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Au secours ! Marchands de paix !

Publie le jeudi 28 septembre 2006 par Open-Publishing
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de Uri Avnery

Israël et les Etats-Unis veulent déclarer que le plan de paix arabe compromet la paix, parce qu’il entre en contradiction avec la feuille de route. Devinez de qui sont ces mots : « Lancer cette guerre a été un scandale... Il était possible de résoudre le problème des missiles au Sud-Liban par des moyens diplomatiques... L’offensive des deux derniers jours de la guerre au cours de laquelle 33 soldats ont trouvé la mort, après que la résolution de cessez-le-feu eut été presque acceptée, a été une manipulation du Premier ministre... le Premier ministre, le ministre de la Défense et le chef d’état-major doivent démissionner... »

Eh bien, c’était de Gush Shalom.

Mais cela n’est pas nouveau. Ce qui est nouveau, c’est qu’hier, l’ancien chef d’état-major, Moshe Yaalon, a répété ces déclarations, presque mot pour mot. « Boogie » Yaalon est l’exact opposé de Gush Shalom. Personne ne peut dire qu’il appartient à un « groupe marginal ». Il vient du cœur même de l’establishment. Il est de droite. Il a été responsable de quelques-uns des actes les plus cruels de l’occupation.

Il y a une autre différence entre Yaalon et Gush Shalom : Gush Shalom s’est exprimé haut et fort pendant les événements, en pleine guerre, quand il était encore possible de sauver la vie de ces 33 soldats. A ce moment-là, ces propos étaient impopulaires à l’extrême, à la limite de la trahison. Comme aucun média israélien n’était prêt à les publier, Gush Shalom a dû, pour qu’ils le soient, payer des encarts publicitaires.

Aujourd’hui, Yaalon arrive et les répète, alors que le vent a tourné et que ces propos sont devenus populaires. Les mobiles de Yaalon n’ont pas d’importance. (Pour mémoire, Ariel Sharon l’a limogé de son poste pour mettre à sa place Dan Halutz il y a un an en vue d’amorcer le « désengagement »). Ce qui est important, c’est que ces choses aient été dites maintenant par une personne ayant les plus hautes références militaires.

Quand une telle personne déclare que 33 soldats ont été sacrifiés sans raison militaire valable, pour servir les intérêts personnels d’Ehoud Olmert, que la guerre elle-même n’était pas vraiment nécessaire, et que le problème des roquettes du Hezbollah aurait été résolu par la voie diplomatique, ces choses ont du poids.

Ceci n’est pas important seulement en ce qui concerne ce qui s’est passé il y a quelques semaines, quand la direction du pays a parlé d’un terrible danger menaçant notre frontière nord, mais plus encore aujourd’hui, quand la même direction nous met en garde contre une menace encore plus grave quelque part ailleurs.

Dans les couloirs du pouvoir à Jérusalem, le cri est en train de monter : « Au secours ! La Paix est sur toi, Israël ! » Un terrible ennemi conspire pour nous imposer la paix. Il avance face à nous de deux côtés, dans un mouvement de tenailles géant. Un des volets de cette offensive est le gouvernement d’unité palestinien qui est en train de se mettre en place.

L’autre est la décision de la Ligue arabe de relancer le plan de paix arabe. Du point de vue du gouvernement d’Israël, cette offensive est beaucoup plus dangereuse que toutes les roquettes de Hassan Nasrallah mises ensemble.

Le gouvernement palestinien d’unité nationale est destiné à résoudre, avant tout, les problèmes internes palestiniens. Depuis que les Palestiniens ont élu le Hamas, un état d’anarchie règne dans la rue palestinienne. Les clashs constants entre le Président, qui est le chef du Fatah, et le Premier ministre, qui appartient au Hamas, ont créé un état de paralysie, au moment même où les Palestiniens ont besoin d’unité face à des défis vitaux. Le Fatah a dominé le mouvement national palestinien moderne depuis sa fondation par Yasser Arafat, il y a presque 50 ans. Il ne s’est pas résigné à la défaite. Mais un peuple qui se bat pour son existence ne peut se permettre que ses deux principales factions se combattent au lieu de coopérer dans la lutte de libération nationale.

A cela on doit ajouter le blocus imposé à l’Autorité palestinienne par l’Europe et l’Amérique, sur ordre du Président Bush. C’est une tentative sans précédent de littéralement affamer tout un peuple pour chasser son gouvernement démocratiquement élu.

Le gouvernement d’unité nationale est destiné à restaurer l’ordre public et à faire lever le blocus international. Pour y arriver, le gouvernement doit franchir de sérieux obstacles.

Pour des raisons religieuses, il est difficile au Hamas de reconnaître officiellement Israël. Cela n’a rien à voir avec l’antisémitisme, comme on le prétend, mais avec le fait que, selon l’Islam, la Palestine est un « waqf » (bien religieux) appartenant à Dieu (de la même façon que les fondamentalistes juifs croient que Dieu nous a promis ce pays, et qu’en abandonner une partie est un péché mortel.) Mais la religion musulmane contourne l’obstacle en permettant une « hudna » (trêve) très longue qui peut durer des décennies et même des siècles. La voie pour résoudre ce problème est de faire un gouvernement unitaire, dirigé par Hamas, de déclarer qu’il s’engage sur le « document des prisonniers », les résolutions de l’ONU, les accords signés entre Israël et l’OLP et le plan de paix arabe - tous ces textes étant basés sur la reconnaissance d’Israël. Cela suffirait à quiconque veut réellement promouvoir la paix israélo-palestinienne.

Pour notre gouvernement, c’est précisément là que le bât blesse.

Le deuxième volet de l’offensive de paix est la reprise du plan de paix arabe. Ce plan a été conçu par Abdallah, alors Prince héritier, aujourd’hui roi d’Arabie Saoudite. Il a été adopté par le sommet des chefs d’Etat arabes à Beyrouth en mars 2002. Ce plan dit, en gros : L’ensemble du monde arabe reconnaîtra Israël et fera la paix avec lui s’il se retire sur les frontières de 1967 et fait son possible pour établir l’Etat de Palestine avec Jérusalem-Est pour capitale.

Le gouvernement d’Israël a rejeté l’initiative, « sur le seuil » comme dit l’expression hébraïque (toute initiative de paix est rejetée « sur le seuil », de façon à ne pas lui permettre, Dieu nous en garde, de mettre un pied dans la porte.) Le plan a été enterré et laissé à l’abandon depuis lors.

Maintenant, les méchants Arabes le ressortent et le remettent sur la table.

Face à ce danger des marchands de paix arabes, le gouvernement Olmert bat le rappel de ses forces. En dépit du fait que la direction politique et militaire dans son ensemble est occupée à se maintenir au pouvoir après le fiasco libanais, elle est en train de se rassembler face à cette effrayante menace.

Tzipi Livni a été envoyée à toute vitesse aux Etats-Unis, pour prévenir du danger. Elle est allée convaincre le Président Bush (qui est « passé » par là alors qu’elle discutait avec Condoleezza Rice et qui l’appelle « Tsiffi ») qu’il use du mortel veto américain au Conseil de sécurité contre toute résolution du Conseil de sécurité qui pourrait soutenir la paix.

Elle va rencontrer 20 chefs de gouvernements et ministres des Affaires étrangères pour obtenir leur soutien contre cette menace. Pour cela, elle a descendu du grenier des Affaires étrangères une feuille de chou appelée « feuille de route ».

Il n’est même jamais venu à l’esprit du gouvernement israélien de mettre en œuvre cet accord, dont le seul but était, dès le commencement, de donner l’impression que le Président Bush avait réalisé quelque chose au Moyen-Orient.

Dès le début, toutes les parties ont su que c’était un document qui ne pouvait pas être mis en œuvre. Israël et les Etats-Unis veulent donc déclarer que le plan de paix arabe compromet la paix, parce qu’il entre en contradiction avec la feuille de route. Le gouvernement unitaire palestinien, qui s’installe, doit être boycotté parce qu’il n’est pas établi explicitement que tous ses membres reconnaissent l’Etat d’Israël (comme si tous les membres du gouvernement israélien étaient prêts à reconnaître l’Etat de Palestine et son gouvernement, sans mentionner l’arrêt de la violence et l’acceptation de tous les accords signés.)

Donc, le blocus de la population palestinienne doit continuer, jusqu’à ce qu’elle soit à genoux.

Pourquoi l’offensive de paix fait-elle peur au gouvernement israélien ? Si quelqu’un était venu vers nous le 4 juin 1967, et nous avait dit que l’ensemble du monde arabe était prêt à faire la paix avec nous à l’intérieur des frontières de ce jour, et que la direction palestinienne aussi était prête à déclarer la fin du conflit historique, nous aurions cru à l’arrivée du Messie.

Mais le 5 juin 1967, nous avons lancé une guerre qui a tout changé.

Nous avons bientôt contrôlé toute la Palestine et un énorme territoire supplémentaire. Nous avons déclaré que nous les garderions temporairement afin de pouvoir les négocier mais, comme on le sait, l’appétit vient en mangeant. Nous avons commencé à annexer des territoires (Jérusalem Est et des environs et les Hauteurs du Golan), et à couvrir la Cisjordanie de colonies.

Aux yeux de la direction israélienne, l’initiative de paix - toute initiative de paix - n’est qu’une conspiration diabolique de marchands de paix pour nous voler ces territoires. Elle nous obligerait à mettre fin à l’entreprise de colonisation - qui n’a pas arrêté un seul instant depuis 1968, et qui aujourd’hui bat son plein - et à démanteler les colonies existantes. Le mouvement en tenailles des marchands de paix pourrait prendre de l’ampleur et générer une pression internationale à laquelle il serait difficile de résister.

C’est la raison de la panique à Jérusalem. L’initiative de paix arabe pourrait réussir si elle mettait les Israéliens en face d’un choix clair et sans ambiguïté : la paix sans les territoires occupés, ou les territoires occupés sans la paix.

Après six guerres majeures et quelques-unes de moindre importance, nous pouvons commencer à soupçonner que le prix à payer pour la guerre en sang et en argent est trop élevé, et - surtout - qu’elle n’apporte pas la victoire, mais multiplie les charges qui pèsent sur la société israélienne. Dans les six ans de folie entre les guerres de 1967 et de 1973, Moshe Dayan a prononcé la phrase : « Mieux vaut Charm el-Cheikh (sur la pointe sud de la Péninsule du Sinaï) sans paix que la paix sans Charm el-Cheihk ! » De tels slogans ont coûté la vie de quelque 2.700 soldats israéliens (et qui sait de combien d’Egyptiens et de Syriens) dans la guerre du Kippour.

Par la suite, nous avons rendu Charm el-Cheikh et l’ensemble du Sinaï et avons fait la paix avec l’Egypte. Dayan lui-même a joué un rôle dans l’obtention de cette paix. Combien de soldats et de civils, israéliens et arabes, devront-ils mourir avant que nous comprenions que la paix avec les Palestiniens et l’ensemble du monde arabe est infiniment plus importante pour Israël que d’essayer de se cramponner aux territoires occupés et aux colonies ?

Article publié en hébreu et en anglais le 17 septembre sur le site de Gush Shalom - Traduit de l’anglais "Traduit de l’anglais "Help ! Peacemongers !" : SW

http://www.aloufok.net/article.php3?id_article=3400

Messages

  • """ L’initiative de paix arabe pourrait réussir si elle mettait les Israéliens en face d’un choix clair et sans ambiguïté : la paix sans les territoires occupés, ou les territoires occupés sans la paix."""

    Mettre Israël devant ses responsabilités, au moins ça sera clair pour tout le monde.