere de foot, et en vous lisant je pense meme que vous n’avez ni jouer au foot enfant ni meme regarder un seul match ni de cette coupe du monde ni meme de votre vie... comment pouvez vous qualifier de "terne et negative" une equipe qui a gagné tt ces matchs et avec la maniere, tout cela parce que mr Zidane a entaché la finale d’un geste d’une extreme violence et de plus un geste reflechi ( puisqu’il est revenu en arriere pour l’executer) tout zidane qu’il soit, ce geste est inadmissible !

    Votre article n’est qu’une suite de mot sans doute selectionné dans un dictionnaire, mots pompeux, digne d’un maitre de conference, qui ne peut dire simplement les choses !!!
    ...

    mnt petit conseil : relaxez vous monsieur maliere, installez vous dans un canape et regardez les matchs italien de la coupe du monde et faites de meme avec l’equipe de france et reecrivez votre article, cette fois en connaissant l’histoire et ts ces elements et pas seulement le resumé !!!
    vous verrez si l’italie est terne ( et dans ce cas il est temps de passer a la télé couleur) si la france meritait de gagner, et surtout vous me direz si zidane est un ange !!!

    sur ces bonnes paroles ;
    je vous souhaites une bonne lecture....

    de la part d’une franco-italienne qui en a marre de justifier la victoire de l’italie !!!!

    • Analysons les matchs Italiens ? De l’anti-jeu, de la (trop) chance (je pense au penalty dans les arrêts de jeu discutable), peu de talent.

      Si vous devez la victoire à quelqu’un, c’est à Materazzi, et à Buffon. Analysez tous les matchs de l’équipe italienne, comparez avec le jeu de France-Espagne/France-Brésil, vous remarquerez une différence de niveau. Le seul match où il n’y eut rien à dire pour la sélection italienne, c’est Italie-Ukraine. Le reste, c’est digne d’un niveau de division 2.

  • Eh bien j’ai pensé la même chose que vous. Zidane est sorti par une porte dans un coup d’éclat, préférant la dérobade anonyme dans les vestiaires plutôt qu’une fin sur le terrain, à l’Italienne. C’était certainement la pire des équipes qu’il pouvait affronter, un miroir opaque sans renvoie, une Italie toute arrogante, tragediente comediente, une Italie provocante, verrouillée et avare. Zidane a terminé sa carrière en jouant contre des douaniers pugnaces, lui, qui toute sa vie a traversé tant de frontières.
    Geste inconscient mais pas geste d’inconscience, il a décidé quand et comment devait tomber le rideau. Tandis que les Italiens s’italianisaient davantage au sacre de leur nombril tout en soulevant la coupe, il y avait dans les vestiaires un grand, un très grand monsieur porteur de toutes les victoires