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Brésil 2006 : Chronique d’un succès annoncé pour Lula, mais pour quelle nouvelle "victoire de la gauche" ?

Publie le samedi 26 août 2006 par Open-Publishing
2 commentaires

de Jean-Yves Martin

L’élection présidentielle brésilienne d’octobre 2006, pour laquelle le président sortant Lula reste le grand favori, vient d’aborder sa phase finale avec l’ouverture de la campagne radio-télévisée officielle.

http://www.jy-martin.fr/article.php...

L’ancien syndicaliste (CUT) Luiz Inacio Lula da Silva (PT+PRB+PCdB), qui brigue un second mandat, semble bien parti pour gagner dès le 1er tour du 1er octobre. Selon les derniers sondages du mois d’août (IBOPE, DATAFOLHA), avec 47 à 49 % des intentions de vote, il l’emporterait largement : si on décompte les indécis ou les intentions de vote blanc, il rassemble près de 55% des intentions exprimées. Son principal adversaire, porteur des espoirs de la droite, Alckmin (coalition PSDB+PFL [1]), en panne, ne recueille que 24 à 25 % des intentions. Il compte sur la phase finale de la campagne pour arracher un improbable second tour le 29 octobre. Il n’y obtiendrait pourtant que 32% des voix et Lula l’emporterait alors avec 53% (60% en 2002).

 Les candidat(e)s :

 NOM PARTI COALITON
 Cristovam Buarque PDT / -
 Geraldo Alckmin PSDB / PSDB/PFL
 Heloísa Helena PSOL / PSTU/PCB/PSOL
 José Maria Eymael / PSDC -
 Luciano Bivar PSL -
 Luiz Inácio Lula da Silva PT / PT/PRB/PC do B
 Rui Costa Pimenta PCO -

 Evolutions des intentions de votes pour les 3 principaux candidats

Source : Folha On-line

Parmi les autres candidats, laminés à moins de 1% par cette bipolarisation politico-médiatique - à “l’américaine” ou à la “française”, comme on voudra - seule celle du jeune Parti Socialisme et Liberté (PSOL), la sénatrice Heloísa Helena (Alagoas), effectue une remarquable percée. Elle est passée de 6 à 11-12 % des intentions de votes. Dissidente de gauche du parti présidentiel, dont elle a été exclue en 2003, elle mène tambour battant une campagne incisive. Elle dénonce avec véhémence les abandons et reculs du gouvernement et accuse Lula "d’user de la machine administrative avec cynisme". La plate forme de sa campagne est un "Manifeste du Front de Gauche" (PSOL-PSTU-PCB [2]), cosigné avec César Benjamin, "Pour une alternative pour le Brésil, contre les banquiers, l’impérialisme et les politiciens corrompus".
Heloísa Helena

De fait, une quarantaine de personnalités, parmi lesquelles l’ancien bras droit du président Lula, José Dirceu, et de hauts responsables du PT, sont depuis avril dernier sous le coup d’une demande d’inculpation du ministère public. Ils sont accusés d’avoir mis en place dès 2002 une "organisation criminelle sophistiquée" de détournement de fonds publics pour "l’achat d’appuis politiques" au parlement en faveur du gouvernement ("mensalão"). Un nouveau scandale, dit des "sangsues", concernant l’achat d’ambulances et de matériels sanitaires surfacturés a abouti récemment à la mise en cause de 72 parlementaires, surtout des alliés du PT, menacés de destitution. Seuls deux ont démissionné, 67 seront traduits devant une "commission parlementaire d’éthique".

Lula, qui préférerait centrer sa campagne sur ses "succès", pourtant mitigés, en matière de stabilisation économique et de recul de la pauvreté [3], tente laborieusement de reprendre l’initiative. Mais il vient lui-même d’écoper d’une très lourde amende - dépassant le montant de son patrimoine personnel déclaré - pour propagande sur fonds d’Etat en dehors des délais de campagne. Il a fait appel.

Pour cette élection les nombreux mouvements sociaux qui ont porté Lula au pouvoir en 2002, hésitent aujourd’hui entre le soutien malgré tout et par défaut (CUT, la centrale syndicale), le refus de consigne explicite (MST, sans-terre déçus par l’insuffisance de la réforme agraire et la rigueur de la répression), voire l’appel au vote blanc (8% des intentions). Pourtant, la réélection de Lula ne fait guère de doute, car depuis quatre ans, avec sa politique pragmatique, il a eu l’opportunité de rassurer et les milieux d’affaires et les classes moyennes. Tout en restant très populaire auprès des plus pauvres, notamment dans le Nordeste , qui se reconnaissent toujours en lui, symbole de l’accession de l’un des leurs au pouvoir. Une sorte de "rêve américain" - "tu seras président, mon fils" - mais à la mode brésilienne.

Lula qui, d’une candidature à l’autre, poursuit activement son relookage médiatique [4], joue habilement de tous ces registres, dans un style volontiers populiste. Il demande "l’aide du peuple pour le défendre des attaques de l’opposition", une posture victimiste qui semble bien devoir payer à défaut d’un bilan très convaincant.

Dans une récente biographie de Lula, l’Argentin Ceferino Reato affirme que « la principale avancée de Lula est sa propre présence à la présidence du Brésil ». Selon lui, « avec Lula au gouvernement, les pauvres ne se sentent plus politiquement marginalisés. Ils ne pensent plus que la politique c’est pour les autres et pas pour eux ».

Mais il souligne que sous le mandat Lula « les travailleurs ne sont pas allés au paradis » et que « les grands gagnants sont les banques et les exportateurs ». Il pense néanmoins qu’il sera réélu « grâce à son charisme, au programme “Bourse familiale” et parce qu’il a fini par naître au Brésil une alliance entre les riches et les pauvres qui votent Lula ». C’est sans aucun doute la raison pour laquelle l’évaluation du gouvernement renoue avec la hausse : l’indice de satisfaction "excellent/bon" remonte de 45 à 52% au cours des trois premières semaines d’août, atteignant un record depuis que l’institut Datafolha l’a inauguré, en 1987, sous le gouvernement Sarney. [5]

Pour le vice-président José Alencar (PRB), l’appui constaté de l’électorat à la réélection du président sortant constituerait même une sorte de “revanche nationale” contre toutes les tentatives de démoralisation et toutes les accusations de corruption. « Il y a ce sentiment national de soutien parce que les Brésiliens ont été indignés de la manière dont on a cherché à l’atteindre. Alors, il y a comme une espèce de revanche nationale à cette tentative d’“impeachment” contre lui. » C’est donc pourquoi les Brésiliens “souhaitent le réélire”, à partir d’ "un sentiment pro-Lula au-dessus des partis".

Sa réélection très probable dès le 1er tour devrait entraîner le ralliement plus large de certains secteurs de la droite brésilienne. Par exemple, Antônio Delfim Netto (PMDB-SP), 78 ans, est passé au fil des années, du rôle de protagoniste des gouvernements militaires, à celui de conseiller personnel du président Lula. "De temps en temps, il me fait l’honneur de m’inviter et je viens prendre un café" dit-il.

Selon lui, "ce fut lui, Lula, qui a choisi le PT, et non le PT qu’il l’a fait élire". D’ailleurs, "le PT est un parti en déconfiture". Ce qui, en 2002, "a fait élire Lula, c’est sa Lettre au Peuple Brésilien". Et, "s’il est réélu, il va faire une nouvelle fois un gouvernement de coalition. Nous ne pouvons pas imaginer que Lula fasse le programme du PT. Il fait le Programme de sa Lettre aux Brésiliens" et "les plus grands opposants à Lula sont dans le PT, qui se considèrent comme trahis".

Delfim Netto dit avoir "une grande admiration pour lui. Lula est très intelligent, intuitif. Il est le seul homme politique qui, quand il parle de pauvre, sait honnêtement ce qu’il dit. L’idée de vouloir s’occuper des pauvres, pour tous les autres, est cynique. Dans son cas, c’est la vérité". Autre mérite, "c’est un catholique fervent". Donc, selon lui, Lula "va être réélu. Si ce n’est pas ses vertus, ce sera par nécessité. Et c’est la meilleure option, pour terminer ce qui a été commencé." Une fois réélu, il attirera de nouveaux segments à la direction politique : "Ce n’est pas simplement une adhésion pour telle ou telle charge. Le PMDB, va aider à formuler un programme pour le pays" [6].

Dans le même temps, sachant que si 10% des Brésiliens se déclarent affiliés à un parti politique - ce qui n’est comparativement pas si mal - 47% se définissent comme étant de "droite", 23% du "centre" et 30% seulement de gauche [7], dans quelle mesure sera-t-il finalement possible d’affirmer, cette fois encore, que la réélection quasi assurée de Lula serait la réédition pure et simple de "la plus grande victoire de la gauche latino-américaine depuis Allende" et constituera une nouvelle manifestation de la poussée de gauche en Amérique latine ?

J-Y Martin, géographe

[1] PSDB = Parti "Social-Démocrate" brésilien. Mais les dénominations politiques sont trop fantaisistes et mouvantes au Brésil pour les prendre ingénument au pied de la lettre. Il s’agit bien là de la candidature de "droite", au sens courant du mot.

[2] On le voit, il y a donc deux partis communistes au Brésil. L’un, le PC do B est ralliée à la coalition gouvernementale. L’autre, le PCB, appartient à la coalition qui soutient la candidature d’Heloísa Helena.

[3] Plans "Faim Zéro" et "Bourse familiale", des programmes qualifiés d’"assistencialistes" qui ne corrigent en rien des inégalités toujours aussi criantes.

[4] Avec même, selon Veja , jusqu’à un recours récent à des injections miracles de "botox".

[5] Pour 31% des Brésiliens il est "normal", et "médiocre-mauvais" pour seulement 16 %.

[6] Folha de SP, 26 août 2006

[7] Alors que, dans le même temps, 65% des jeunes disent ne pas faire "confiance à la politique".

Messages

  • Mr. Lula est une décepcion pour la gauche brèsilienne et pour...la droite aussi.Beaucoup de gens à la droite avaient l’espoir que Mr. Lula pouvais lutter contre la corrupcion endemique brésilienne.
    Mr Lula n’ en a fait rien contre et pire il s’est rejoint à les politiques les plus répoesentatives de cette maladie brésilienne.Ce que nous avons aujourd’hui c’est un pays completement deçu et sans espoir.Un pays où le travail ne vaux rien mais savoir jouer au marché financiéres oui.
    Mr. Lula comme président et symbole de l’espoir d’un peuple entier mérite ZERO.

  • Je ne suis pas d’accord avec les "déçus de Lula", et ce débat m’intéresse, au moment où la possibilité d’une candidature anti libérale significative se précise en France.

    Je crois que les "déçus" ne se représentent absolument pas la difficulté de faire échec à l’impérialisme américain (en particulier) qui considère l’amérique du sud, et donc le Brésil comme sa chasse gardée.

    En d’autres temps, un Joao Goulard a été renversé par les militaires, et c’est une terrible dictature qui a suivi.

    Ecrire que le bilan de Lula n’est "pas très convaincant", mais qu’il sera sans doute réélu avec 55% des voix, c’est ça qui n’est pas très convaincant.
    La réforme agraire est "insuffisante", etc. Bon, il y a donc eu une réforme agraire.

    Je serais partisan d’une analyse plus sérieuse, plus serrée. Lula n’est pas Mitterrand, il a réellement fait quelque chose pour le peuple, me semble-t-il.
    La pauvreté et la précarité se sont envolées sous Mitterrand.

    Certes, le Brésil est un pays potentiellement très riche, il est donc possible, un certain temps, à la fois d’enrichir les riches et de soulager les pauvres. Dans l’avenir, ce sera plus difficile...
    Quels seront les choix faits ?

    Donc, je suis d’avis d’attendre le second mandat.
    Maintenant, le score d’Heloisa, qui est plus radicale, m’intéresse aussi.
    C’est peut-être elle qui représente l’avenir.
    Nous devons raisonner aussi bien que la bourgeoisie. Ce qui peut inquiéter Washinton, dans le gouvenement Lula, c’est que Lula puisse ouvrir la voie à plus à gauche que lui. Il y a un processus. C’est ce que l’impérialisme voudrait casser, ou du moins endiguer.
    C’est au contraire ce que nous voulons renforcer.

    Pour le moment, si le peuple brésilien garde Lula, il aura raison.

    Boudine, Marseille.