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Israël se sert-il des villages arabes comme de boucliers humains ?

Publie le vendredi 21 juillet 2006 par Open-Publishing
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de Jonathan Cook

Nazareth a fait les titres internationaux pour la première fois dans cette méchante guerre engagée par Israël, surtout contre des civils libanais. Le journaliste Matthew Price, ayant mis un gilet pare-balles bleu, disait depuis Haïfa aux téléspectateurs de la BBC que pour la première fois, tard dimanche, le Hezbollah avait tiré sur Nazareth ; "Nazareth est une ville principalement chrétienne" ajoutait-il, réussissant ainsi à placer en une simple phrase de quelques mots, deux erreurs de faits et une allusion incitative inquiétante.

D’abord sur le tir des roquettes (les gens de Nazareth craignent certainement les roquettes) : le Hezbollah n’a pas frappé Nazareth mais un lieu à une certaine distance de Nazareth, un emplacement d’importance stratégique pour Israël - je ne peux en dire plus car nous sommes maintenant sous la loi martiale, officiellement, dans le nord du pays.

Matthew Price est également dans l’erreur quand il dit que Nazareth est une ville « principalement chrétienne ». Pendant la guerre de 1948, au cours de laquelle l’armée d’Israël a nettoyé ethniquement la plus grande partie de la région des Palestiniens, les villageois musulmans ont fui vers Nazareth à la recherche d’un refuge. Aujourd’hui, les 2/3 des 75 000 habitants de la ville sont musulmans, ou au moins considérés comme tels en vertu du système de classification religieuse appliqué à tous les citoyens par les autorités israéliennes.

Sur ce que cherche l’allusion méchante de notre journaliste de la BBC.

Plusieurs manufactures d’armement et entrepôts de stockage israéliens ont été construits à côté des communautés arabes dans le nord d’Israël ; sûrement dans l’espoir que cela dissuadera les régimes arabes d’attaquer cet arsenal énorme d’Israël. Autrement dit, les habitants d’un certain nombre de villes et villages arabes d’Israël sont utilisés comme boucliers humains afin de protéger la machine de guerre israélienne.

Avant que les roquettes ne tombent près de Nazareth dimanche soir, plusieurs villages arabes dans le nord avaient été touchés par le Hezbollah qui essayait d’atteindre ces usines. Personne de la BBC n’a vu alors la nécessité de mentionner ces attaques et le fait que c’était essentiellement des villages musulmans qui avaient été touchés.

Pourquoi alors l’attaque sur Nazareth - en lui attribuant un faux statut de ville chrétienne - est-elle dans le reportage de la BBC ? Parce qu’Israël veut présenter le Hezbollah, avec son chef le Sheikh Hassan Nasrallah, comme une milice islamique démente, comme des Musulmans fanatiques haïssant les Juifs et les Chrétiens avec la même intensité. Les prétentions d’Israël doivent s’intégrer dans la « guerre contre le terrorisme » de George Bush. Et comme prévu, la BBC a suivi et débité cette absurdité raciste.
Si quelqu’un en doutait encore, voici une bonne preuve comme quoi c’est bien Israël qui écrit le programme des infos des animateurs tels ceux de la BBC.

Selon le Jerusalem Post pourtant chauvin, le cabinet du Premier ministre israélien et l’armée, du fait de leurs succès, délirent dans la dictée des titres et des tendances aux journalistes étrangers.

Le conseil en communication d’Ehud Olmert, Assif Shariv, révèle au Post que les médias internationaux interviewent le porte-parole israélien quatre fois plus que ceux des Palestiniens et des Libanais. Un autre conseiller du gouvernement, Gideon Meir, se vante : « Nous n’avons jamais été aussi bons. La habara (propagande) est une machine bien huilée. »

Ceci explique pourquoi nous en savons si peu sur ce qui se passe au Liban et à Gaza ; et pourquoi nous en savons si peu aussi sur ce qui se passe en Israël.

Je l’ai dit, les résidents du nord d’Israël, dont moi-même, sont sous la loi martiale ; de même les journalistes étrangers qui, de plus, sont tenus de soumettre leurs articles à la censure militaire. Tout ce que je peux vous dire sans violer cette loi, c’est que vous n’aurez pas une véritable idée de ce qui se passe ici, en Galilée.

Une info que vous n’aurez probablement pas via les médias étrangers - même si courageusement des médias libéraux hébreux ont essayé d’attirer l’attention sur cette question - c’est que « la seule démocratie du Moyen-Orient » a tout simplement fait taire Al-Jazeera dans les informations à l’intérieur d’Israël.

La raison en est limpide : jusqu’à récemment, Al-Jazeera était reçue bien vue dans les cercles de la presse nationale et étrangère. Al-Jazeera exerce le journalisme le plus sérieux et le plus populaire du monde arabe et est essentielle pour qui veut avoir une idée réaliste des situations des deux côtés de la frontière. Pour le missile tombé près de Nazareth dimanche soir, Al-Jazeera a publié l’information au moins une demi-heure avant les médias israéliens, et un jour avant mon collègue Matthew Price.

Comment fait-elle ? la plupart de ses équipes en Israël sont composées, et de citoyens israéliens, et d’Arabes palestiniens. Ses journalistes font parti de ce cinquième oublié de la population israélienne, dont la citoyenneté est israélienne mais la nationalité, palestinienne. Aussi, non seulement les journalistes d’Al-Jazeera connaissent la partie nord d’Israël comme leur propre terre - parce que c’est leur propre terre - mais ils n’attendent pas lâchement les bureaux du Premier ministre israélien ni les porte-parole de l’armée pour informer des évènements.

Regarder les infos d’Al-Jazeera a été une révélation : la chaîne a consacré une partie appréciable de son reportage sur les évènements en Israël aussi bien qu’au Liban, dans un contraste saisissant comparée aux animateurs israéliens qui rarement montrent des films sur le Liban.

De même, Al-Jazeera a loyalement traduit en arabe le discours d’Ehud Olmert, au mot à mot et a présenté, à ses téléspectateurs, une analyse étoffée d’un correspondant local. Les journalistes israéliens, quant à eux, traduisent en hébreu et en anglais, en les déformant, les interventions télévisées du chef du Hezbollah, le sheikh Hassan Nasrallah, supprimant leur contexte et ses appels à la négociation. Les mêmes positions tout aussi déformées sur Nasrallah, des médias étrangers, montrent leur extrême dépendance à l’égard de leurs collègues israéliens.

Les reportages d’Al-Jazeera, dans Israël - qui sont le meilleur moyen pour le monde arabe d’être informé sur les points de vue israéliens - ont été effectivement supprimés. Dans les deux derniers jours, son rédacteur en chef a été arrêté à deux occasions et un autre journaliste, un vétéran, a été emmené pour interrogatoire. Selon ses journalistes, ils ne peuvent bouger de leur bureau sans être suivis par les services de sécurité israéliens.

Pourquoi les traite-t-on ainsi ? parce que selon le seul journal sérieux d’Israël, Ha’aretz, les médias hébreux du pays ont fait monter la pression contre eux. En particulier, la station radio Reshet Bet, qui compte parmi les médias israéliens fidèles au gouvernement, a raconté, mensongèrement, qu’Al-Jazeera aurait révélé des informations secrètes, notamment les sites de lance-missiles.

Est-ce vrai ? toujours selon Ha’aretz : « D’autres réseaux télévision, dont les services d’informations israéliens, ont donné des infos similaires sans subir les interventions policières. »

La liberté de la presse ne veut plus dire grand-chose quand le gouvernement part en guerre. Les médias nationaux considèrent qu’ils ont un devoir patriotique non seulement de vider l’info de son contexte indispensable pour leurs téléspectateurs, mais souvent d’en falsifier le contenu aussi. Beaucoup de médias en Israël font carrément les deux, avec talent.

La vérité est que certains médias israéliens considèrent comme de leur job de faire taire les autres journalistes moins poltrons qu’eux ; peut-être croient-ils qu’Al-Jazeera en fait des propagandistes.

Nabila Espanioly, directeur d’une organisation caritative de Nazareth pour promouvoir les droits des femmes et des enfants, fait remarquer un point intéressant, rappelant comment les médias étrangers et israéliens se retrouvent dans les abris de Haïfa et de Nahariya pour interroger les « Israéliens » terrifiés.

En réalité, ils ne parlent pas avec des Israéliens mais avec des Juifs israéliens. Le cinquième de la population, les non juifs et arabes, vous les trouverez rarement se cachant dans des abris publics car les autorités ont négligé d’en construire dans leurs villes et villages.

Autrement dit, alors que l’armée israélienne a installé, dans le nord, plusieurs manufactures d’armes importantes et des postes de renseignements militaires auprès des communautés arabes, et que les retombées sont quasiment assurées ici notamment avec les roquettes Katyusha, le gouvernement israélien n’a même pas prévu de protection pour ces habitants arabes. Ceci est un élément supplémentaire de la discrimination qu’endure depuis des décennies la population arabe du pays et qui apparaît rarement dans les reportages en Israël.

Imperméables à toute ironie, les médias israéliens et étrangers ont diffusé des récits émouvants montrant des « Israéliens » ouvrant leur maison et leur cœur à leurs compatriotes qui fuient le nord. Là encore, on dit « Israéliens » en montrant des « Juifs israéliens ». Car personne de ma connaissance, ici à Nazareth, n’espèrerait trouver l’accueil chaleureux dont il aurait besoin dans cette même situation, à Tel Aviv ou à Beer Sheva. On les laisserait dehors, avec nulle part où se rendre.

Les seules communautés arabes hors portée de tirs du Hezbollah sont celles du sud du Néguev, les Bédouins. Mais ne parlons pas de confort. La plupart des 150 000 Bédouins sont contraints de vivre sous des tentes sordides ou des cabanes en métal par le gouvernement israélien dont les bulldozers détruisent toute construction en dur. Les autorités privent de nombreuses communautés bédouines d’eau et de tous les services publics. Aussi, s’armer de patience sous les tirs de Katyushas, c’est peut-être une meilleure option.

Post-scriptum : à méditer à un moment plus calme, quand la pire des souffrances sera terminée.

Ces Juifs israéliens qui fuient pour sauver leur peau en se dirigeant vers le sud, vers le calme - jusqu’ici au moins - de Tel Aviv et plus loin, ne vous rappellent-ils pas des évènements qui se sont produits il y a près de 60 ans, quand 750 000 Palestiniens ont été forcés de quitter leur maison par l’armée israélienne ?

Les Juifs israéliens ont toujours considéré - et ils le déclaraient volontiers aux étrangers - que les « Arabes » avaient perdu le droit à leurs maisons lors de la guerre de 1948 du fait qu’ils avaient « fui » (en fait, beaucoup avaient été expulsés de force, mais laissons cet aspect pour le moment).

Le gouvernement israélien avait adopté la même position, refusant même aux 250 000 citoyens arabes d’Israël, classés réfugiés internes, de revenir dans leur maison et sur leurs terres d’origine (leurs ancêtres étaient partis pendant les combats de 1948 mais eux étant restés à l’intérieur de ce qui est aujourd’hui Israël en ont la citoyenneté).

Alors, comment faut-il considérer ces Juifs israéliens qui sont en train de fuir Nahariya et Haïfa ? Doivent-ils perdre leur maison, leurs terres et leur compte bancaire, tout comme les Palestiniens en 1948 ?

Jonathan Cook est écrivain et journaliste, il habite Nazareth, Israël. Son livre Sang et Religion : démasquer l’Etat juif et démocratique, est publié par Pluto Press

Son site : http://www.jkcook.net

Jonathan Cook

http://www.counterpunch.org/Cook07192006.html

Traduction : JPP

http://www.protection-palestine.org...

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