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La rage du peuple : Keny Arkana au Nouveau Casino

Publie le mardi 26 décembre 2006 par Open-Publishing
3 commentaires

Keny Arkana a littéralement dynamité le Nouveau Casino archi complet ce ce mercredi 20 décembre 2006.

"Je ne suis pas pour la révolte, mais pour la révolution"

Entretien réalisé par Victor Hache

Hip-hop . Nouvelle étoile du rap, la Marseillaise Keny Arkana sort Entre ciment et belle étoile. Un album à l’engagement militant inspiré par l’altermondialisme.

C’est la nouvelle bombe de la planète rap. Portée par le titre la Rage, Keny Arkana sort, ces jours-ci, l’album Entre ciment et belle étoile. Un brûlot issu de l’école du « rap conscient », aux antipodes du rap business et de ses clichés « chaînes-en-or-belles-voitures-bimbos ». On assiste ainsi à un renouveau du rap underground militant, engagé. À l’image de l’univers contestataire de la rapeuse Keny Arkana et de ses lyrics revendicatifs qui dénoncent la « violence du système ». Originaire de Marseille, elle a écrit ses premiers textes hip-hop à l’âge de treize ans, des mots aussitôt scandés sur scène, où elle a puisé l’adrénaline nécessaire qui la pousse, depuis, à s’inventer une nouvelle vie. Aujourd’hui, elle publie un premier album qui témoigne autant de son parcours d’adolescente toujours en fugue ayant grandi de foyer en foyer que de son désir de bousculer l’ordre des choses, sur fond d’altermondialisme. Rencontre avec une chanteuse pleine de fougue qui en appelle à « une prise de conscience collective ».

Que signifie Entre ciment et belle étoile ?

Keny Arkana. J’ai voulu ce titre parce que j’ai passé une grande partie de ma jeunesse dans la rue. J’ai grandi en foyer où j’ai été placée à l’âge de quatorze ans. J’étais toujours en fugue. C’est là que je me suis promis de réussir dans le rap. Entre ciment et belle étoile exprime l’idée de dualité entre foi et rage, entre colère et amour. Il n’y a pas de juste milieu. Il y a ce côté dur, terre à terre, et ce côté plus idéaliste, spirituel, impalpable. C’est un peu : « On est prisonniers du ciment mais on essaie de tendre vers nos idéaux. »

Dans la Rage, vous dites : « C’est tout ce qui nous reste »...

Keny Arkana. Dans mon esprit, la rage n’est pas quelque chose de négatif. Cela n’a rien à voir avec la haine qui a quelque chose d’autodestructeur, d’inerte, où chacun se - recroqueville. La rage, c’est rendre la colère positive. C’est un moteur. C’est être déterminé à aller de l’avant. La haine, c’est l’inertie, la rage, c’est la vie. Il ne nous reste pas grand-chose, à part cette envie de s’en sortir, cette envie que ça change. C’est ce qui nous maintient en vie. Quand je dis « on », je parle autant de moi, de mes frères, des gens des quartiers que de ceux qui vivent dans le tiers-monde. Pour une grande partie de la population mondiale, la rage, c’est tout ce qui nous reste.

Vous chantez : « Qu’est-ce qu’on attend pour se mettre debout. » Un appel ?

Keny Arkana. Je ne suis pas pour la révolte, mais pour la révolution. C’est ce qui combat l’inertie dans laquelle nous vivons. Aujourd’hui, les puissants sont contents de voir le peuple aussi inerte et robotisé. Je suis pour une prise de conscience. Relevons la tête malgré les difficultés du - quotidien. Essayons deux - secondes de regarder le voisin, l’état du monde, ce qui se passe. On va tellement dans un mur... Il faut changer de direction et « se recitoyenniser » dans le vrai sens du mot. Je pense à une citoyenneté mondiale, le pouvoir national n’existe plus à mes yeux.

Vous faites partie d’un collectif altermondialiste qui s’appelle la Rage du peuple...

Keny Arkana. Altermondialiste, ce n’est pas antimondialiste. J’aimerais qu’on utilise uniquement le mot « alter » dans le sens où nous sommes pour des alternatives. On est pour une autre organisation mondiale, pour des échanges mondiaux plus équitables. On n’est pas « contre » mais « pour » quelque chose d’autre. On n’est pas là pour des petites réformes, mais pour essayer de trouver des idées alternatives afin d’organiser autrement les choses. Ça commence par l’autogestion. Si demain on arrive à créer plusieurs poches de résistance et à les multiplier, les choses bougeront. La solution commence par nous.

Vous avez d’ailleurs participé au - Forum social mondial de - Bamako.

Keny Arkana. J’y suis allée en tant que citoyenne. J’ai été également à Porto Allegre pour apprendre, rencontrer des gens, voir quels sont les problèmes, les alternatives imaginées ailleurs. Je suis bien consciente qu’on ne change pas les choses uniquement en parlant dans les forums. Il faut les pratiquer dans son quotidien en essayant de relayer les informations qui peuvent naître de ces discussions, de ces échanges.

Comment en êtes-vous - arrivée à cette prise de conscience ?

Keny Arkana. À l’époque, mon côté antisystème se résumait à quelques éducateurs, à ma juge et aux flics qui me tapaient dessus. Je me suis vite rendu compte que j’étais dans un système auquel tous ces gens obéissaient. Ça m’a poussée à m’instruire - parce que j’ai arrêté l’école très tôt, à l’âge de douze ans - à lire, à regarder des documentaires, à rencontrer des gens, à assister à des conférences. Étant d’origine argentine, j’ai voulu savoir ce qui s’est passé dans ce pays qui a connu une grave crise économique il y a peu : les banques ont fui avec l’argent du peuple, des entreprises occidentales ont quitté le pays du jour au lendemain, des privatisations sauvages sous l’ère Menem ont eu lieu sous le diktat du FMI... J’ai alors réalisé combien, dès qu’on touche aux limites du système, on subit sa violence. On a tous le même ennemi.

Que représente à vos yeux le sous-commandant Marcos dont on dit qu’il est une sorte de modèle pour vous ?

Keny Arkana. Je n’aime pas le mot modèle qui renvoie au côté fan, idolâtrie. J’éprouve énormément de respect pour lui. J’ai eu la chance de le rencontrer. Avec Ryan, le MC qui m’accompagne sur scène, je suis partie au Chiapas dans une communauté zapatiste. Je suis croyante bien que je n’aie pas de religion, je m’intéresse à la politique même si je ne me reconnais dans aucun parti, et bizarrement dans le zapatisme, je me suis retrouvée. Le côté alternatif et humaniste du mouvement zapatiste - tout autant attaché à la défense de la nature, de l’être humain et de sa dignité, que de sa liberté - est universel. Je voulais voir de mes propres yeux ce que ça donnait. Je n’ai pas été déçue.

Comment ressentez-vous le débat politique en France ?

Keny Arkana. Démago, libéral, répressif, entre l’une qui veut mettre des militaires partout, l’autre qui est contre la séparation des pouvoirs... Il y a un climat de peur, sécuritaire. J’ai toujours voté. Mais, pour moi, c’est de la fausse démocratie, dans le sens où celle-ci n’est pas suffisamment représentative. La solution est mondiale. Ce ne sont plus les nations qui font les lois, mais l’OMC qui dicte ses lois aux nations. C’est pourquoi je crois en nous, dans nos localités. Commençons à prendre conscience, à nous autogérer, créons des réseaux. Comme on dit au sein de la Rage du peuple : « Agissons local, pensons global. »

La révolte des quartiers ...

Keny Arkana. C’est légitime et très maladroit à la fois. Le savoir est une arme. Sans lui, ce seront toujours des - révoltes où l’on s’autodétruit. Si la rage n’est pas canalisée, ça donne n’importe quoi. Ça aurait pu se transformer en vraie révolution si on avait su contre qui et quoi on se révoltait. Forts de cette énergie, il aurait fallu être plus constructif, imaginer des solutions alternatives. Je vois devant nous une page blanche qui ne - demande qu’à être écrite. - Inventons un autre système plus humaniste ! Personne ne changera le cours des choses à notre place. Prenons conscience que l’on fait partie de la solution, qu’on a besoin des idées de tout le monde. On peut le faire en combattant notre propre inertie, l’individualisme engendré par la - société de consommation. La révolution - au vrai sens du mot, pas dans celui où l’on prend les armes et on nique tout - commence par nous-mêmes. Si on arrive à prendre conscience collectivement que le bonheur n’est pas dans le bien matériel, qui n’est qu’illusion, mais dans la valeur humaine, alors on pourra faire de grandes choses.

Abum Entre ciment

et belle étoile, Because Music.

http://www.humanite.presse.fr/journ...

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