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Cesare Battisti : le gouvernement trahit la parole de la France

Publie le mardi 17 février 2004 par Open-Publishing

L’arrestation en vue d’extradition de l’écrivain Cesare Battisti confirme la trahison par le gouvernement Raffarin de la politique d’asile mise en ouvre par la France depuis 1985. Après l’émotion, la solidarité s’organise.

" Vous êtes bien Cesare Battisti ? " Mardi dernier, dans un immeuble du neuvième arrondissement de Paris, un homme répond par l’affirmative à l’apostrophe. Interpellation immédiate par dix agents de la Direction nationale antiterroriste (DNAT), direction la première division de la maison d’arrêt de la Santé à Paris et placement sous écrou extraditionnel. Que reproche donc la justice française à Cesare Battisti, 49 ans, militant, dans les années soixante-dix, des " Prolétaires armés pour le communisme " et aujourd’hui écrivain reconnu, auteur de treize romans policiers ? Rien. L’État répond simplement à une demande d’extradition émanant du parquet général de la cour d’appel de Milan pour " exécution de peines " diffusée sur tout le réseau Schengen, explique-t-on chez le garde des Sceaux.

Arrêté une première fois en 1978 en Italie, incarcéré dans le quartier de haute sécurité de la prison de Frosinone, Cesare Battisti réussit, au bout de deux ans et demi, à s’évader. Sa cavale débute en France, se poursuit au Mexique. Il revient en France en septembre 1990. Entre-temps, en Italie, Cesare Battisti, a été condamné en 1987 par la justice d’exception - un tribunal militaire -, réservée aux procès des militants de l’ultra gauche, à deux peines de prison à vie pour quatre meurtres qu’il a toujours niés, sans jamais renier pour autant le contexte politique et social de sa jeunesse.

Peu importe que deux des homicides pour lesquels il a été reconnu coupable ont été commis le même jour à 14 heures à Venise et à 14 h 25 à Milan. Arrêté en France peu de temps après son arrivée, l’homme passe cinq mois à la prison de Fresnes. Avant que, le 29 mai 1991, la chambre d’accusation de la cour d’appel de Paris ne donne un avis défavorable à la requête d’extradition italienne, parce que l’ex-militant a été condamné par contumace dans des conditions jugées contraires aux critères européens d’impartialité et de droit de la défense : procès fleuve érigé sur une procédure d’exception expéditive et sur la base de déclarations de repentis, sans possibilité de nouveau jugement en cas de retour en Italie, à la différence de la France qui rejuge les procès par contumace.

Une " honteuse trahison "

Depuis 1991, Cesare Battisti vit au grand jour à Paris. Comme une centaine d’autres anciens activistes italiens, il bénéficiait de la protection de ladite " jurisprudence Mitterrand " édictée en 1985, en fait l’engagement formel de l’État - quels que soient les gouvernements, gauche et droite confondues - d’accorder la tranquillité à tous ceux qui " avaient rompu avec la spirale de la violence ". Une parole de la France tenue jusqu’en août 2002 : professeur à l’université Paris VIII, Paolo Persichetti, vivant, lui (à la différence de Cesare Battisti), sous le couperet d’un arrêté d’extradition signé par Balladur en 1993, est arrêté et extradé en quelques heures vers l’Italie. Quelques semaines plus tard, le 11 septembre 2002, le garde des Sceaux, Dominique Perben, reçoit son homologue italien Roberto Castelli.

" Il n’y a pas d’ambiguïté, explique-t-il alors. Il y a le changement d’attitude de la part de la France et je l’assume. " Lors de leur rencontre, les deux ministres conviennent de passer l’éponge pour les faits précédant 1982. Mais pour la période 1982-1993, la France annonce qu’elle examinera dorénavant les dossiers " au cas par cas " en fonction des " conditions dans lesquelles s’étaient passés les procès en Italie ". En clair, c’est une trahison éthique de la parole de la France. Selon la presse italienne, une liste d’une dizaine de noms a ainsi été communiquée par le gouvernement italien qui précise n’avoir donné aucune instruction réclamant prioritairement la tête de Cesare Battisti. " Voyez avec Paris ", rétorque le ministère italien de la justice.

Mercredi dernier, juste après l’adoption de son projet de loi très controversé contre la grande criminalité - qui prétend renforcer notamment la coopération européenne en matière de terrorisme -, Dominique Perben a botté en touche, prétextant que Battisti était " parmi les personnes recherchées et la procédure d’extradition va reprendre son cours. J’imagine que la procédure va prendre plusieurs mois. Il appartiendra aux juridictions compétentes d’en décider. " Afin de lui éviter un long séjour derrière les barreaux, les avocats de l’écrivain ont déposé une demande de remise en liberté qui devrait être examinée le 3 mars prochain à 14 heures. " Il s’agit de notre priorité, explique Maître Irène Terrel. En 1991, notre client était libre quand il est venu au tribunal et que la France a refusé de l’extrader. Il a vécu 15 ans ici publiquement.

Qu’on ne vienne pas nous dire aujourd’hui qu’il n’a pas toutes les garanties pour recouvrer la liberté. " Sûre de ses arguments juridiques mais " méfiante quant à la raison d’État ", l’avocate, " choquée ", évoque le principe de droit selon lequel on ne peut être jugé deux fois pour les mêmes faits. " La situation de Battisti a déjà été évoquée en 1991, pour les mêmes accusations, les magistrats français ont dit non à l’extradition. De par cette décision, il bénéficie donc de la protection juridique de la France. Il faut que la France se ressaisisse : l’extradition de Cesare Battisti serait une monstruosité juridique doublée d’une trahison politique. "

La solidarité s’organise

Titulaire d’un titre de séjour de dix ans obtenu rapidement, Battisti avait déclaré en mars 2002 que " la France était le seul pays au monde où une existence officielle était possible ", après des déclarations du ministre italien de la Justice de l’époque qui avait accusé la France d’être un sanctuaire de terroristes. " Il ne s’agit pas seulement d’une " jurisprudence Mitterrand ", pointe encore Me Terrel. Pendant vingt-cinq ans, toutes tendances confondues, la France a offert une possibilité d’asile. Ces gens avaient la possibilité de rentrer en clandestinité, d’accepter la proposition française ou de retourner en Italie pour être jugés. Aujourd’hui, en Italie, ils ont perdu leur droit au procès. " Élue au conseil national du PCF, Fernanda Marrucchelli, ayant appartenu à ces mouvements activistes des années de plomb, questionne : " Quand on juge vingt ans après, qui est-ce que l’on condamne ?

Les papiers que la France a délivrés à Battisti ou Persichetti sont une garantie juridique qui n’engage pas que l’hospitalité mais avant tout les droits de la personne. Il s’agit d’une sorte de vengeance imprescriptible de l’Italie, à l’image d’un Bush qui parle de guerre infinie. L’Italie a connu une situation de quasi guerre civile et ce n’est pas au travers d’une réponse judiciaire et répressive que l’on ira vers l’apaisement. Il faut une loi d’amnistie. "

Dans l’entourage de Cesare Battisti et bien au-delà, la mobilisation s’organise (lire ci-dessous). Un site Internet a mis en ligne une pétition demandant sa " libération immédiate " qui a déjà recueilli près de 3 500 signatures. Une manifestation aura lieu aujourd’hui à 17 heures devant la prison de la Santé. De plus, certains, ont envoyé un texte à tous les présidents de groupes à l’Assemblée ainsi qu’à Dominique Perben et Jacques Chirac. Du côté des politiques, la protestation émanant exclusivement de l’opposition est quasi unanime. Porte-parole du Parti socialiste, Julien Dray somme Dominique Perben de " respecter la parole donnée ". Le PCF dénonce une " atteinte à la tradition française respectueuse des droits qui est extrêmement grave et préoccupante ". La LCR identifie une " nouvelle illustration de la folie sécuritaire qui s’est emparée de nombreux gouvernements européens ".

Michel Tubiana, président de la Ligue des droits de l’homme, qui organisera une conférence de presse ce jeudi, ne mâche pas ses mots, fustigeant " le processus de berlusconisation qui met en cause la parole de la France dans une espèce de collusion entre les gouvernements français et italien ". Avant de conclure : " Il faudra bien que le garde des Sceaux et le président de la République comprennent que l’impunité, ne serait-ce que morale et politique, n’est pas sans fin et qu’un jour ou l’autre ils seront amenés à rendre des comptes au traitement qu’ils infligent à l’éthique républicaine. "

l’Humanité